PureLife1
2023-12-24 14:00:19
[Ceci est la version pour le forum d'un thread Twitter/X que vous pouvez le retrouver ici : https://twitter.com/Cobra_FX_/status/1738778906004517169?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Etweet]
Il y a 45 ans, un pacte secret sort un milliard de personnes de la pauvreté.
Il est signé par 18 paysans courageux, qui croient à 2 choses indissociables : le mérite et la propriété privée.
Histoire d’un village légendaire, Xiaogang.
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Yen Hongchang, comme tous ses voisins, meurt de faim. Son village est l’un des lieux les plus pauvres de la planète. Chaque année, il doit vendre quelques-uns de ses derniers biens pour survivre, ou mendier un peu de nourriture dans les villages environnants. Tous les matins, c’est le même rituel : au coup de sifflet, il va travailler dans les champs. Il y passe la journée, et n’a le droit d’en partir qu’au coup de sifflet du soir.
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Mais il ne s’y épuise pas. Travailler dur n’a aucun intérêt. Le parti réquisitionne l’intégralité de la récolte, puis donne à chacun un peu de nourriture. Trop peu pour nourrir sa famille.20 ans plus tôt, Mao a collectivisé l’agriculture, supprimé la propriété privée et imposé une planification centralisée.
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C’est l’élan du « grand bond en avant ». Le parti veut développer l’industrie et annonce pouvoir, en 5 ans, doubler la production d’acier britannique. La Chine manque alors de tout, sauf de bras. Tous et toutes doivent aller soit à l’usine, soit aux champs. L’administration s’occupe du reste.
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Elle a une première idée : la campagne des 4 nuisibles. Pour protéger les récoltes, on demande à la population d'exterminer moustiques, mouches, rats et moineaux.
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Toute la Chine se met à effrayer les oiseaux, les forçant à voler jusqu'à ce qu’ils tombent d'épuisement. À détruire les nids, casser les œufs, tuer les oisillons. Pour lutter contre les insectes, les écoles distribuent du DDT aux enfants. On verse une prime à chaque queue de rat rapportée aux autorités. Évidemment, certains mettent à élever des rats. Un premier « effet cobra ». (https://www.pourleco.com/idees/leffet-cobra-quand-le-remede-devient-poison)
Presque tous les oiseaux disparaissent de Chine. Le nombre de criquets augmente dangereusement, menaçant les récoltes. Quand les autorités demandent de changer d’ennemi, il est déjà trop tard. L’administration chinoise impose aussi ses vues sur les techniques agricoles. Elle fait la promotion des affabulations de Lyssenko, ce scientifique soviétique qui pense pouvoir croiser coton et tomates, au mépris de la génétique et du savoir-faire paysan. C’est une catastrophe. Une famine comme jamais l’humanité n’avait encore connu. Même dans les régions plus favorisées, on manque de bois pour fabriquer les cercueils. Et de force pour enterrer les cadavres.
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La plupart de l’acier produit, de trop mauvaise qualité, est inutilisable. Pour faire tourner des usines, mieux vaut des ingénieurs et des maîtres d’ouvrage que des bureaucrates. L'économie chinoise perd cinq à dix ans. Quand le gouvernement veut s’occuper de tout, il ne s’occupe bien de rien. L’éducation et la santé en pâtissent. Certains dommages environnementaux sont irrémédiables : salinisation des sols, épuisement des terroirs.
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Dans le canton de Xiaogang, 90.000 personnes perdent la vie. Sur les 120 habitants du village, seuls 53 survivent. En quatre ans, on estime que 36 à 55 millions de chinois périrent. Et le gouvernement dû importer 250.000 moineaux d'Union soviétique.
Si le parti abandonne ses illusions de toute puissance, le collectivisme perdure. Et 20 ans plus tard, ce n’est pas l’idéologie mais le désespoir qui pousse Yen Hongchang à retrouver secrètement ses voisins.
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Ensemble, ils divisent le village en 18 parcelles. Chaque famille doit s’occuper de celle-ci, cédant le quota de grains demandé au gouvernement, mais conservant secrètement l’excédent. Tout le monde doit absolument jouer le jeu : si cela s’ébruite, ils risquent leur vie. Chacun s’engage au silence, puis appose ses empreintes sur le pacte. Si l’un d’entre eux parle, les autres peuvent le compromettre. Yen Hongchang roule le document dans un morceau de bambou, puis le cache dans le toit de sa hutte. Et tous rentrent se coucher en silence.
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Un an plus tard, Yen Hongchang n’a plus faim. La récolte a été exceptionnelle, plus abondante que les 5 dernières années réunies. Chacun travaille d’arrache-pied, avant même le coup de sifflet matinal. Tous veulent prouver leur valeur et faire mieux que le voisin. Surtout, ils savent que les grains vont nourrir leur famille. C’est les mêmes hommes, les mêmes terres, les mêmes outils. Mais la propriété privée a absolument tout changé.
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Cette relative prospérité fini par s’ébruiter. La police vient chercher Yen Hongchang. Le bat, menace de l’exécuter. Mais en Chine, le vent est en train de tourner. Mao vient de mourir, et Deng Xiaoping le remplace. Il veut réformer le pays, mettre un terme aux famines. Yen est libéré, et l’expérience sert même d’exemple pour les réformes à venir.
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Le nouveau « Système de responsabilité des ménages » permet aux paysans de vendre leur production hors quota sur le marché libre. Ils reçoivent des quasi-droits de propriété privée, avec des baux renouvelables sur leurs terres. Partout, la productivité explose.
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Les zones économiques spéciales sont créées sur les mêmes principes. Symboles de la libéralisation de l’économie, elles sacralisent la propriété privée, mettent fin aux droits de douane et au protectionnisme, et proposent un taux d’imposition avantageux. « Le Miracle de Shenzhen » arrive. Première ZES, la ville passe d'une petite communauté de pêcheurs à une métropole de 10 millions de personnes en seulement 35 ans.
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La Chine sort du marasme. 91,6% de Chinois vivaient dans l’extrême pauvreté en 1981, gagnant moins de 2,15$ par jour. C’est seulement 0,1% aujourd’hui.https://image.noelshack.com/fichiers/2023/51/7/1703422610-gcfiphrw0aav-8k.jpeg
Xiaogang, aussi, a beaucoup changé. Symbole du renouveau, elle accueille curieux et dignitaires dans son musée à la gloire du pacte des 18.https://image.noelshack.com/fichiers/2023/51/7/1703422637-gcfitqgw0aavvl0.png
Le pouvoir central n’a pu s’empêcher de mettre sa patte. Les usines ont fleuries. Ce ne sont pour la plupart que des coquilles vides, qui tournent au ralenti. Alors que la PCC resserre son étreinte sur l’économie, Xiaogang est une fois de plus en phase avec son époque.
Yen Hongchang y vit toujours. Mais les autorités découragent les journalistes qui viennent le rencontrer. Il dit avoir monté plusieurs entreprises, réquisitionnées par le parti quand elles furent rentables. Privilèges et corruption n’ont pas disparu en Chine.
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Mais l'histoire de Xiaogang résonne encore aujourd'hui. Vivre pour le collectif a conduit au plus avilissant des individualismes : tenter de se sauver soi-même, en sachant qu’on condamne tout le monde.
Vivre pour son intérêt personnel eu l’effet inverse : profiter à tous.