LaPaxENT
2021-07-16 22:27:09
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lection_pr%C3%A9sidentielle_fran%C3%A7aise_de_1848
'Le général Changarnier, candidat monarchiste malgré lui'
Officier prestigieux et respecté, le général Nicolas Changarnier (55 ans) s'est distingué au cours de la conquête de l'Algérie, dont il fut brièvement le gouverneur après Cavaignac. Auparavant, il était rentré en France, où il avait contribué à ramener l'ordre après la révolution de février. Élu député de la Seine au mois de juin, il fut nommé commandant de la Garde nationale par Cavaignac.
De sensibilité orléaniste, Changarnier fait partie, avec Bugeaud, de ces militaires « africains » approchés par la droite afin de concurrencer Cavaignac. Malgré le choix de Louis-Napoléon Bonaparte par le comité de la rue de Poitiers, certains monarchistes, et notamment des légitimistes intransigeants, optent pour Changarnier en qui ils voient un Monk capable de restaurer la monarchie30. Le journal légitimiste L'Hermine fait par conséquent campagne en sa faveur.
Or, comme Bugeaud avant lui31, Changarnier se désiste dès le mois de novembre32.
Dans une lettre ouverte adressée le 6 décembre aux rédacteurs de L'Hermine et de L'Étoile du peuple, le général confirme qu'il retire sa candidature : « Votre estimable journal m'apprend que beaucoup d'électeurs se proposent de me donner leurs voix pour la présidence de la république. Bien que fier et reconnaissant de ce témoignage de confiance, je vous prie d'annoncer à vos lecteurs que je ne puis accepter une candidature dont le résultat serait de diviser les suffrages des électeurs modérés »33.
L'adjectif « modérés » employé par Changarnier ne désigne pas les républicains modérés de Cavaignac mais bien les partisans de la droite monarchiste, modérément républicains. Son désistement est donc profitable au candidat soutenu par la rue de Poitiers.
'Louis-Napoléon Bonaparte, candidat bonapartiste « attrape-tout »'
La candidature de Louis-Napoléon Bonaparte est une candidature « attrape-tout », dans la mesure où elle rassemble des électorats très différents voire antagonistes.
Auteur d'une brochure socialiste utopique, De l'extinction du paupérisme (1844), il a la réputation d'être sensible à la condition de ces classes laborieuses (artisans, boutiquiers et ouvriers), qui haïssent le « bourreau » Cavaignac. Il fédère par conséquent une grande partie de l'électorat de gauche voire d'extrême gauche. Bonaparte en est conscient et, dans un manifeste publié le 30 novembre, il n'hésite pas à évoquer une possible amnistie pour les victimes de la répression de juin.
À l'autre extrémité du spectre politique, il reçoit le soutien de Thiers, qui agit au nom du comité de la rue de Poitiers. La droite monarchiste voit en effet un homme aisément manipulable dans ce candidat populaire mais apparemment maladroit. Afin de convaincre ses collègues de l'absence d'autonomie politique de Bonaparte, Thiers leur a affirmé : « C'est un crétin que l'on mènera »37. Bonaparte est également approché par un des chefs de la droite catholique, Montalembert, qui se voit promettre la satisfaction des deux grands chevaux de bataille des catholiques : la liberté de l'enseignement (future loi Falloux) et le rétablissement de la souveraineté du pape sur Rome (future expédition de Rome).
Ce ralliement de la droite monarchiste et cléricale est un précieux atout dans une France profonde très influencée par les curés et les notables. Le manifeste du 30 novembre donne des gages à ses alliés de la rue de Poitiers en insistant sur la défense de l'ordre, de la famille, de la religion, de la liberté d'enseignement et de la propriété. Il tend également la main aux libéraux en promettant de diminuer les impôts et de réduire la fonction publique. Il tente enfin de rassurer les opposants à un rétablissement de l'Empire : « Je ne suis pas un ambitieux qui rêve tantôt l'Empire et la guerre, tantôt l'application de théories subversives. […] Je mettrais mon honneur à laisser, au bout de quatre ans, à mon successeur le pouvoir affermi, la liberté intacte, un progrès réel accompli. »38
Dans un pays majoritairement rural et paysan, ce sont les électeurs villageois qui décideront de l'issue du scrutin. Or ceux-ci sont mal informés des événements parisiens et connaissent mal la plupart des candidats. Le nom de Bonaparte, en revanche, est connu de tous et suscite une nostalgie patriotique. Celle-ci touche naturellement l'armée dont plusieurs officiers, tels que Bugeaud et Sourd, appellent à voter pour le neveu de Napoléon39.
