[Pavé] Tous mes profs d'histoire ont regretté leur choix

Spatinou
2020-12-28 22:33:20

Lors de mon tout premier cours d'histoire en 6ème j'avais été fasciné par cette matière, je savais que je voudrais étudier dans ce domaine, devenir historien ! :rire:
Dès cette époque j'avais déjà commencé à lire beaucoup de mon côté, à me forger une culture, et à discuter longuement avec mes profs sur comment fonctionnait ce métier et les études d'histoire.

I- Le collège.

Mon premier prof en 6ème avait été super, plus que la matière c'est aussi sa personne qui m'avait donné goût à l'histoire, mais il est parti l'année suivante malheureusement.

Ensuite j'ai eu la même prof d'histoire les 3 années suivantes au collège, c'est surtout à elle que j'ai demandé des détails et des conseils, première douche froide : les historiens consacrent une grande partie de leur temps à l'enseignement (collège/lycée/université), ce qui ne me plaisait pas forcément car j'étais alors assez timide et le collège où j'étais ne donnait pas forcément une bonne image du métier d'enseignant et de bonnes conditions de travail.
Ma vision idéale était de parcourir des archives, de voyager de temps en temps, et surtout d'écrire des articles et des livres, beaucoup, voire donner des conférences ponctuelles.

Ma prof m'avait expliqué que le principal débouché était donc le métier de prof d'histoire-géo, à BAC+5 et CAPES, elle m'a aussi parlé des thèses en doctorat et m'a initié aux autres voies possibles dans le patrimoine et la culture, tout en m'avertissant sur le nombre restreint de postes (ce qui n'allait pas en s'améliorant mais nous y reviendrons), l'ultra-sélectivité des concours, le poids de certaines écoles incontournables (comme celle du Louvre), et qu'au final ceux qui s'engageaient dans ces voies embrassaient souvent une route précaire sans toujours de résultats au bout et "pensaient plus à ce qu'ils allaient manger à midi qu'au reste"...

II- Le lycée.

J'arrive ensuite au lycée et nouvelle surprises. Mon prof en Seconde et en Première s'était lancé dans des études d'histoire par passion et avait un doctorat, il s'était spécialisé plus particulièrement dans l'Égypte antique (assez bouché me direz-vous comme domaine). Il avait enseigné en TD à la Fac une année et se trouvait en lycée faute de mieux, il m'avait lui-même dit qu'il "espérait que cela n'en resterait pas ainsi". Mais ce qui m'avait le plus chamboulé c'est que lorsque nous parlions d'orientation et d'études supérieures il me poussait à m'intéresser à des filières plus concrètes, des DUT, des licences d'éco-gestion, etc, il se projetait surtout sur moi dans ces cas-là, le constat était sans appel : il regrettait son choix et me le faisait comprendre.

En Terminal notre prof titulaire a été quasiment toute l'année en arrêt maladie, le jeune suppléant qui le remplaçait aurait été moi si j'avais fait des études d'histoires : surqualifié pour le poste, espérant obtenir une place en université, se demandant ce qu'il faisait là devant une classe de lycéens qui se fichaient de son cours, ne me regardant que moi et mon voisin, les seuls qui suivaient, il me faisait vraiment de la peine... Et lui aussi lors des questions d'orientation m'a poussé à intégrer des filières plus concrètes et professionnalisantes, disant que ce "serait une vrai opportunité et une vrai chance".

III- L'Université.

Mais pourtant malgré tout cela je ne me voyais que faire des études d'histoire, j'ai donc intégré la Fac et la première année était super il faut l'avouer, honnêtement ça m'a beaucoup plu. C'est très facile quand on aime vraiment une discipline et que l'on maîtrise la méthodologie, nous n'avons pas l'impression de "travailler" même si il faut beaucoup lire et emmagasiner beaucoup de connaissances à reverser lors des CM.

À la Fac il y avait d'un côté les enseignants-chercheurs, titulaires, qui ont leur place, donnent des cours en CM et se consacrent à la recherche le reste du temps, et qui se rapprochaient le plus de l'image que j'avais initialement des historiens. De l'autre côté il y avait les chargés de TD, jeunes enseignants de collège-lycée fraîchement diplômés. C'était ces derniers qu'il fallait que j'observe tout particulièrement, et ce n'était pas glorieux.

L'une d'entre elle m'avait avoué lors d'une discussion à la fin d'un TD être "allé en histoire sur un malentendu". Elle était doctorante et avait pourtant opté pour un double-cursus en géographie et aménagement du territoire, mais malgré ça elle n'avait pas trouvé mieux que l'enseignement en collège en tant que prof d'histoire-géo (il faut d'ailleurs savoir qu'en histoire à l'inverse d'autres filières le CAPES est obligatoire), et cela lui pesait.

