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2024-11-09 12:37:44
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« Ils veulent se montrer guerriers » : pourquoi les ados utilisent katanas, haches et machettes pour en découdre
Par Victoire Haffreingue-Moulart Le 8 novembre 2024 à 12h05
6 - 8 minutes
Assis dans une rame du RER E maculée de sang, deux adolescents reprennent tant bien que mal leurs esprits tandis qu’un autre filme la scène. « C’est des fous wesh, ils (lui) ont coupé le doigt », commente celui avec son téléphone. Sur les images, on discerne un ado, main sur la tête, qui tente de stopper l’hémorragie. Quelques sièges plus loin, un autre laisse pendre sa main dans le vide. La phalange de son auriculaire gauche a disparu, tranchée quelques minutes plus tôt par une hache.
La scène a été filmée lundi vers 8 heures en gare d’Ozoir-la-Ferrière (Seine-et-Marne). Alors que des ados de Roissy-en-Brie se trouvaient dans la rame de queue du RER, ils ont été victimes d’un guet-apens. Ils ont vu débarquer une dizaine de jeunes d’Ozoir munis notamment d’une hache, une arme particulièrement redoutable. Selon un proche d’un des ados pris pour cible, les jeunes seraient même arrivés avec « des machettes et un katana ».
Une situation devenue régulière sur les scènes de rixe entre bandes rivales. Les couteaux laissent parfois la place à des armes d’un autre calibre, comme des sabres ou encore des coupe-coupe. Le 10 septembre, un employé technique du lycée Fustel-de-Coulanges, à Massy (Essonne), découvrait une machette cachée dans le faux plafond des toilettes. Début octobre, à la suite d’un affrontement qui avait fait trois blessés sur la dalle Beaugrenelle, à Paris (XVe), les forces de l’ordre retrouvaient à quelques centaines de mètres un katana abandonné par les agresseurs.
« Aujourd’hui, l’idée de tuer ou de se faire tuer devient une éventualité pour les gamins »
Comment expliquer la présence de telles armes ? Depuis trente ans, Amar Henni travaille auprès des adolescents à Grigny (Essonne), dans un département particulièrement touché par le phénomène des rixes. La situation, ce directeur de formation de travailleurs sociaux et éducatifs l’a vue évoluer au fil des générations.
« Il y a une sorte de code du quartier qui s’est mis en œuvre, explique Amar Henni. Et dans ce code, aujourd’hui, l’idée de tuer ou de se faire tuer devient une éventualité pour les gamins. C’est ça le drame et à partir de là, ils vont prendre une arme », retrace-t-il. Et le choix de l’arme est souvent loin d’être anodin. « Ils vont prendre un katana, un marteau, un couteau, parce qu’ils veulent se montrer guerriers, violents. L’arme va déterminer l’image qu’ils veulent renvoyer, le personnage qu’ils se créent. »
À l’heure où les réseaux sociaux jouent un rôle primordial dans les rixes, la réputation passe par l’image que ces adolescents se créent sur Snapchat ou TikTok. « Le téléphone est devenu une arme à part entière, estime une source policière habituée du phénomène depuis plusieurs années. C’est sur les réseaux qu’ils vont ridiculiser l’autre bande, qu’ils peuvent se chauffer. Ils vont aussi utiliser leur téléphone pour se filmer et prouver leurs actes, montrer qu’ils sont déterminés. »
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La pire chose qui puisse arriver pour ces jeunes, c’est d’être humilié, et dans ces situations, les réseaux sociaux sont une caisse de résonance énorme. « Ils appellent ça hagar quelqu’un (terme arabe utilisé dans le sens humilier quelqu’un), explique Amar Henni. Il faut répondre à cette humiliation. Si on ne réagit pas, ça veut dire qu’on devient une victime et on n’est plus respecté dans son quartier. Il faut aller loin dans la réaction. »
Prêts à « faire du sale »
C’est dans ce contexte-là que les ados peuvent finir par sortir l’artillerie lourde. À Ozoir, la virée expéditive à coups de hache faisait suite justement à une humiliation. Une dizaine de jours plus tôt, un jeune avait été passé à tabac par la bande rivale, impossible dans ce contexte de ne pas riposter… Et la hache a eu le mérite de marquer les esprits, en premier lieu celui de leurs cibles.
« En prenant une telle arme, l’ado montre à ses amis qu’il va jusqu’au bout, qu’il est là pour faire du sale. Avant dans la tête des jeunes faire du sale, dans le quartier, c’était quelque chose qui était banni. Aujourd’hui, c’est revendiqué. »
Les adolescents impliqués dans des rixes entre bandes rivales n'hésitent plus à se munir de sabres ou de machettes pour en découdre. Des armes que l'on peut facilement acquérir dans des magasins ou en ligne
Les adolescents impliqués dans des rixes entre bandes rivales n'hésitent plus à se munir de sabres ou de machettes pour en découdre. Des armes que l'on peut facilement acquérir dans des magasins ou en ligne LP/Victoire Haffreingue-Moulart
Mais pourquoi choisir une machette ou un sabre ? L’inspiration peut venir de partout, estime Amar Henni. « Il y a les clips, les films, les jeux vidéo… Vous regardez aujourd’hui sur Netflix, il n’y a plus une seule production qui n’est pas violente. » Dans certains clips de rap, à l’instar du titre « Opinel XIII » de NM ou « Machette » de Meding, les rappeurs n’hésitent pas à brandir des armes blanches. Tandis que dans GTA, une série de jeux vidéo parmi les plus populaires au monde, les protagonistes peuvent se procurer hache ou machette pour massacrer leur cible.
« Des armes, ça se trouve facilement »
Il y a aussi la problématique de l’accès à l’arme, relève notre source policière. Pour elle, c’est surtout une question d’opportunité. Ainsi, certains ados vont s’équiper dans la boîte à outils de leurs parents, en piquant tournevis ou marteau, tandis que d’autres vont pouvoir trouver une hache ou une machette.
Et si un jeune souhaite absolument s’en procurer pour parfaire sa réputation de gros dur, il n’est pas très compliqué d’en trouver, assure Amar Henni. « Les gamins vont connaître quelqu’un qui va leur vendre ça pour une bouchée de pain, affirme-t-il. Des armes, ça se trouve facilement. En une semaine, je vous dégote ça… »
Pour notre source policière, cela ne fait aucun doute, les ados peuvent facilement mettre la main dessus, pointant du doigt certaines armureries peu regardantes sur l’âge des clients. « Ça arrive souvent que des gamins sortent du collège et viennent ici, raconte un armurier parisien qui se défend de vendre à des mineurs. Ils nous posent des questions. S’ils veulent acheter, on leur demande leur pièce d’identité et ça s’arrête là. Mais ils peuvent facilement se fournir sur Internet », regrette le professionnel. Et les prix sont loin d’être prohibitifs. Pour une vingtaine d’euros, il est possible de se procurer une machette d’une trentaine de centimètres…