'Le général Cavaignac, candidat du gouvernement et des républicains « bleus »'
Il est soutenu pendant sa campagne par Le National, par l'Association démocratique des amis de la Constitution, et par de grands journaux libéraux tels que Le Siècle et le Journal des débats. Homme d'ordre, il apparaît comme le champion des républicains modérés, souvent issus de la haute bourgeoisie, attachés à la conservation de l'ordre social. Même des proches du comité de la rue de Poitiers, tels que le comte de Falloux, un légitimiste, et le comte de Rémusat, un ami de Thiers, optent pour la candidature du général.
Cavaignac bénéficie du soutien de la majorité des représentants du peuple, qui ont voté une motion déclarant qu'il « a bien mérité de la patrie »N 4, et de celui des membres de son gouvernement, notamment du ministre de l'Intérieur Dufaure, qui a transmis aux préfets une circulaire expliquant que la nation doit « se confier à un passé sans reproche, à un patriotisme incontesté, à une résolution mâle, énergique, déjà éprouvée au service de la République, plutôt qu'à de vaines et trompeuses promesses »15. Cavaignac peut donc compter sur la partialité de l'administration et de la fonction publique d'État16.
LaPaxENT
2021-07-16 22:27:30
'Lamartine, candidat de « l'illusion lyrique »'
Célèbre poète romantique, Alphonse de Lamartine (58 ans) est présent sur la scène politique depuis une quinzaine d'années. Député depuis 1833, il s'est opposé à la monarchie de Juillet et a publié en 1847 une Histoire des Girondins réhabilitant la révolution républicaine de 1792. Il a joué un rôle déterminant lors de la révolution de février 1848, en repoussant d'abord l'option de la régence de la duchesse d'Orléans au profit de la république, puis en rejetant le drapeau rouge de l'extrême gauche socialiste au profit du drapeau tricolore de 1789. Membre du gouvernement provisoire et ministre des Affaires étrangères, il fut l'âme de « l'illusion lyrique » des premiers mois du régime. C'est à ce titre qu'il a perdu une grande partie de son prestige et de sa crédibilité après les journées de juin 1848, qu'il n'a pas su empêcher.
Conscient de la faiblesse de ses appuis auprès des parlementaires modérés, qui se tournent désormais vers Cavaignac, il s'est prononcé, le 6 octobre, en faveur de l'élection du président par le peuple plutôt que par l'Assemblée. Or, il ne dispose pas de relais efficace auprès de l'opinion. Déjà discrédité aux yeux des ouvriers parisiens, déçus par sa conception libérale et bourgeoise de la république, et à ceux des bourgeois, outrés par son manque de fermeté à l'égard de l'extrême gauche, il reste peu connu des masses laborieuses provinciales. À l'évocation de son nom, des paysans s'interrogent : « Qu'est-ce que cette Martine ? »22
Sans se faire trop d'illusions sur ses chances même s'il s'imagine toujours prêt à rebondir, il estime qu'il aura « quelques voix philosophiques » et qu'il fera de bons score à Paris et dans son département de Saône-et-Loire. Évoquant sa candidature comme un sacrifice personnel consenti à contre-cœur par sens du devoir, hésitant face à la stratégie à adopter, il ne parvient pas à susciter l'enthousiasme autour de son nom. Il refuse pourtant de se retirer et, le 30 novembre, il envoie enfin aux journaux une lettre par laquelle il officialise sa candidature : « Je ne brigue pas les suffrages, je ne les désire pas. Mais la République peut avoir encore des difficultés et des dangers à traverser ; il y a aussi loin de la hardiesse de solliciter à la faiblesse de refuser, qu'il y a loin de l'ambition au dévouement. Ce dévouement me commande de ne pas retirer mon nom au libre choix du pays. J'accepte donc les suffrages qui se porteraient sur moi »23.
'Ledru-Rollin, candidat des démocrates-socialistes'
Candidat des républicains avancés partisans des réformes sociales (ceux que l'on appelle les « rouges »), défenseur du droit au travail et du droit à l'assistance, il s'appuie sur la Solidarité républicaine. Fondé le 4 novembre, ce club démocrate-socialiste présidé par Martin Bernard et dans lequel on retrouve Félix Pyat, Charles Delescluze et Mathieu de la Drôme, est présent aussi bien à Paris qu'en province, où les partisans de Ledru-Rollin mènent une campagne systématique. Son programme, prônant une réduction importante des impôts et la fondation du crédit public, jugé démagogique par les conservateurs25, est cependant beaucoup plus modéré que celui des socialistes « purs », qui optent pour une candidature autonome.
