Une IA parvient à distinguer le cerveau des hommes et des femmes
DÉCRYPTAGE - Un algorithme développé par des chercheurs américains a réussi à déterminer le sexe biologique des personnes à partir de l’analyse de leurs résultats d’IRM. Un défi qui résistait depuis longtemps aux neurologues.
Le cerveau de l’homme fonctionne-t-il différemment de celui de la femme ? Jusqu’alors, les neuroscientifiques n’avaient pas la réponse : on savait depuis longtemps que le sexe biologique détermine la production d’hormones par le cerveau.
Et que si l’on compare la taille, la constitution ou le volume des régions cérébrales, le cerveau des hommes et des femmes n’est pas tout à fait similaire. « Cependant, les scientifiques ne sont jamais arrivés à la conclusion que l’organisation et le fonctionnement des régions cérébrales étaient diamétralement opposés selon le sexe biologique », souligne Christophe Rodo, neuroscientifique et créateur du podcast « La Tête dans le cerveau ». Quand bien même ces paramètres diffèrent entre individus.
Sera-t-il encore utile d'apprendre une langue étrangère avec l’intelligence artificielle ? : http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/sera-t-il-encore-utile-d-apprendre-une-langue-etrangere-avec-l-intelligence-artificielle-20240218
Récemment, une équipe de neurologues américains de l’université de Stanford en Californie s’est emparée de la question en misant sur une approche dans l’air du temps : l’intelligence artificielle. Et ils trouvent bien une différence cérébrale entre les hommes et les femmes. Du moins, si l’on s’en tient à aux aspects purement physiologiques de l’activité cérébrale, il n’y aurait plus aucun doute sur l’existence d’un dimorphisme sexuel du cerveau.
Après avoir entraîné l’algorithme, il a été capable de dire, quasiment sans faute, si les IRM cérébrales qu’on lui présentait appartenaient à un cerveau d’homme ou de femme. Les résultats ont fait l’objet d’une publication dans la revue des Comptes rendus de l’académie américaine des sciences (Pnas, Proceedings of the National Academy of Sciences).
Un raisonnement particulièrement «robuste»
L’équipe a tout d’abord « entraîné » l’IA (un réseau de neurones profonds) en la nourrissant avec 800 IRM fonctionnelles, des imageries cérébrales qui permettent de visualiser de façon dynamique l’activité neuronale des différentes régions du cerveau, c’est-à-dire la façon dont elles communiquent et se synchronisent. Pour chaque IRM, les chercheurs ont indiqué à l’algorithme si elle appartenait à un participant de sexe masculin ou féminin. L’algorithme a ainsi pu apprendre à associer chaque image cérébrale en trois dimensions à un sexe, sans qu’aucune autre information ne lui soit fournie. Précisons ici que seul le sexe biologique a été pris en compte et qu’aucune personne transgenre n’a participé à l’étude.
Vient ensuite la partie la plus intéressante, où les neurologues ont mis l’IA à l’épreuve. Ils lui ont demandé si elle était capable de ranger dans la case « homme » ou « femme » 200 autres IRM issues d’autres individus. Un défi que l’algorithme a relevé avec succès : dans 90 %, des cas il a réussi à dire si l’IRM correspondait à un cerveau d’homme ou de femme. « C’est assez intéressant. Sans que les scientifiques n’aient spécifié un type d’activité au sein de régions cérébrales précises, l’algorithme semble avoir réussi à identifier une signature cérébrale du sexe biologique », souligne Christophe Rodo.
Le plus impressionnant est que la performance de l’IA a été confirmée sur d’autres IRM provenant de différentes cohortes, originaires des États-Unis ou d’Allemagne. « Le taux de réussite était, aussi, très élevé, d’environ 80 %. Cette petite différence peut s’expliquer par le fait que les IRM ont été obtenues dans des centres d’imagerie différents, explique Salma Mesmoudi, ingénieur de recherche et docteur en intelligence artificielle à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Quoi qu’il en soit, cela montre que les résultats sont réplicables entre les jeux de données, donc que le “raisonnement” de l’IA est robuste. »
Un traitement des émotions différent?
Reste la question brûlante : quelles sont les différences identifiées par l’IA ? Tout l’intérêt de l’algorithme développé par les chercheurs est qu’il est « explicable » : ils ont pu l’interroger sur son propre raisonnement interne et donc déceler les caractéristiques fonctionnelles qui, a priori, différaient entre les sexes. « C’est le grand atout de cette IA, souligne le Dr Mesmoudi. Généralement, ces outils de calcul fonctionnent comme des boîtes noires, c’est-à-dire que les étapes du processus restent obscures à l’utilisateur. »
Un «décodeur» par IRM et intelligence artificielle parvient à lire les pensées : http://www.lefigaro.fr/sciences/un-decodeur-par-irm-et-intelligence-artificielle-parvient-a-lire-les-pensees-20230508
Il en ressort que l’IA s’est principalement fondée sur l’activité de trois types de réseaux neuronaux intimement liés au traitement des émotions. Le premier, la région du striatum, est associé au traitement de l’information douloureuse et plus généralement au circuit de la récompense qui contrôle la motivation. Le second, le système limbique, est notamment impliqué dans l’attention, la mémoire et la régulation des émotions. Mais c’est principalement l’activité du troisième réseau neuronal, que les neurologues appellent « le mode par défaut », qui aurait le plus influencé les conclusions de l’IA. Ce réseau connecte un ensemble de régions cérébrales qui s’activent au repos. Il est souvent lié à la rêverie mentale ou à la conscience de soi.
Pathologies du cerveau
À partir de ce constat, les interprétations restent ouvertes. « Il est très difficile de donner une signification claire à ces résultats. Cela pourrait signifier que nous aurions un mode de traitement des informations différent selon notre sexe biologique, qui pourrait notamment s’observer sur le plan comportemental mais aussi dans certaines pathologies par exemple », avance le Pr Pascal Reynier, médecin biologiste au CHU d’Angers.
Grâce aux études observationnelles, on sait effectivement que certaines pathologies cérébrales touchent plus un sexe que l’autre, sans que les scientifiques ne sachent véritablement pourquoi. « La maladie d’Alzheimer concerne par exemple plus de femmes, qui sont également plus sujettes à la dépression, à l’anxiété ou encore au stress post-traumatique, tandis que la maladie de Parkinson est plus fréquente chez l’homme », souligne le Pr Reynier. Les auteurs espèrent que cette IA pourra servir à améliorer la compréhension des processus neuropathologiques voire, à terme, à améliorer les traitements et la prise en charge des patients.
Cependant, nous en sommes encore loin. Malgré la prouesse, l’IA a été entraînée et testée sur des sujets âgés entre 20 et 35 ans, un échantillon loin d’être représentatif de la population générale et de toutes les étapes de vie d’un cerveau. « Il serait également intéressant de complexifier encore le modèle en ajoutant par exemple des paramètres hormonaux, suggère Christophe Rodo. De même les auteurs ne se sont pas intéressés à la catégorisation de genre ou l’orientation sexuelle ce qui pourrait constituer une nouvelle piste d’investigation. »