[Taillefer]
2024-11-11 22:40:24
Il faut aussi expliquer les événements qui ont conduit à l'embargo fatal pour le Japon de juillet 1941. Il n'est pas tombé du ciel, mais est le résultat d'un engrenage.
Il faut déjà garder en tête qu'au cours des années 20, le Japon était en cours de démocratisation, et allié au Royaume-Uni. C'était une monarchie constitutionnelle avec un suffrage censitaire, puis élargit à tous les hommes de 25 ans et plus. Mais la constitution issue des réformes Meiji laissait un trop grand pouvoir et trop d'autonomie à la Marine et à l'Armée de terre.
La crise de 29 a tout bouleversé. Le Japon est un pays sans ressources naturelles. Pour s'enrichir, il doit importer des ressources, les transformer en produits manufacturés puis revendre à l'étranger. Il a besoin de ressources peu couteuses et de marchés ouverts où écouler ses produits. Avec la crise de 29 la demande s'est effondrée, et les marchés se sont fermés à cause des mesures protectionnistes, surtout américaines, britanniques et françaises. Le pays s'est retrouvé avec zéro avenir économique.
Face à cet énorme problème, les militaires japonais, qui avaient on l'a vu un pouvoir disproportionné, sont venus avec une solution qui leur parlait: la conquête violente de la Chine. La Chine était un pays en plein désordre politique depuis la révolution de 1912. C'était un marché potentiel immense de plus de 500 millions de clients et elle avait des ressources naturelles encore largement sous-exploitées. Sans aller jusqu'à l’annexion pure et simple, mettre la Chine sous tutelle économique, politique et militaire, c'était assurer l'avenir économique du Japon.
Cela a donné l'invasion japonaise de la Mandchourie en 1931.
L'attaque de 1931 a violemment heurté les pays occidentaux, et provoqué la sortie du Japon de la Société des nations en 1933. Les occidentaux avaient eux aussi des intérêts économiques en Chine, et ils ne voulaient surtout pas que le Japon mette la main sur tout le gâteau. Ils ont déclaré l'invasion japonaise comme "immorale" et contraire au droit international voulu par la SDN. Les Japonais ont trouvé cette réaction très hypocrite; les occidentaux avaient conquis de grands empires coloniaux aux 17-18-19ème siècles. Alors pourquoi l'interdire au Japon? Comme l'a dit un diplomate japonais, "les occidentaux ont changé les règles du jeu quand le Japon est arrivé à la table".
Au cours des années 30, la démocratie a disparu au Japon. Les militaires ont pris le pouvoir, principalement par l'intimidation et la violence (assassinats politiques, tentative de coup d'état de février 1936). Et une grande partie de l’opinion publique était acquise aux solutions martiales pour sortir le pays de l'ornière.
Les militaires on poussé le bouchon encore plus loin en attaquant la Chine à nouveau en 1937, cette fois-ci pour faire de tout le pays un vassal et pas seulement s'emparer d'une région. Cette attaque a été une initiative des militaires de l'armée de terre en Mandchourie. Sans consensus préalable à Tokyo entre le parlement, la marine, l'armée et l'empereur. Contrairement aux espoirs Japonais, le conflit s'est enlisé, et la Chine n'est pas devenue la pourvoyeuse de ressources et de clients espérée. Terminer le travail aurait demandé un effort militaire très important, impossible sans ledit consensus.
Cette guerre, et son cortège d'atrocités relayées dans les journaux à l'international, n'a fait que renforcer l'hostilité des occidentaux envers le Japon.
Une autre solution aux problèmes japonais était une guerre contre l'URSS, pour s'emparer de l'est de la Sibérie, qu'on espérait riche en ressources, que le Japon avait occupé en 1918-1922. Une alliance de revers était espérée avec la Pologne (amie méconnue du Japon dans les années 1920-30) et l'Allemagne. A partir de 1933 le Japon avait des choses en commun avec l'Allemagne: le militarisme et la détestation de l'URSS. A l'été 1939, la défaite d'une incursion japonaise en URSS (Khalkin-Gol) et surtout le pacte germano-soviétique puis l'écrasement de la Pologne ont douchés ces espoirs.
Viens ensuite, en juin 1940, l'un des principaux catalyseurs qui ont précipité la guerre du Pacifique: la défaite éclair de la France. Le Japon en tire deux conclusions: 1) l’Allemagne est devenue une puissance redoutable qui va occuper les Britanniques très longtemps. 2) les colonies asiatiques des pays européens occupés par l’Allemagne en Asie sont vulnérables et à portée de main: Indochine française et Insulinde néerlandaise. Cette dernière en particulier est très peuplée et regorge de ressources naturelles.
Profitant de la faiblesse du régime de Vichy vassalisé par l'Allemagne, les Japonais assaillent en premier l'Indochine en septembre 1940. En premier car c'est un objectif proche, facile, une étape vers l'Insulinde, et que cela permet de couper la route que les occidentaux utilisent pour aider économiquement la Chine depuis que les ports de cette dernière sont occupés par l’armée impériale. Mais cette fois-ci, les États-Unis réagissent: Roosevelt décrète un embargo sur les métaux stratégiques vendus par son pays au Japon.
Pour Roosevelt, l'embargo doit obliger les Japonais a cesser leurs agressions, car ils ont trop besoin des métaux américains. Mais cela ne va pas dissuader les Japonais, trop militaristes. Ils vont tenter de forcer la mains aux Néerlandais lors de négociations début 1941: ils exigent que les exportations de l'Insulinde soient redirigées principalement vers le Japon, et que les Pays-Bas acceptent la présence des milliers "civils" Japonais pour contrôler l'économie locale. Mais les néerlandais ne cèdent pas, car ils pensent qu'en cas d’agression les Américains les protègeront.
Arrive en juin 1941 un retournement de situation inattendu: l’Allemagne attaque l'URSS en juin 1941, un pays avec qui le Japon avait signé un pacte de non-agression en avril. Surprise, l'armée de terre japonaise n'est pas prête à déclencher le plan d'invasion de la Sibérie qu’elle gardait sous le coude (plan Kantokuen), au cas où. Le choix est fait d'attendre de voir comment les événements tournent, et d'assaillir l'URSS si celle-ci montre des signes d'effondrement face à Allemagne.
En attendant, le Japon décide en juillet 1941 d'envahir le sud de l'Indochine française, resté jusque-là inoccupé, pour s'approcher encore davantage de l'Insulinde et mettre en maximum de pression sur les Néerlandais. Et cette fois-ci Roosevelt dégaine une arme dévastatrice, un deuxième embargo portant sur le pétrole, un produit absolument vital pour les Japonais qui n'en produisent que très peu. Les Néerlandais s’empressent de suivre les Américains dans leur démarche et cessent aussi leurs ventes aux Japonais.
Le Japon se retrouve le dos au mur, avec 1-2 ans de réserves de pétrole pour faire tourner son économie et son armée, avant que le tout ne tombe en panne sèche.
La suite, c'est le choix japonais d'attaquer les États-Unis pour s’emparer des pétroles néerlandais.
Ironie de l'histoire, le nouvel ordre international libéral issu de la défaite de l'Axe en 1945 a donné au Japon ce qu'il voulait au début des années 1930: beaucoup de ressources à importer en toute sécurité et des centaines de millions de clients pour acheter leurs produits.