Depuis trois heures Michel était sur son Macbook; aliéné par cette ultaconnectivité que lui offre internet. Cela fait un moment que c’est devenu pour lui un rituel; aussi bien défini que n’importe quelle règle monastique de Saint Benoit et suivi a la lettre. Jadis il passait de page en page, d’un porno a l’autre; il aimait particulièrement la catégorie gonzo — ce genre qui se caractérise par l'absence de scénario, de décors, de dialogues; un genre en somme à l’image de sa vie. Aujourd’hui cela ne lui suffit plus: il se connecte alors au réseau BitTorrent. Ce protocole de transfert de données pair à pair mis en place à l'été 2002 par le programmeur Bram Cohen permet à Michel de rentrer anonymement en contact avec des milliers d’êtres comme lui, des hommes de sa génération, trentenaires, cadres, et seuls. Il ne se parlent jamais — c’est la nature du réseau — mais en se partageant du contenu pornographique se maintiennent mutuellement en vie, sans nécessairement s’en rendre compte. Cette vie calcifiée dans laquelle aucun avenir n’est possible, aucun d’entre eux ne l’a choisie; ils subissent les mutations imperceptibles mais infiniment continues d’une société néolibérale indifférente qui les suffoque. En s’envoyant bit par bit des femmes qui leurs sont inaccessible il se font justice eux-même face au néant sexuel qu’ils vivent; ils ne sont dans cet univers plus prisonniers mais maitres de leur choix.
Le liquide pre-seminal est sec et Michel n’arrive plus a bander; il s’endort sur video de sodomie dans une chambre ou son écran d’ordinateur est seule source de lumière.
