Le 10 novembre 2021 à 11:48:57 :
Quelle sera la société nouvelle ? Je l’ignore. Ses lois me sont inconnues. [...] Vraisemblablement l’espèce humaine s’agrandira, mais il est à craindre que l’homme ne diminue, que quelques facultés éminentes du génie ne se perdent, que l’imagination, la poésie, les arts, ne meurent dans les trous d’une société-ruche où chaque individu ne sera plus qu’une abeille, une roue dans une machine, un atome dans la matière organisée.
François-René de Chateaubriand, L'avenir du monde , Mémoires d'outre-tombe
Le 10 novembre 2021 à 11:49:34 :
Voulez-vous donner à l’esprit humain une certaine hauteur, une façon généreuse d’envisager les choses de ce monde ? Voulez-vous inspirer aux hommes une sorte de mépris des biens matériels ?
Désirez-vous faire naître ou entretenir des convictions profondes et préparer de grands dévouements ? S’agit-il pour vous de polir les mœurs, d’élever les manières, de faire briller les arts ? Voulez-vous de la poésie, du bruit, de la gloire ? Prétendez-vous organiser un peuple de manière à agir fortement sur tous les autres ? Le destinez-vous à tenter les grandes entreprises, et, quel que soit le résultat de ses efforts, à laisser une trace immense dans l’histoire ? Si tel est, suivant vous, l’objet principal que doivent se proposer les hommes en société, ne prenez pas le gouvernement de la démocratie ; il ne vous conduirait pas sûrement au but.
Mais s’il vous semble utile de détourner l’activité intellectuelle et morale de l’homme sur les nécessités de la vie matérielle, et de l’employer à produire le bien-être ; si la raison vous paraît plus profitable aux hommes que le génie ; si votre objet n’est point de créer des vertus héroïques, mais des habitudes paisibles ; si vous aimez mieux voir des vices que des crimes, et préférez trouver moins de grandes actions, à la condition de rencontrer moins de forfaits ; si, au lieu d’agir dans le sein d’une société brillante, il vous suffit de vivre au milieu d’une société prospère ; si, enfin, l’objet principal d’un gouvernement n’est point, suivant vous, de donner au corps entier de la nation le plus de force ou le plus de gloire possible, mais de procurer à chacun des individus qui le composent le plus de bien-être et de lui éviter le plus de misère ; alors égalisez les conditions et constituez le gouvernement de la démocratie.
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique