Là, il raconte sa life à Orphée, poète impeccable. Il vient de raconter la Gigantomachie, fight des dieux de l'Olympe contre les Géants. Les Olympiens ont gagné mais Khirôn s'est rendu compte qu'ils auraient pu perdre.
Et moi, contemporain de jours prodigieux,
En plaignant les vaincus j'applaudissais aux Dieux,
Certain de leur justice, et pourtant dans mon âme
Roulant un noir secret brûlant comme la flamme,
Et je laissais flotter, au bord des flots assis,
Dans le doute et l'effroi mes esprits indécis ;
Songeur, je me disais : - Sur les cimes neigeuses
L'aigle peut déployer ses ailes orageuses,
Et, l'oeil vers Hèlios incessamment tendu,
Briser l'effort des vents dans l'espace éperdu ;
Car sa force est cachée en sa lutte éternelle ;
Il se complaît, s'admire, et s'agrandit en elle.
Avide de lumière, altéré de combats,
Le sol est toujours noir, les cieux sont toujours bas ;
Il vole, il monte, il lutte, et sa serre hardie
Saisit le triple éclair dont le feu l'incendie !
Les sereines forêts aux silences épais,
Chères au divin Pan, ruisselantes de paix,
Les sereines forêts, immobiles naguères,
Peuvent s'écheveler comme des fronts vulgaires ;
L'ouragan qui se rue en bonds tumultueux
Peut des chênes sacrés briser les troncs noueux ;
L'astre peut resplendir dans la nue azurée
Et brusquement s'éteindre au sein de l'Empyrée ;
L'Océan peut rugir, la Terre s'ébranler ;
Les races dans l'Hadès peuvent s'amonceler ;
L'aveugle Mouvement, de ses forces profondes,
Faire osciller toujours les mortels et les mondes...
Mais d'où vient que les Dieux qui ne mourront jamais
Et qui du large Aithèr habitent les sommets,
Les Dieux générateurs des astres et des êtres,
Les Rois de l'Infini, les implacables Maîtres,
En des combats pareils aux luttes des héros,
De leur éternité troublent le sûr repos ?
Est-il donc par delà leur sphère éblouissante
Une Force impassible, et plus qu'eux tous puissante,
D'inaltérables Dieux, sourds aux cris insulteurs,
Du mobile Destin augustes spectateurs,
Qui n'ont jamais connu, se contemplant eux-mêmes,
Que l'éternelle paix de leurs songes suprêmes ?
Répondez, répondez, ô Terre, ô Flots, ô Cieux !
Que n'ai-je, ô roi d'Athos, ton vol audacieux !
Que ne puis-je, ô Borée, à tes souffles terribles
Confier mon essor vers ces Dieux invisibles !
Oh ! sans doute, à leurs pieds, pâles Olympiens,
Vous rampez ! Faibles Dieux, vous n'êtes plus les miens
Comme toi, blond Phoibos, qu'honore Lykorée,
Je darde un trait aigu d'une main assurée :
Python eût succombé sous mes coups affermis !
J'ai devancé ta course, ô légère Artémis !
Comme vous immortel, ma force me protège ;
Les Dieux des bois souvent ont formé mon cortège ;
J'ai porté des lions dans mes bras étouffants,
Et mon père Kronos est votre aïeul, enfants !
O Zeus ! les noirs Géants ont balancé ta gloire...
C'est aux Dieux inconnus qu'appartient la victoire,
Et mon culte, trop fier pour tes autels troublés,
Veut monter vers ceux-ci, de la crainte isolés,
Qui n'ont point combattu, qui, baignés de lumière,
Dans le sein de la Force éternelle et première
Règnent calmes, heureux, immobiles, sans nom
Irrésistibles Dieux à qui nul n'a dit : Non !
Qui contiennent le monde en leurs seins impalpables
Et qui vous jugeront, hommes et Dieux coupables !
Hélas ! tel je songeais, Chanteur mélodieux !
J'osais délibérer sur le Destin des Dieux !
Ils m'ont puni. Bientôt les Kères indignées
Trancheront le tissu de mes longues années ;
La flèche d'Hèraklès finira mes remords ;
J'irai mêler mon ombre au vain peuple des morts.
Et l'antique Chasseur des forêts centenaires
Poursuivra dans l'Hadès les cerfs imaginaires !