Dans le Territoire de Belfort, Marie-Laure Duchanoy, déléguée départementale depuis 2020, a démissionné en juin. Julien Odoul lui avait promis la tête de liste, mais il a recruté au dernier moment « un ancien caïd de Montbéliard, Kamel Agag-Boudjahlat, qu’il a parachuté à Belfort ». Elle est amère, d’autant que ledit candidat a démissionné trois jours plus tard en expliquant avoir voulu infiltrer le RN et « faire le buzz »… Elle a découpé sa carte au congrès de Perpignan, qu’elle voit comme un « sommet d’autosatisfaction » : « Dans les formations internes, on nous disait, vous êtes les préfets de Marine, mais quand arrivent les élections, on place des nouveaux qui n’ont pas trois mois de carte. C’est le sauve-qui-peut général. Marine Le Pen n’a qu’un objectif, c’est sauver la peau de son entourage. »
« J’ai compris que j’étais désavoué. J’ai écrit à Marine Le Pen et Jordan Bardella, ils n’ont même pas répondu », raconte Arno Humbert ancien délégué départemental du RN dans les Deux-Sèvres
L’écœurement est partagé. « Le parti, c’est une catastrophe, heureusement qu’ils ne sont pas au pouvoir, tranche Eric Silvestre, vingt-six ans de carte lepéniste. Il ne reste au RN que les bons à rien qui ont besoin de ça pour manger. Et je ne veux pas être méchant. » Responsable départemental du Jura depuis six ans, il dénonce les « belles promesses » sans lendemain. La fédération, autrefois forte de quelque 120 militants, n’a « plus personne ». Il est parti en juillet avec tout le bureau, après l’intronisation d’une tête de liste qui n’est même pas du Jura. « Je n’ai plus de temps à perdre avec des incapables pareils, poursuit-il. Sur la liste, il y avait des candidats que je n’ai jamais rencontrés. » Il a trouvé une formule amère pendant la campagne, « Les vôtres avant les nôtres ! », clin d’œil au slogan identitaire « Les nôtres avant les vôtres ».
Article réservé à nos abonnés Lire aussi Marine Le Pen place Jordan Bardella à la tête du RN pour se consacrer à la présidentielle
Dans cette désorganisation générale, ils sont au moins deux responsables de fédération démissionnaires à encore recevoir les courriers du siège. « Je reçois toujours les mails du RN et les invitations, s’agace l’un d’eux. Ils n’ont pas compris le sens de la phrase “je démissionne” ? » Dans les Deux-Sèvres, il n’y a même plus de fédération. Arno Humbert la dirigeait à la demande du parti depuis 2019 : il avait quitté sa Charente-Maritime, déménagé, vendu son entreprise, recruté des adhérents, passés de 30 à 120. Avant d’apprendre par la presse que la liste dans les Deux-Sèvres serait confiée à un élu municipal de Gironde, proche d’Edwige Diaz, tête de liste en Nouvelle-Aquitaine. « J’ai compris que j’étais désavoué, que je n’étais plus légitime. J’ai écrit à Marine Le Pen et Jordan Bardella, ils n’ont même pas répondu, raconte Arno Humbert. Au RN, vous appelez, vous envoyez des mails, personne ne répond. Il y a au moins un problème de structure. » Il a démissionné avec cinq autres membres du bureau le 24 juin.
Ralliements à Eric Zemmour
Beaucoup de ces cadres déçus du RN réfléchissent à rallier une probable candidature d’Eric Zemmour. Arno Humbert, qui travaillait pour les sites Internet des fédérations, a basculé du côté du polémiste de CNews. Il a monté le site de l’auteur du Suicide français (Albin Michel, 2014), baptisé « Croisée des chemins ». « On est beaucoup mieux reçu qu’au RN, se réjouit-il. En huit mois, j’ai passé plus de temps avec Zemmour qu’en quatorze ans avec Marine Le Pen. Il est cultivé, c’est une pointure. Elle, c’est l’élevage des chats. Elle n’arrive pas à gérer le mouvement, alors vous pensez, le pays… Je voterai Zemmour au premier tour, et je m’abstiendrai au second. »
Article réservé à nos abonnés Lire aussi L’hypothèse d’une candidature présidentielle de Zemmour en 2022 inquiète et irrite le RN
Dans l’Aude, Robert Morio, ancien conseiller régional RN écarté de la liste en Occitanie, a pris la tête des Amis d’Eric Zemmour dans le département, avec une ancienne vice-présidente RN de la région, et cherche activement des parrainages. Franck Gaillard, maire de Chaume-et-Courchamp, un hameau de Côte-d’Or, songe à accorder le sien à Zemmour puisque « avec Marine on n’y arrivera pas. Elle se fiche des élus locaux, on ne gouverne pas un pays en n’écoutant pas la base ».
« Si une fédé Zemmour se crée, j’ai 240 personnes qui me suivent », assure Isabelle Lassalle, ancienne élue RN en Charente
En Charente, Isabelle Lassalle est séduite par l’essayiste d’extrême droite : « Je ne serai plus jamais candidate, j’ai trop souffert. Mais si une fédé Zemmour se crée, j’ai 240 personnes qui me suivent » – plus d’un tiers des 600 adhérents RN.
D’autres, malgré des années de militantisme et de campagnes électorales, ne croient plus du tout en la politique. A Belfort, Marie-Laure Duchanoy, écœurée, a jeté l’éponge : « La seule chose que je sais, c’est que je ne voterai ni Le Pen ni Macron. » Beaucoup ont renoncé à se demander quel bulletin ils choisiront, comme Eric Silvestre, dans le Jura : « Je ne sais pas si j’irai voter… D’ailleurs, j’ai la conviction que Marine Le Pen ne sera même pas au second tour. »