Un autre plutôt spécialisé dans l'archéologie voulait intégrer l'INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives). Lorsque nous lui avions demandé comment faire pour y entrer il nous avait répondu cyniquement "connaître quelqu'un qui travaille à l'INRAP"... Il avait enchaîné et enchaîné des chantiers archéologique où selon ses dires il "creusait dans la boue"... Il était à côté de ça lui aussi prof d'histoire-géo au collège où il avait le sentiment d'être bloqué.

Un autre encore, agrégé, s'imaginait déjà pouvoir avoir une place à l'université, mais lui aussi, prof d'histoire-géo dans le secondaire, s'est rendu compte qu'il n'avait pas plus d'opportunités. Nous l'avons vu devenir terne et moins dynamique au fur et à mesure que le semestre passait, allant à la fin jusqu'à nous conseiller des alternatives comme l'École des Chartes, afin de "devenir conservateur" (et de ne pas finir comme lui), mais même-là ce n'est pas forcément gage d'avoir quoi que ce soit à l'arrivée.

D'ailleurs on nous avait bien dit au début de la L3 que la filière évolue globalement, qu'il n'y a plus vocation à intégrer l'université comme cela se faisait avant. À l'entrée des Master 1 axés recherche les profs annoncent clairement qu'il faut "aller en master patrimoine sinon vous n'aurez pas de travail". Nous allons justement en parler.

IV- Mes stages et ma réorientation.

J'avais déjà fait quelques chantiers archéologiques, mais pendant ma licence j'ai pu faire deux stages, le premier dans un musée archéologique et un autre en archives, et c'était franchement magnifique, parmi les meilleures périodes de ma vie, rien que pour ça je ne regrette pas de m'être orienté initialement en études d'histoire, j'ai vraiment pu goûter à mon rêve et le bonheur de se lever tous les matins pour exercer sa passion !
Mais le revers de la médaille : les postes qui déjà se réduisaient, le fonctionnement de certains concours qui ne garantissent pas une place même en cas de réussite, l'usage de contractuels et de gens de parfois plus de 40 ans précaires et à mi-temps, notamment en archives (à ce moment je me suis dit : "si avec leur diplôme et toutes leurs années d'expériences ils en étaient là, qu'en sera-t-il pour moi ?").
Je vous passerai les autres détails, etc.
C'était vraiment un cocon, une parenthèse enchantée, et c'est justement cela, cette expérience concrète du milieu, qui m'a fait me détourner définitivement de ce domaine.
À partir de la L3 je bifurque en sciences politiques, c'était un peu plus général comme études, et avec j'ai passé un concours de la fonction publique à un poste où je suis toujours, je ne regrette pas mon choix, je l'ai réfléchi en connaissance de cause.

V- Conclusion.

Maintenant si j'ai un conseil à donner aux jeunes qui voudraient se lancer, si vous voulez être prof d'histoire-géo alors les études d'histoire c'est très bien, sinon attendez-vous à galérer, et ce bien plus que vous pouvez le penser.
N'écoutez pas les gens qui vous diront "fait ce qui te plaît et crois-y à fond", non, à un moment il faut être réaliste, ce sont des belles paroles qui ne les engagent à rien et ils ne sont pas à votre place.
Trop de gens intègrent des filières littéraires sans débouchées, et certains sont victimes de profs sans scrupules (l'un des nôtres en L3 encourageait des étudiants à intégrer son master recherche inutile dans le simple but que celui-ci soit maintenu alors qu'il savait très bien qu'il n'y avait rien au bout).

Rien ne vous empêche de stimuler votre passion pour l'histoire à côté, comme moi-même je le fais, en lisant, en visitant des musées, des édifices historiques, des chantiers archéologiques, des colloques et j'en passe :ok:

Voilà globalement pour mon expérience, j'espère que cela peut éclairer des gens et les aider :ok:

Major_Carter
2020-12-28 22:34:00

trop long quille

Spatinou
2020-12-28 22:37:00

Le 28 décembre 2020 à 22:34:00 Major_Carter a écrit :
trop long quille

J'ai mis des parties :ok:

Rex-Mundi
2020-12-28 22:40:45

Intéressant

LeBonJarret
2020-12-28 22:41:03

" Maintenant si j'ai un conseil à donner aux jeunes qui voudraient se lancer, si vous voulez être prof d'histoire-géo alors les études d'histoire c'est très bien, sinon attendez-vous à galérer, et ce bien plus que vous pouvez le penser. "

Ceci ne concerne pas que l'histoire.
En fait, il faut vouloir être prof avant tout, la matière est secondaire.
Si on ne souhaite pas être prof à la base, mais que l'on fait ce métier par défaut, il est rare que cela soit satisfaisant, peut-importe le domaine.

