Alyce, apprentie, 1360 euros par mois : un déjeuner à l'extérieur, «mon seul petit plaisir»
À COMPTE OUVERT - Tabou, l'argent, pour les Français ? Pas tant que ça… Pour Le Figaro , ils ont accepté de parler pouvoir d'achat, dépenses, petits plaisirs et galères au quotidien. Notre série de reportages se poursuit à Montpellier, où Alyce, étudiante en alternance, tente de joindre les deux bouts.
C'est la première chose qu'Alyce fait le matin, la dernière le soir : regarder ses comptes. Parce qu'on ne sait jamais, peut-être que dans la nuit une dépense oubliée - ou pire, imprévue - sera débitée de son compte en banque. Alyce, 21 ans, est une étudiante comme les autres, c'est-à-dire à petit budget, mais l'insouciance en moins. Ses parents ne peuvent pas l'aider à financer ses études, elle vit donc avec ses revenus d'apprentie dans une start-up. Elle partage son temps entre cette activité, son école de commerce et des cours d'anglais qu'elle donne occasionnellement à des lycéens.
Nous la retrouvons le temps d’une pause déjeuner au centre commercial Odysseum de Montpellier, pas très loin de son école. Le complexe, bâti au tournant du millénaire, a été pensé comme un parc d'attractions futuriste. Le visiteur peut se garer sur le parking Circé, flâner dans l'allée Ulysse et sa flopée de palmiers, enfiler des patins pour conquérir la patinoire Végapolis. Alyce est attablée dans un café, baigné de soleil en ce milieu de journée d’hiver. Elle dépiaute un muffin sur la table en bois clair. Chaque semaine, elle se permet ce moment à elle: un déjeuner à l'extérieur. « C'est mon petit plaisir », indique-t-elle. « Le reste du temps, chaque euro compte ».
Une gorgée de cappuccino et on passe aux comptes. Alyce peut citer de tête toutes ses ressources et ses dépenses à l'euro près. Son salaire d'alternante: 1040 euros chaque mois, auxquels il faut ajouter 200 euros d'aides personnalisées au logement (APL) et 120 euros de prime d'activité. Parfois, elle donne des cours particuliers d'anglais, mais chaque mois reste un jeu d'équilibriste financier. La moitié de ses ressources passe dans son loyer. Autre gouffre : l'essence, qui lui coûte 300 euros par mois. Car son travail d'apprentie consiste à faire de la prospection pour une start-up spécialisée dans le secteur de la restauration. Alyce passe son temps sur les routes, allant d'un restaurant à l'autre. Ses frais de déplacement ne sont pas remboursés par l'entreprise.
«Je me demande si ce n'est pas moi le problème»
L'étudiante travaille chaque été depuis le lycée, la plupart du temps en tant que serveuse. Pas seulement par obligation. C'est aussi une sorte de fierté. Sa manière de prouver qu'elle est indépendante et que sa vie a été construite à la force de ses bras. C'est un trait de personnalité désormais. Elle explique d'un air sérieux: « à 12 ans, j'ai reçu une carte de retrait. Ensuite, j'ai reçu 20 euros d'argent de poche par semaine. Ça m'a permis de prendre conscience de la valeur de l'argent ».
L'argent est une préoccupation permanente, mais un argument secondaire dans le choix de son travail. « L'important, c'est que je me sente bien. J'ai déjà connu une entreprise où ça se passait mal. J'allais au travail la gorge nouée. Je ne veux plus connaître ça », évacue-t-elle. Alyce devrait toucher 200 euros de plus par mois pour sa deuxième année d'alternance, si tout va bien. C'est un peu moins que ce qu'elle estime correct pour vivre, mais cela permettra au moins de lever un peu la pression.
Même si ses revenus se situent au-dessus de ceux de la moyenne des étudiants, Alyce anticipe toutes ses dépenses. Idéalement, il faudrait qu'elle dépense moins de 150 euros pour vivre chaque semaine. « Mais ça ne marche jamais », soupire-t-elle. « Je commence à me demander si ce n'est pas moi le problème ». Surtout quand elle voit ses copines arriver en cours avec des baskets à plus de 120 euros. Alyce, elle, louche sur une paire de Nike Air Force One. 80 euros, au bas mot. Il faudra encore quelques mois d'économies. « Mais c'est surtout parce que ce n'est pas ma priorité », rectifie-t-elle. Quand elle a un peu d'argent, l'étudiante préfère se payer un bon restaurant - elle est passionnée de gastronomie - ou une sortie avec ses amis. « Ces dernières années, j'ai vu mourir sur les routes un très bon ami, cinq copines, et un autre copain, en scooter. Passer du temps avec les gens, c'est ça qui compte pour moi. Je m'achèterai des vêtements quand je serai vieille et seule ».
«On vit tous au dessus de nos moyens»
En raison d'une maladie chronique, le médecin de la jeune femme lui a conseillé de ne manger que des produits frais et sains, elle refuse donc de rogner sur son budget alimentation. S'y ajoute un traitement non remboursé, à 50 euros par mois. Et une protection juridique, pour 13 euros par mois - la mère d'Alyce a déjà eu des démêlés avec la justice pour des questions d'héritage, alors la jeune femme préfère être prévoyante.
Manger, se soigner, se déplacer... Sans que l'on y fasse attention, les postes de dépenses s'accumulent. Alyce parle ainsi de « fin du mois » dès le 20 - elle est généralement payée entre le 5 et le 10 du mois suivant. C'est long, et ça ne permet pas beaucoup de dépenses imprévues. Mais quand la machine à laver rend l'âme, il n'y a pas de solution, il faut en racheter une. Ça lui est arrivé il y a quelques semaines. Coût du remplacement: 259 euros. Plus récemment encore, c'est l'ordinateur d'Alyce qui a planté. Encore une fois, il a fallu le changer. Elle a pris un MacBook, payé par mensualités sur 36 mois. Mais un MacBook quand même. « On vit tous au-dessus de nos moyens », s'excuse-t-elle. Alyce bascule au fond de sa chaise, et oublie un instant la «valeur travail» qu'elle a tellement vantée. « Tu vois, je pense qu'au final on aimerait tous être rentiers », imagine-t-elle.
De manière plus réaliste, Alyce rêve surtout du moment où elle sera propriétaire. « Mais les prix augmentent de fou, avec tous les Parisiens qui s'installent ». Roulement des yeux. « Je le sais bien: mes parents ont déménagé il n’y a pas longtemps. Leur ancienne maison a été rachetée par des Parisiens ». Alyce voudrait une maison dans l'arrière-pays, car elle ne veut pas que ses enfants grandissent en ville. Et pas trop loin de la mer. Un jardin, peut-être une piscine, et surtout, « une grande cuisine, à l'américaine ». Comme ses parents avant elle.
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après je suis pas très dépensier, je pars jamais en vacances, je fais très peu de sorties, j'achète peu de fringues etc
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