Un retraité de 77 ans, soupçonné d’être l’administrateur d’un site illégal sur le Dark Net, est arrêté par le GIGN à Blain, en Loire-Atlantique, au cours du mois de décembre 2023. Il est mis en examen pour importation et exportation de stupéfiants en bande organisée, mais relâché sous contrôle judiciaire faute de preuves.
Les riverains se souviendront souvent de la scène, plus qu’inhabituelle dans cette paisible ville de campagne. Dans la matinée du 11 décembre 2023, le GIGN, accompagné de plusieurs services de police judiciaire prestigieux venus tout droit de Paris, a procédé à l’interpellation d’un homme vivant seul dans un petit pavillon de la ville.
Mais comment expliquer un tel déploiement de force pour un retraité inconnu des services de police ? Les policiers enquêtaient en réalité depuis plus de 6 mois sur l’individu, qu’ils soupçonnent d’avoir été l’administrateur d’un des plus gros marchés illégaux sur le Dark Net.
Une enquête internationale
Les policiers Français avaient commencé à suivre l’individu au mois de juillet 2023, à la suite d’une information du FBI présentant l’homme comme l’administrateur du site ASAP Market, un site accessible par le navigateur Tor permettant à la manière d’Ebay de mettre en relation des individus pour la vente d’articles, à cela près que quasiment tous les biens et services proposés sont relatifs à la vente de drogue ou de carte bleues volées.
Mais, manque de chance ou erreur des policiers, le site annonce sa fermeture quelques jours à peine avant le début de la surveillance. Manquant de preuves pour interpeller l’homme, les policiers décident malgré tout de continuer la surveillance en espérant que l’homme commette une erreur.
Un retrait mal venu
C’est au cours du mois de décembre que la chance va sourire aux enquêteurs : l’homme se met à vendre du Monero, une crypto-monnaie réputée intraçable, contre de l’argent liquide par la poste. Les policiers repèrent l'annonce sur une plateforme d’échange entre particuliers et décident de tendre un piège à l’homme en lui proposant d’échanger une forte somme. L’homme tombe dans le piège et, quelques jours après, est interpellé à son domicile à l’aide d’un important dispositif. Au cours de la perquisition, les policiers retrouvent plus de 30 000 euros en liquide, ainsi que plusieurs clés USB et ordinateurs, tous encryptés à l’aide du logiciel VeraCrypt. L’homme refusera catégoriquement de donner les mots de passe de ses machines, prétendant les avoir « oublié ».
Un profil inhabituel
Le profil du suspect est plus qu’inhabituel dans ce genre d’affaires, où il s’agit généralement de génies de l’informatique ne dépassant pas la trentaine d’années. Jean-Luc R., un homme veuf âgé de 77 ans, a passé toute sa carrière à la RATP, d’abord en tant que machiniste, puis a intégré le nouveau service informatique à la suite d’une formation interne au début des années 80, avant d’en devenir brièvement le directeur à la fin des années 90, peu avant sa retraite.
Selon plusieurs riverains interrogés, l’homme était « renfermé sur lui-même » et s’intégrait peu dans le village. Une voisine témoigne sous couvert d’anonymat : « Nous avons une forte communauté de retraités dans le village et il venait très peu aux activités qu’on organisait depuis la mort de sa femme. Il préférait rester chez lui. On le voyait souvent promener son chien seul dans le village, très tard dans la nuit. Avec lui c’était juste Bonjour, merci, au revoir. ».
Martin, un habitant du village d’une quarantaine d’années tire un profil plus positif, décrivant l’homme comme « très proche de sa famille » : « Je l’ai rencontré il y a 15 ans, il a remis à neuf le système informatique de ma société. Je l’appelais dès que j’avais besoin de quelque chose en rapport avec les ordinateurs, il m’a toujours fait du super travail. Il parlait tout le temps de ses petits-enfants, qui venaient chez lui à chaque vacance scolaire. Il les adorait. Il disait qu’il dépensait très peu d’argent parce qu’il voulait leur laisser un héritage important, que c’était dur d’être jeune aujourd’hui. Je crois que la mort de sa femme l’a beaucoup affecté. ».
Placé en détention puis remis en liberté
L’homme, qui a utilisé son droit au silence tout au long de sa garde à vue, refusant de répondre aux questions des enquêteurs, a été présenté à un juge d’instruction Parisien et mis en examen pour exportation de stupéfiants en bande organisée. Il encourt jusqu’à trente ans de réclusion criminelle, ainsi que plus de 7 millions d’euros d’amende. La justice Américaine a également remis à la France un mandat d’arrêt international à son encontre, qui ne peut aboutir, l’homme étant de nationalité Française et donc inéligible à l’accord d’extradition.
Mais une mauvaise surprise est venue perturber l’enquête : l’avocat du suspect, contestant la mise en détention provisoire de son client pour manque de preuves, a demandé la remise en liberté de son client, arguant d’un manque de preuves pour un placement en détention provisoire. Le juge des libertés saisi pour l’affaire a accepté la demande le 2 janvier 2024, l’homme ressort donc libre sous contrôle judiciaire. Il devra pointer à la gendarmerie tous les deux jours. Contactés, ni le parquet, ni l’avocat du suspect n’ont souhaité nous répondre.