Rothirsch3
2024-10-29 22:43:24
Vous revenez de la ville, de ces cloaques gris où rampe une espèce à part, cadavérique, l'individu urbain, qui, dans son quotidien administré, petit, a tout abandonné de sa précédente humanité, il est déjà une masse informe, sans souvenir, incapable d'émotion, ou alors étroite, ah le métro est en retard, ah, il pleut souvent en automne, voilà, c'est le summum des manifestations d'âme dont ces personnes sont encore capables, autrement, c'est entendu, elles sont mortes, vous revenez de ce cimetière, donc, la ville, par un train qui cahute dans le noir, il traverse la campagne assombrie, vous ne voyez rien par le carreau, dans la nuit, mais il se traîne, bon an, mal an, et il arrive même, ce train, il vous dépose dans une gare poisseuse, presque abandonnée, vous regardez la lune et méditez sur votre trajet, long, déjà, mais il vous reste encore à prendre vos distances du quai, gravir les routes, vous éloigner dans les champs, loin, jusqu'à chez vous, là-haut, dans une masure de famille, dit-on, dressée sur un flanc de montagne, bien loin de tout, et il est tard, oh là là, bien tard, et on s'épouvante de tout, dans ces nuits d'octobre, pas de bus, évidemment, que du stop, vous bordez la route, tout engoncé dans votre veste mal taillée, rapiécée aux coudes, trop légère pour l'automne, levez la main, vous attendez, un, deux, vingt, c'est tout un défilé de bagnoles, des vieilles, des moches, mais aucune pour s'arrêter, quoi, et il continue à faire froid, et à faire de plus en plus nuit, vous ne rentrerez pas ce soir, non, voilà où vous pioncerez, ce soir, sur un vieux banc pas loin du bourg, mais c'était envisagé, ça, comme énième dégueulasserie, oh vous le connaissez bien ce tour, c'est toute votre enfance, ça, d'attendre près de la gare quelqu'un, quelque chose, qui n'arrivera pas, et on ne vous y reprendra plus à vous maudire, vous et le monde, dans cette situation, non, vous avez repéré la petite épicerie encore ouverte, vous savez quoi y prendre, où vous installer jusqu'au jour, un pack, allez, même un deuxième, vous avez un décapsuleur dans votre trousseau, vous remontez votre écharpe jusqu'au menton, remontez vos chaussettes jusqu'aux mollets, vous êtes assis, et vous buvez, sous la lune et ses étoiles, sur les vallons d'en face, bien devant vous, s'agitent des lueurs, des voitures, des tracteurs, qui vaquent aussi à leurs affaires, qui sortent, qui rentrent, ah, ils vont retrouver une table et des convives, eux, un âtre et des draps, pendant que vous êtes là, comme un chien, à boire pour attendre, vous êtes, dans cet instant-là, l'avant-garde de la nuit, le veilleur d'aube, c'est vous qui annoncerez l'aurore, vous l'aurez vue le premier, depuis votre banc tout froid de rosée, ah vous aurez suivi sa course, sa lutte contre les ombres, tout son triomphe grandiose, et l'ingratitude obscène de vos trajets, la fatigue des distances, le soupir, encore, de la route à faire, votre ivrognerie mal digérée, tout, tout, se justifiera, dans cette seconde de soleil, dans l'immensité du ciel clair, par la grâce immense du matin, c'est tout un jour qui se lève, une vie qui s'éveille, et vous serez la mémoire de sa naissance, vous étiez là, pas euxhttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/52/2/1640725137-chatbhbbhbh.jpg