L'électorat de Ledru-Rollin est surtout constitué de républicains issus des classes populaires ou des couches inférieures de la bourgeoisie.
'Antoine Watbled, candidat indépendant marginal'
Chirurgien-major à la retraite depuis 1837, le docteur Antoine Watbled (55 ans), originaire de Landrethun-lès-Ardres, domicilié à Paris depuis six ans après avoir vécu à Toulon, est un inconnu qui estime que ses contemporains, et particulièrement les plus puissants d'entre eux, devraient écouter ses conseils. Il a ainsi adressé à tous les souverains français, de Napoléon à Louis-Philippe, aux députés, aux pairs de France, et à d'autres grands personnages, des lettres contenant ses théories hygiénistes ainsi que ses réflexions politiques, économiques et diplomatiques.
Après la révolution de février, Watbled s'est présenté sans succès aux élections à la Constituante. Il s'est néanmoins intéressé au projet de Constitution, dont il a publié — dans l'indifférence générale — une version modifiée par ses soins41. Persuadé que ses théories ne pourront être appliquées que par lui-même, il souhaite être candidat à l'élection présidentielle depuis le mois de septembre.
Son programme, destiné à assurer le « bonheur » immédiat du peuple, est aussi utopique que flou, un de ses projets les plus précis étant la création d'une banque nationale qui prêterait « à tous les Français qui en auraient besoin » à un taux de 5,5 % par an42.
Ignoré de tous, ce candidat marginal tente en vain de s'ériger en troisième homme. Ainsi, la veille du scrutin, il fait placarder sur les boulevards des affiches bleues sur lesquelles on peut lire : « Français, vous avez d'un côté Cavaignac, un sabreur, dont la liberté ne veut pas, de l'autre Louis-Napoléon, un prince, dont la République s'inquiète ; pour vous tirer d'embarras, nommez le docteur Watbled. Signé : Watbled. »43
'Raspail, candidat socialiste révolutionnaire'
Médecin des pauvres et vétéran des Trois Glorieuses, François-Vincent Raspail (62 ans) est un farouche défenseur des intérêts du peuple, qu'il estimait lésés par la monarchie de Juillet, un régime qui l'incarcéra à plusieurs reprises et dont il critiqua le conservatisme dans son journal, Le Réformateur (1834-1835).
En février 1848, après avoir été l'un des premiers à proclamer la République à l'hôtel-de-ville, il reprit volontairement le titre du journal de Marat pour créer une nouvelle feuille de gauche, L'Ami du Peuple. Dans le même temps, avec l'aide de ses fils Benjamin et Camille ainsi que d'autres activistes tels que Kersausie, il ouvrit un club politique, le club des Amis du Peuple, dont le nom faisait référence à une précédente société républicaine créée à l'époque de la révolution de 1830. Situé rue Montesquieu26, ce cercle était fréquenté par Alphonse Esquiros et Agricol Perdiguier27.
Républicain d'extrême gauche, anticlérical et jacobin, Raspail a fait de son journal le relai des revendications les plus progressistes (instruction publique gratuite et obligatoire, droit d'association, impôt progressif). Il voit dans la Révolution « non pas un changement de forme politique, mais une révolution dans l'organisation sociale »27. Ayant participé à la manifestation du 15 mai avec les révolutionnaires Blanqui et Barbès, il a été arrêté puis incarcéré à Vincennes. La Commission exécutive a également ordonné la fermeture de son club.
C'est donc depuis sa cellule, où il attend son procès, que Raspail s'est présenté à une élection législative complémentaire (élu le 17 septembre, il ne pourra pas siéger) et qu'il accepte, à la demande de ses partisans lyonnais, de se présenter comme candidat socialiste à l'élection du 10 décembre27. Il est pourtant hostile à la désignation d'un président de la République, estimant que « le premier commis du peuple » ne doit pas jouir de « prérogatives royales », et que « la force du président, c'est la faiblesse de la République, car il ne peut être fort qu'aux dépens de la patrie »28.
La candidature de Raspail bénéficie du soutien du Peuple de Proudhon29, pionnier de l'anarchisme.