montlosier
2021-10-29 16:19:04
«Une doctrine est comparable à un être vivant. Elle ne subsiste qu'en se transformant. Les livres restent nécessairement muets sur ces variations, la phase des choses qu'ils stabilisent n'est que du passé. Ils ne reflètent pas l'image de la vie, mais celle de la mort. L'exposé écrit d'une doctrine représente souvent le côté le plus négligeable de cette doctrine.
J'ai montré dans un autre ouvrages comment se modifient les institution, les langues et les arts en passant d'un peuple à un autre, et combien les lois de ces transformation différent de ce que disent les livres. Je n'y fais allusion maintenant qu'afin d'expliquer pourquoi dans l'étude des idées démocratiques nous nous occupons si peu du texte des doctrines et recherchons seulement les éléments psychologique dont elles constituent le vêtement, puis les réactions provoquées chez les diverses catégorie d'hommes les ayant acceptées. Modifié rapidement par des êtres de mentalités différentes, la théorie primitive n'est bientôt plus qu'une étiquettes désignant des choses très dissemblables.
Applicables aux croyances religieuses, ces principes le sont également aux croyances politiques. Quand on parle de démocratie, par exemple, il convient de rechercher ce que signifie ce mot chez divers peuple, et de s'enquérir également si, chez un même peuple, il n'y aurait pas une grande différence entre la démocratie des intellectuels et la démocratie populaire.
En nous bornant à considérer maintenant ces derniers point, nous constaterons facilement que les idées démocratiques des livres et des journaux sont de pures théories de lettrés ignorées par le peuple et à l'application desquelles d'ailleurs il n'aurait rien à gagner. Si l'ouvrier possède le droit théorique de franchir les barrières le séparant des classes dirigeante par toute une série de concours et d'examens, ses chances d'y parvenir sont bien faibles.
La démocratie des lettrés n'a d'autres but que de créer une sélection où se recrute exclusivement la classe dirigeante. Je ne verrai rien à y redire si cette sélection était réelle. Elle constituerait alors l'application de la maxime de Napoléon : "La vraie marche d'un gouvernement est d'employer l'aristocratie, mais avec les formes de la démocratie."
Malheureusement, la démocratie des intellectuels conduit simplement à remplacer le droit divins des rois par le droit divin d'une petite oligarchie trop souvent tyrannique et bornée. Ce n'est pas en déplaçant une tyrannie qu'on crée une liberté.
La démocratie populaire n'a nullement pour but, comme la précédente, de fabriquer des dirigeants. Dominés tout entière par l'esprit d'égalité et le désir d'améliorer le sort des travailleurs, elle repousse la notion de fraternité et ne manifeste aucun souci de la liberté. Un gouvernement n'est concevable par elle que sous la forme autocratique. On le voit, non seulement par l'histoire nous montrant depuis la Révolution tous les gouvernements despotiques vigoureusement acclamés, mais surtout, par la façon autocratique dont les syndicats ouvriers sont conduits. Cette distinction profonde, entre la démocratie des lettrés et la démocratie des lettrés et la démocratie populaire, apparaît beaucoup plus claire aux ouvriers qu'aux intellectuels. Rien n'étant commun entre leurs mentalités, les premiers et les seconds ne parlent pas la même langue. Les syndicaliste proclament aujourd'hui avec force qu'aucune alliance ne serait possible entre eux et les politiciens de la Bourgeoisie. L'affirmation est rigoureusement exacte. Il en fut toujours ainsi et c'est sans doute pourquoi la démocratie populaire, de Platon à nos jours, n'a jamais été défendue par de grands penseurs.»
Gustave Le Bon "la Révolution Française et la Psychologie des Révolutions" pages 328-329-330