L’homme qui a rencontré Tezuka
Lorsqu’en 1982, le « Dieu des Mangas » Osamu Tezuka était venu à Angoulême, personne n’avait reconnu le fondateur de l’industrie des mangas et du dessin animé japonais. Personne, sauf Moebius, que Tezuka venait inviter à Tôkyô pour le lancement au Japon du dessiné animé que l’auteur de L’Incal venait de réaliser avec René Laloux, Les Maîtres du Temps. Tezuka l’avait reçu chez lui, comme un monarque recevant l’un de ses pairs. Moebius en était revenu impressionné par la créativité et la vitalité de la production japonaise. « Il faut lire des mangas », disait-il alors à qui voulait l’entendre.
Interrogé par Le Soir sur le succès fulgurant des mangas dans nos contrées, il l’explique par les qualités intrinsèques de la BD nipponne : « ... les ressorts subtils de leurs récits expriment d’autres manières de concevoir les rapports humains. Les Japonais posent un regard idéalisé sur l’Occident à travers les mangas. » Interrogé sur la peur que suscite le succès de mangas qui constituent désormais 40% de l’offre francophone en bande dessinée, Moebius est radical : « Il va falloir se battre, allumer des contre-feux, faire sentir que nous avons nous aussi le droit d’exister. Autrement, on va se retrouver dans une logique proche de celle du modèle cinématographique hollywoodien : celle du profit à court terme. Au bout de cette forme de guerre totale, il y aurait sans doute l’espoir d’un nouveau monde de fraternité planétaire. Mais entre-temps, nous aurons été laminés comme les Romains. Pas physiquement, mais culturellement. » Il appelle à réfléchir sur les spécificités de la bande dessinée franco-belge, sur sa difficulté de s’exporter vers le Japon, mais aussi vers des marchés culturellement plus « proches » comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne... Cela fait, dit-il, « Il faudrait étudier les mécanismes de protection, une sorte d’exception culturelle en faveur de la BD.