Spatinou
2020-12-28 22:45:13

Le 28 décembre 2020 à 22:41:03 LeBonJarret a écrit :
" Maintenant si j'ai un conseil à donner aux jeunes qui voudraient se lancer, si vous voulez être prof d'histoire-géo alors les études d'histoire c'est très bien, sinon attendez-vous à galérer, et ce bien plus que vous pouvez le penser. "

Ceci ne concerne pas que l'histoire.
En fait, il faut vouloir être prof avant tout, la matière est secondaire.
Si on ne souhaite pas être prof à la base, mais que l'on fait ce métier par défaut, il est rare que cela soit satisfaisant, peut-importe le domaine.

Oui là je parle de l'histoire plus spécifiquement :ok:
Comme je le dit si on veut être prof alors c'est la bonne voie, mais que si c'est juste une roue de secours, comme pour tous les cas que j'ai cité, alors forcément on ne sera pas épanoui.

Spatinou
2020-12-28 22:54:31

Je tiens à préciser pour les chargés de TD à la Fac, ils sont profs en collège ou en lycée et donnent quelques cours de TD à la fac hebdomadairement, ils se plaignaient d'être payés au lance-pierre, de se sentir dévalorisés, et attendaient vainement qu'un poste d'enseignent-chercheur se libère enfin, certains d'entre eux se faisaient les courtisans des titulaires, c'était assez peinant à voir.

Spatinou
2020-12-29 10:20:32

:up:

Spatinou
2020-12-29 14:39:00

:up:

Cestla
2020-12-29 14:43:31

Très intéressant, merci kheyou. L'histoire c'est ma passion, j'aurai adoré faire des études dans cette filière là mais j'ai pas envie de devenir prof. Ca me réconforte dans mon choix :oui:

Spatinou
2020-12-29 16:00:00

Le 29 décembre 2020 à 14:43:31 Cestla a écrit :
Très intéressant, merci kheyou. L'histoire c'est ma passion, j'aurai adoré faire des études dans cette filière là mais j'ai pas envie de devenir prof. Ca me réconforte dans mon choix :oui:

De rien, ravi d'aider :ok:

neo_mika
2020-12-29 16:38:05

j'ai eu ma licence de géo mon khey et je pensais continuer en master urbanisme pour taffer en collectivité, les salaires ont l'air minable ? t'as des infos ?

j'hésite à repartir sur un dut GEA puis éco-gestion

Spatinou
2020-12-29 18:51:37

Le 29 décembre 2020 à 16:38:05 neo_mika a écrit :
j'ai eu ma licence de géo mon khey et je pensais continuer en master urbanisme pour taffer en collectivité, les salaires ont l'air minable ? t'as des infos ?

j'hésite à repartir sur un dut GEA puis éco-gestion

Salut, alors pour la géographie je ne suis pas le mieux placé pour répondre mais tu n'as pas besoin d'avoir le CAPES et tu auras plus d'opportunités, plus diversifiées, qu'en histoire en tout cas.

Quand tu dis de repartir sur un DUT GEA tu reprendrais à quel niveau ?

brastilavadu67
2020-12-29 19:35:13

Topic vraiment intéressant pour les jeunes qui se lancent dans les études supérieures ou encore en L1 L2 :ok:

Et l'histoire est loin d'être le seul domaine bouché malheureusement

Spatinou
2020-12-29 20:37:57

Le 29 décembre 2020 à 19:35:13 brastilavadu67 a écrit :
Topic vraiment intéressant pour les jeunes qui se lancent dans les études supérieures ou encore en L1 L2 :ok:

Et l'histoire est loin d'être le seul domaine bouché malheureusement

Oui sans être dramatique je me veux le plus objectif possible, et le constat n'est pas vraiment au beau fixe, si cela évite des désillusions alors tant mieux.

LaNuitBleue
2020-12-29 20:58:23

certains sont victimes de profs sans scrupules (l'un des nôtres en L3 encourageait des étudiants à intégrer son master recherche inutile dans le simple but que celui-ci soit maintenu alors qu'il savait très bien qu'il n'y avait rien au bout).''''

Véridique putain

LaNuitBleue
2020-12-29 20:59:11

De manière générale ton expérience est valable pour tous les Master sauf en médical et commerce

Spatinou
2020-12-30 19:46:39

Le 29 décembre 2020 à 20:59:11 LaNuitBleue a écrit :
De manière générale ton expérience est valable pour tous les Master sauf en médical et commerce

Oui malheureusement c'est le cas pour beaucoup de filières.

-AntonioGramsci
2020-12-30 19:48:17

Excellent topic. Signé un ancien étudiant en histoire
Curieux de savoir ce que tu fais aujourd'hui l'op

Spatinou
2020-12-30 19:53:03

Le 30 décembre 2020 à 19:48:17 -AntonioGramsci a écrit :
Excellent topic. Signé un ancien étudiant en histoire
Curieux de savoir ce que tu fais aujourd'hui l'op

Salut khey, "ancien étudiant" ? Pourrais-tu nous raconter ton parcours ?

Aujourd'hui j'ai passé un concours qui n'a pas grand chose à voir avec l'histoire, dans les finances publiques, j'y suis plutôt bien.

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