NagiAmano
2024-03-26 12:13:52
Monsieur S. est jugé en comparution immédiate pour des violences ayant entraînées au moins 15 jours d’ITT. Les faits sont très graves et les réquisitions lourdes (4 ans de prison dont un avec sursis). Pourtant, le prévenu n’a pas d’avocat. Non pas qu’il n’en voulait pas, mais parce qu’il n’a pas fait les démarches nécessaires depuis sa cellule à Fresnes pour être assisté.
« Les faits sont à la limite de vous juger pour meurtre dans la salle d’en face, aux assises. C’est un miracle que la victime soit encore en vie », déclare d’entrer de jeu le président du tribunal pour faire comprendre à Monsieur S. la gravité de la situation. Sans grand succès, puisque le prévenu ne sort pas de sa posture nonchalante pendant toute l’heure et demie de cette comparution immédiate.
En plus d’avoir à juger des violences particulièrement graves, puisqu’elles ont entraîné au moins 15 jours d’incapacité totale de travail (ITT), la 12e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Créteil a face à lui une salle quasi vide et surtout un banc de la défense inoccupé. « En prison, faire les démarches, c’est pas facile. Je n’ai pas pu avoir les fonds dans les temps pour l’avocat », répète le prévenu plusieurs fois. Sa demande de renvoyer une seconde fois l’audience est balayée par le président de séance : « C’est vous qui aviez demandé le renvoi la dernière fois, c’était à vous de faire les démarches pour être assisté, on vous l’a expliqué. Le code a été respecté. Vu les circonstances, on va prendre le temps de vous écouter », assure le juge.
Monsieur S., 19 ans, va donc être jugé pour avoir donné des coups de poing, de pieds, écrasé la tête de Monsieur M., le tout en état d’ivresse et en récidive. L’homme de 55 ans a le nez cassé, de multiples plaies au visage mais aussi une fracture sous l’œil et risque de devenir borgne, de sorte que le nombre d’ITT n’a pas encore pu être posé avec certitude mais se situe entre 15 et 30 jours. « Vous avez mis un type en état de compote », résume le président du tribunal.
Sur les faits, il y a consensus. Il en est autrement des circonstances, qui vont occuper une bonne partie de l’audience. D’après les éléments du dossier, tout porte à croire que le prévenu et Monsieur M. ont fait connaissance sur une appli de rencontre et que le premier s’est rendu chez le second en vue d’avoir une relation sexuelle contre de l’argent. D’après la victime, les violences auraient soudainement commencé après des ébats.
Le prévenu continue à parler de Monsieur M. comme de « la personne » et ne démord pas de sa version à laquelle personne d’autre que lui ne croit. De temps à autre, son regard se dirige vers les deux femmes assises au premier rang du public.
Le président du tribunal continue ses tentatives pour saisir la vérité : « Permettez-moi d’émettre une hypothèse et ne m’interrompez pas s’il vous plaît : vous êtes allé voir Monsieur M. pour avoir une relation sexuelle tarifée qui a eu lieu et la rage, elle vient de là.
- Je peux répondre ?
- Prenez trois secondes pour y réfléchir.
- Pas besoin. Les réponses les plus sincères, c’est le tac-au-tac. C’est faux. Quand la personne a essayé de me toucher, ça m’a dégoûté. »
Après ses tentatives pour comprendre les circonstances du tabassage, le juge attire l’attention du prévenu sur l’indifférence dont il fait preuve tout au long de l’audience par rapport à l’état dans lequel il a mis la victime.
« - Vous savez ce que ça veut dire l’empathie ?
- Non.
- Qu’on se soucie de manière authentique des autres et chez vous… il n’y a pas l’ombre d’un début d’empathie et ça glace le sang ! »
Au bout d’une bonne heure d’échanges, l’avocat de permanence qui représente Monsieur M. entame sa plaidoirie en rappelant la violence des faits. Il cite son client qui a eu le sentiment « d’être passé tout près de la mort ». Comme le nombre de jours d’ITT n’a pas encore pu être fixé avec certitude, il demande une provision de 4 000 euros.
Place ensuite aux réquisitions de la procureure, qui renchérit sur la gravité des violences : « Sans l’intervention des témoins, cette affaire aurait été jugée devant la cour d’assises. Ça s’est joué à peu de chose. J’étais de permanence ce soir-là et on m’a dit : « On n’avait jamais vu ça ». Monsieur M. va peut-être perdre son œil et surtout ne va peut-être plus jamais ouvrir sa porte à quelqu’un. » Selon elle, le prévenu s’est façonné une version des faits lors de sa détention à laquelle il croit sincèrement. De quoi expliquer son attitude si défensive lors de l’audience, surtout devant un public de proches. La magistrate demande une peine « sévère et importante » de quatre ans de prison dont un an avec sursis renforcé pour assurer l’indemnisation de la victime, ainsi qu’une obligation de soins et de travail.
Le tribunal déclare Monsieur S. coupable et le condamne au-delà des réquisitions, à cinq ans de prison dont deux avec sursis renforcé pendant trois ans, assorti des obligations habituelles (soins, travail et indemnisation de la victime) et l’interdiction d’entrer en contact avec la victime. La provision de 4 000 euros est accordée et une nouvelle audience fixée dans six mois pour statuer sur les intérêts civils. Une fois le délibéré annoncé, le président de séance explique les démarches pour l’aménagement de peine et lui souhaite bon courage.
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