kheyserasera
2024-11-12 20:01:44
"Madame, ce que vous dites est grave" : une prof menacée après un cours sur la poésie jugé blasphématoire
https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/madame-ce-que-vous-dites-est-grave-une-prof-menacee-apres-un-cours-sur-la-poesie-juge-blasphematoire
Le climat est étouffant au lycée Condorcet de Limay, dans les Yvelines. Après un cours sur la représentation de l'Enfer dans la poésie, courant octobre, une professeure de français a été accusée de blasphème et menacée par deux élèves de seconde. Peu de temps après, des intrusions dans l'établissement ont suscité l'inquiétude dans un contexte d'hommage national à Samuel Paty et Dominique Bernard.
« Bienvenue en Enfer ». C'est l'intitulé du cours de Français qui a viré à la polémique courant octobre au sein d'une classe de seconde du lycée Condorcet, à Limay, dans les Yvelines. « Contre toute attente, cette séquence pédagogique a suscité une polémique inattendue avec une poignée d’élèves, l’un d’eux allant jusqu’à accuser l’enseignante de blasphème à l’encontre de l’islam et la menacer insidieusement de représailles », rapporte ce dimanche 10 novembre le site d'information « 78 actu ».
Lors d'une séquence consacrée à la représentation infernale dans la poésie du Moyen Âge au XVIIIe siècle, un élève a demandé à l’enseignante de montrer « des images » représentant cette notion chez les musulmans. Après avoir échangé avec ses collègues, la professeure a finalement refusé de projeter ces illustrations devant ses élèves, lors du cours suivant, le 10 octobre.
« J’ai expliqué aux élèves ce que j’avais vu sur Internet. Ça allait à l’encontre de mes valeurs. Par respect pour [ceux] de confession musulmane, par respect pour les autres confessions et par respect pour l’établissement, j’ai expliqué que je ne les montrerai pas, mais qu’ils étaient libres d’aller faire leur propre recherche », a-t-elle noté dans un rapport consulté par 78 actu.
Une attitude « de plus en plus agressive »
« Madame, ce que vous dites est grave, là. Vous voulez dire que vous avez vu le prophète avec des femmes en Enfer », l'a alors interpellée un autre élève sur un ton « accusateur ». Ce dernier aurait adressé à sa professeure des menaces dans la foulée, déclarant : « D’ailleurs, Madame, vous finissez à quelle heure aujourd’hui ? Je pense que les mardis vous finissez plus tôt ? Et le jeudi aussi ? » Et de lancer en partant : « Madame, faites attention à vous en rentrant ce soir… »
Des intimidations qui font froid dans le dos, alors que s'est ouvert lundi 4 novembre devant la cour d’assises spécialement composée au palais de justice de Paris le procès de l'assassinat de Samuel Paty. « Les services de l’État prennent l’affaire très au sérieux », peut-on lire dans l'article, qui souligne au passage que cet établissement des Yvelines « fait l’objet régulièrement d’intrusions d’éléments extérieurs ».
Ce 10 octobre, l'enseignante menacée a appelé la mère de l'adolescent. Celui-ci viendra lui présenter ses excuses une demi-heure plus tard, assurant qu’il ne faut pas prendre ses menaces au sérieux. Fin de l'affaire ? Absolument pas, puisque l'on apprend qu'à chaque cours suivant, l'élève qui voulait voir les images de la représentation de l'Enfer en Islam, continuera d'insister pour que sa professeure les lui montre. Cette dernière ne cédera pas.
« Son attitude est de plus en plus agressive au fil des jours », a d'ailleurs relevé dans un autre rapport la professeure, en arrêt maladie depuis. Selon les informations du site d'actualités, le directeur académique adjoint, craignant dans un premier temps « un cas grave de radicalisation », a fait remonter cette affaire jusqu’au rectorat. D'autres sources consultées par 78 actu assurent que les familles des deux élèves sont inconnues des services de police et ne présenteraient pas de signes d’une radicalisation. Reste qu'une procédure disciplinaire a été engagée à l'encontre des deux garçons.
Plusieurs intrusions dans le lycée
Un autre événement, consigné dans l'application « Faits d'établissement » du lycée, est rapporté. Le mardi 15 octobre, soit quelques jours après le cours qui a suscité la polémique chez les élèves, une enseignante de mathématiques a vu un adolescent entrer dans sa classe. « Sans regarder le tableau, ni les élèves, il s’approche vers elle et demande si elle est professeure de français. Elle fait remarquer qu’il n’est pas élève. Sans réponse », y apprend-on.
Pour l'heure, il est précisé qu'aucun lien n'est établi avec le cours sur la poésie de la professeure de français du lycée. La direction de l'établissement assure tout de même avoir pris cette intrusion au sérieux. Dès le lendemain, la direction des services académique, la police et les renseignements territoriaux ont été alertés de la situation.
Mais à peine deux jours plus tard, le 18 octobre : nouvelle intrusion. Une date pas anodine puisqu'elle intervient dans le contexte de l'hommage national rendu quatre jours plus tôt à Dominique Bernard et Samuel Paty. De quoi provoquer un vent de panique. Ce jour-là, un ancien élève âgé de 17 ans a déjoué la vigilance au portail pour pénétrer dans l’enceinte du lycée et venir perturber plusieurs cours. « Il est reparti avant l’arrivée des forces de l’ordre, déployées en nombre alors que l’établissement est resté confiné plusieurs heures », peut-on lire.
Des problèmes d'insécurité
L'ancien élève a finalement été placé en garde en vue. Selon l’enquête de police, celui-ci « n’avait aucune intention délictuelle » et venait dans le but de « faire une blague ». Si plusieurs sources estiment que cet incident n'a pas de lien avec la polémique de départ, le climat est particulièrement tendu dans cet établissement où l’équipe dénonce depuis des années les problèmes d’insécurité et le manque de moyens. Le lycée Condorcet bénéficie depuis d'une cellule d'écoute.
Lundi 4 novembre, jour de rentrée des classes après les vacances de la Toussaint, des cadres de l’Inspection académique sont venus à la rencontre du personnel, tandis que des agents de la région Île-de-France dédiés à la sécurité des lycées ont été déployés sur place. « Sans que l’on sache si cela est lié à toute cette pression, la proviseure s’est mise en arrêt maladie le lendemain », conclut le site d'actualités. Et d'ajouter le témoignage d'une source académique : « La Direction de services départementaux de l’Éducation nationale rencontrera bientôt les forces de l’ordre afin de définir un plan d’action afin de sécuriser l’établissement ».