Mary (le prénom a été modifié) sèche, discrètement, la larme qui roule sur sa joue. « J’ai honte, je ne comprends pas… J’aurais aimé que ce ne soit jamais arrivé », s’émeut-elle. La trentenaire regrette ce verre de vin partagé dans un bar, ces doux regards auxquels elle a succombé, ces beaux discours auxquels elle a cru pendant des semaines.
Le conte de fées était un leurre. Le prince charmant, un arnaqueur. En cinq ans, Aurélien A., 32 ans, aurait volé et escroqué au moins dix femmes après les avoir séduites, en France, en Belgique et aux Pays-Bas. Mary est celle qui a permis son arrestation le 19 août. Ce mercredi, l’« arnaqueur de Tinder », celui-ci 100 % français, est jugé devant le tribunal correctionnel de Paris. « Je suis contente qu’il soit là aujourd’hui et qu’il ne fasse pas d’autres victimes », se félicite la plaignante.
La rencontre a débuté par une notification sur un téléphone, en mai. Mary vient de passer une journée à Bruxelles, en Belgique. Elle rentre chez elle à Amsterdam, aux Pays-Bas. Dans le train, elle ouvre Bumble, une application de rencontres. Un certain « Charles » lui a écrit.
Ils discutent. Charles Édouard Kabla Schneider étale ses atouts. Le beau brun richissime se présente en avocat d’affaires à succès, installé à New York, en déplacement en Europe pour le travail. Sur son profil, le businessman au costume bien coupé pianote, l’air affairé, sur son ordinateur portable. Mary consulte sa page LinkedIn : les meilleures études, la plus belle carrière. « Ça paraissait trop beau », concède aujourd’hui la Néerlandaise.
Les choses s’accélèrent. Charles a envie de la voir. Il débarque à la gare d’Amsterdam, suivi de sa valise à roulettes. Un bar accueille leur premier rendez-vous. À table, l’avocat fait tourner son verre, goûte une fine gorgée, hèle le serveur pour une autre bouteille. « Il jouait très bien son personnage. Je me souviens qu’il avait aussi 1 500 euros en liquide. J’ai découvert, plus tard, que cet argent appartenait à sa victime précédente. »
La trentenaire aux cheveux d’ébène se sent conquise. Elle l’invite dans son appartement. « Un homme normal serait parti le lendemain. Lui, il a voulu rester », s’étonne Mary. Le début de neuf semaines de mensonges. La première, Charles est « charmant », « romantique ». « Il me faisait des massages, dansait avec moi, faisait le ménage, m’emmenait dîner. Je me sentais bien avec lui. »
Dans l’appartement d’Amsterdam, il simule des appels professionnels ou des conférences vidéo auxquelles Mary n’a pas le droit d’assister. Les clients, prétend-il, « sont trop importants ». Le charme s’étiole. Charles devient « agressif », « dominant ». « Il prétextait un syndrome d’Asperger, disait qu’il était HPI (haut potentiel intellectuel). Il avait toujours une excuse », se remémore Mary.
n beau jour, le faux avocat promet à la brune un mariage en grande pompe à Monaco. Il appelle la principauté, réserve soixante chambres dans des hôtels de luxe pour un total de 300 000 euros. « J’ai appris plus tard qu’il avait tout annulé le lendemain. »
Une autre fois, le pseudo-millionnaire veut acheter un appartement avec Mary. Les deux tourtereaux visitent un penthouse magnifique de 10 millions d’euros. Elle observe Charles négocier le prix avec l’agent. « Dans ses histoires, il glissait toujours un peu de vérité, ce qui rendait les choses crédibles. J’ai toujours eu un doute, mais j’avais envie d’y croire, même s’il n’y avait que 1 % de chances. » Pendant ce temps, le bonimenteur profite de son logement. Elle lui offre des dîners, lui paie des vêtements. « J’ai déboursé 3 000 euros pour lui… »
Aurélien A. rode son personnage depuis des années. Le major Yann Zint l’a expérimenté dès 2019 lors d’un contrôle routier, « tout ce qu’il y a de plus banal », dans le Var. Charles roule dans une « grosse BMW flambant neuve ». « Il me raconte qu’il vient de se faire voler ses papiers. Et plutôt que de faire profil bas, il commence un long flux de paroles : il est américano-suisse, riche héritier, en pourparlers pour acheter des diamants en Belgique, se souvient le major Zint. Son histoire paraissait tirée par les cheveux. »
Le gendarme l’emmène au poste, officiellement pour prendre sa plainte pour le prétendu vol de documents. « J’avais en tête de vérifier son identité avec un relevé d’empreintes. » La recherche estomaque le major : Aurélien A., né à Armentières, a déjà commis une quarantaine de délits (vols, escroqueries, défaut de permis…). L’homme est même sous le coup d’un mandat d’arrêt de deux ans. « Depuis l’âge de 14 ans, il fait des allers-retours entre les gardes à vue et la prison. »
n audition, le militaire se frotte au personnage. « On avait beau lui montrer les preuves, ses empreintes, les photos, il niait tout. Un vrai manipulateur. » À l’époque, Aurélien joue déjà de ses charmes. Il vit chez une sexagénaire qui l’entretient près de Fréjus (Var) et retrouve aussi régulièrement une mannequin à Cannes. « Il a fini par sortir de prison au bout d’un an et il a recommencé », se désole le major Zint. Depuis, le gendarme reçoit de temps à autre des mails désespérés des proches de victimes. « Pour lui, c’est un jeu. Tant qu’il gagne, il joue », résume Yann Zint.
Son nouveau terrain ? La Belgique, en 2022, où il use des mêmes techniques. Me Benoît Lemal le rencontre en février. « Il venait de sortir de prison et il a volé le jour même un sac dans un bar, confie l’avocat belge. Il a plaidé la nécessité. » Le conseil décrit un homme au « langage de vendeur », un « beau parleur ». « Il a un certain talent pour mettre les gens en confiance », décrit-il. Lors d’un entretien, Aurélien A. aurait même tenté de convaincre l’avocat d’investir… dans la cryptomonnaie : « Il disait que c’était l’avenir, qu’il avait de bons conseils. »
Deux mois plus tard, son client est libéré sous contrôle judiciaire, dans l’attente de son procès. Il en profite pour s’échapper. Et provoquer la rencontre avec Mary. La pseudo-histoire d’amour se termine comme les précédentes. Il convainc la belle de faire un séjour à Paris. Sur place, il lui propose un massage dans un salon « pour se détendre », avant de décamper avec son téléphone, ses cartes bleues et son ordinateur.
La femme porte plainte dans un commissariat de Paris, avec tous les éléments qu’elle a rassemblés. Deux semaines plus tard, Aurélien A. est arrêté. Où ? Dans l’appartement d’une nouvelle jeune femme.