1 texte de philo par jour
Eraeraera
2024-01-26 09:33:24
1.
« Tout vouloir procède d’un besoin, c’est-à-dire d’une privation, c’est-à-dire d’une souffrance. La satisfaction y met fin ; mais pour un désir satisfait, dix au moins sont contrariés ; de plus le désir est long, et ses exigences tendent à l’infini ; la satisfaction est courte, et elle est parcimonieusement mesurée. Mais ce contentement suprême n’est lui-même qu’apparent : le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir ; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue. La satisfaction d’aucun souhait ne peut procurer de contentement durable et inaltérable. C’est comme l’aumône qu’on jette à un mendiant : elle lui sauve aujourd’hui la vie pour prolonger sa misère jusqu’à demain. -- Tant que notre conscience est remplie par notre volonté, tant que nous sommes asservis à l’impulsion du désir, aux espérances et aux craintes continuelles qu’il fait naître, tant que nous sommes sujets du vouloir, il n’y a pour nous ni bonheur durable, ni repos. Poursuivre ou fuir, craindre le malheur ou chercher la jouissance, c’est en réalité tout un ; l’inquiétude d’une volonté toujours exigeante, sous quelque forme qu’elle se manifeste, emplit et trouble sans cesse la conscience ; or, sans repos le véritable bonheur est impossible. Ainsi le sujet du vouloir ressemble à Ixion attaché sur une roue qui ne cesse de tourner ; aux Danaïdes qui puisent toujours pour emplir leur tonneau, à Tantale éternellement altéré. »
Le Monde comme volonté et comme représentation, A. Schopenhauer
Eraeraera
2024-01-31 13:49:39
2.
Les philosophes qui ont spéculé sur la signification de la vie
et sur la destinée de l'homme n'ont pas assez remarqué que la nature a pris la
peine de nous renseigner là-dessus elle-même. Elle nous avertit par un signe
précis que notre destination est atteinte. Ce signe est la joie. Je dis la joie, je
ne dis pas le plaisir. Le plaisir n'est qu'un artifice imaginé par la nature pour
obtenir de l'être vivant la conservation de la vie ; il n'indique pas la direction
où la vie est lancée. Mais la joie annonce toujours que la vie a réussi, qu'elle a
gagné du terrain, qu'elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent
triomphal. Or, si nous tenons compte de cette indication et si nous suivons
cette nouvelle ligne de faits, nous trouvons que partout où il y a joie, il y a
création : plus riche est la création, plus profonde est la joie. La mère qui
regarde son enfant est joyeuse, parce qu'elle a conscience de l'avoir créé, physiquement
et moralement. Le commerçant qui développe ses affaires, le chef
d'usine qui voit prospérer son industrie, est-il joyeux en -raison de l'argent
qu'il gagne et de la notoriété qu'il acquiert ? Richesse et considération entrent
évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu'il ressent, mais elles lui
apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu'il goûte de joie vraie est le
sentiment d'avoir monté une entreprise qui marche, d'avoir appelé quelque
chose à la vie. Prenez des joies exceptionnelles, celle de l'artiste qui a réalisé
sa pensée, celle du savant qui a découvert ou inventé. Vous entendrez dire que
ces hommes travaillent pour la gloire et qu'ils tirent leurs joies les plus vives
de l'admiration qu'ils inspirent. Erreur profonde ! On tient à l'éloge et aux
honneurs dans l'exacte mesure où l'on n'est pas sûr d'avoir réussi.
Il y a de la modestie au fond de la vanité. C'est pour se rassurer qu'on
cherche l'approbation, et c'est pour soutenir la vitalité peut-être insuffisante de
son oeuvre qu'on voudrait l'entourer de la chaude admiration des hommes,
comme on met dans du coton l'enfant né avant terme. Mais celui qui est sûr,
absolument sûr, d'avoir produit une oeuvre viable et durable, celui-là n'a plus
que faire de l'éloge et se sent au-dessus de la gloire, parce qu'il est créateur,
parce qu'il le sait, et parce que la joie qu'il en éprouve est une joie divine. Si
donc, dans tous les domaines, le triomphe de la vie est la création, ne devons-nous
pas supposer que la vie humaine a sa raison d'être dans une création qui
peut, à la différence de celle de l'artiste et du savant, se poursuivre à tout
moment chez tous les hommes : la création de soi par soi, l'agrandissement de
la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien,
et ajoute sans cesse à ce qu'il y avait de richesse dans le monde ?
Bergson, L'énergie spirituelle
Eraeraera
2024-01-31 14:08:24
J'ai pris un peu de retard donc je vais en poster d'autres
Pomer00
2024-01-31 14:44:54
Le 31 janvier 2024 à 14:08:24 :
J'ai pris un peu de retard donc je vais en poster d'autres
Non.
Eraeraera
2024-01-31 14:44:58
3.
C’est leur bien propre que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d’une chose plus élevée, plus vaste qu’ils ignorent et accomplissent inconsciemment. [...]
La Raison gouverne le monde et par conséquent gouverne et a gouverné l’histoire universelle. Par rapport à cette Raison universelle et substantielle, tout le reste est subordonné et lui sert d’instrument et de moyen. De plus, cette Raison est immanente dans la réalité historique, elle s’accomplit en et par celle-ci. C’est l’union de l’Universel existant en soi et pour soi et de l’individuel et du subjectif qui constitue l’unique vérité : c’est là la proposition spéculative que nous avons développée dans la Logique. Mais dans le cours de l’histoire elle-même, cours que nous considérons comme progressif, le côté subjectif, la conscience n’est pas encore à même de saisir quelle est la pure fin ultime de l’histoire, le concept de l’Esprit. Ce concept n’est pas encore le contenu du besoin et de l’intérêt de la conscience ; celle-ci n’en est pas consciente, et pourtant l’Universel est présent dans les fins particulières et s’accomplit par elles. [...]
Dans l’histoire universelle, il résulte des actions des hommes quelque chose d’autre que ce qu’ils ont projeté et atteint, que ce qu’ils savent et veulent immédiatement. Ils réalisent leurs intérêts, mais il se produit en même temps quelque autre chose qui y est cachée, dont leur conscience ne se rendait pas compte et qui n’entrait pas dans leurs vues. [...]
On peut appeler ruse de la Raison le fait qu’elle laisse agir à sa place les passions, en sorte que c’est seulement le moyen par lequel elle parvient à l’existence qui éprouve des pertes et subit des dommages.
Hegel, La Raison dans l'histoire, p. 110-129, trad. K. Papaioannou