centrissoupelec
2023-09-08 18:20:32
"Cher Marcel,
L’un des derniers des grands Hommes qui ont fait ce pays que tu étais, sinon le dernier, vient de s’éteindre. Ton engagement pour la Patrie commença en 1943, quand, refusant d’être enrôlé dans le STO, tu préféras rejoindre les FFL.
La guerre terminée, après avoir été élève de Maurice Allais, tu rejoignis en 1949 le service public au sein de la nouvelle société Électricité de France, fruit du travail de nationalisation des entreprises de production, transport et distribution d’électricité entrepris par Marcel Paul. C’est au sein de la direction commerciale que tu réalisa ta première œuvre, la mise au point de la tarification au coût marginal de l’électricité.
Tes talents reconnus, tu fus nommé directeur général d’EDF. À cette place tu réalisa ta seconde œuvre, ta plus grande, une qui fait que la France peut être fière d’elle même, la construction de ce qui est aujourd’hui encore le plus grand parc électronucléaire intégré au monde. Ton travail commença par le constat d’une impasse, celui de la difficulté de la filière électronucléaire Uranium Naturel Graphite Gaz à être économiquement viable. Aussi la commission PEON recommanda l’abandon de cette filière, qui pourtant devait faire la fierté nationale, pour opter la filière américaine à eau légère pressurisée. Mais ce qui fut un échec su être transformé en succès éclatant. Ainsi débutèrent les travaux des centres nucléaires de production d’électricité Fessenheim et du Bugey.
Puis vint le choc pétrolier de 1973 avec ses dures conséquences contre des économies désormais bâties sur une énergie abondante et bon marché. Mais si l’on a pas de pétrole, on était encore une nation sûre de son génie pour affirmer que l’on a des idées. C’est ainsi, sous décision du premier ministre Pierre Messmer, que la nucléarisation du parc de production d’électricité fut amplifiée et accélérée. Dans ce que l’on peut sans crainte qualifier de l’un des plus grands chantiers de l’Humanité, il convient également de saluer le travail acharné de ton bras droit, un autre regretté grand serviteur de l’État, Michel Hug, directeur de l’équipement, pour rationaliser tel chantier, notamment en convainquant le gouvernement d’opter pour la seule licence de réacteur à eau pressurisée Westinghouse proposée par Framatome au lieu de partager la construction avec la licence de réacteur à eau bouillante General Electric proposée par la Compagnie Générale d’Électricité.
Jusqu’à sept réacteurs électronucléaires sortirent de terre chaque année, et deux décennies après plus de 70% de l’électricité produite en France est désormais nucléaire, électricité bon marché pour ménages et entreprises. EDF, fière de son succès diffusait triomphalement des publicités télévisées où l’on mentionnait que les perceuses ne sont pas électriques, mais nucléaires. Plus que son pourtant glorieux passé de résistant Pierre Messmer, à la fin de sa vie déclara que sa plus grande fierté fut le plan qui porte son nom. Qu’il est loin ce temps où l’on n’avait pas le nucléaire honteux.
Car le problème des ouvrages robustes, c’est que l’on croit qu’il sont immuables, négligeables. Les temps difficiles font les hommes forts, les hommes forts font les temps paisibles, les temps paisibles font les hommes faibles, les hommes faibles font les temps difficiles disait Ibn Khaldoun. À la génération de bâtisseurs dont tu faisait partie, vint celle des dilapideurs. Des politiciens oubliant le mot d’Isaac Newton selon lequel si l’on voit plus loin, c’est parce-que l’on est assis sur des épaules de géants, se crurent plus malin et négligèrent ton travail. Pire, au nom de considérations idéologiques abscons, ils ont attaqué tes deux œuvres, tarification de l’électricité et électricité nucléaire. Les récents évènements viennent de donner un cruel démenti à ces demi-habiles.
Marcel, tu viens de nous quitter hier, en ayant eu je suppose sur tes derniers jours, la satisfaction douce-amer d’avoir eu raison contre les autres. Dans une période où le verbe l’emporte sur le faire, tu n’as eu droit pour hommage national, qu’à de simples brèves de presses. Mais sache que dans ton entreprise, dans ton industrie, nous ne t’oublierons pas.
Mais ta réalisation, bien que gravement endommagée est encore là. Paraît-il que certains des mêmes demi-habiles, conscients de leur erreur se sont décidés de la réparer et la prolonger. À nous de le mettre en œuvre. Et en espérant également qu’un jour, avec l’autre Marcel, sans lequel rien n’aurait été possible, que tu reposes dans le lieu où, aux grands Hommes, la Patrie est reconnaissante.
Suivons ta simple mais pertinente maxime, de plus en plus d’usages de l’électricité, de moins en moins d’électricité par usage. Repose en paix Marcel Boiteux."
[Message d'un internaute dénommé François, accessible dans la section commentaire de cet article https://descartes-blog.fr/2023/09/07/lecole-des-abayas/#comment-113568 ]