Gros-Babouin
2023-08-30 15:08:15
Bon déjà les coups d'état en Afrique c'est pas nouveau hein? C'est une tradition très bien ancrée. Mais il y a effectivement une épidémie intéressante en ce moment.
Pour essayer de te faire les grandes lignes.
Après la période coloniale (occupation directe par les pays occidentaux) et la période néo-coloniale de la Guerre Froide (contrôle économique et politique indirect au travers des élites politiques), l'Afrique est entrée dans une nouvelle ère en terme d'interactions économiques, politiques et de rapports de puissance avec la montée de l'islamisme et les ambitions russes et chinoises.
D'un côté, les pays occidentaux ont relâché leur contrôle sur l'économie et la politique africaine. C'est à la fois une évolution politique (le néocolonialisme bien sordide à la Foccard n'a plus la côte) et économique (l'Europe s'est désindustrialisée et n'a plus autant d'intérêt à préserver ses pré carrés africains, d'autant plus que le marché international des matières premières s'est ouvert en grand avec la fin de la Guerre Froide).
D'un autre côté, la Chine elle veut ces matières premières et commence sa propre phase "néocoloniale" pour s'affirmer comme une puissance globale indépendante, donc elle investit des sommes considérables en Afrique. La Russie aussi a vu des opportunités de se faire des états clients "low cost" et ses méthodes de déstabilisation (réseaux sociaux, mercenaires, etc.) fonctionnent beaucoup mieux là -bas qu'en Europe puisque les pays européens (ex puissances coloniales) sont les oppresseurs historiques.
Tout ça nous amène au Mali, qui a été le point de départ du bordel. En gros, en 2012 le gouvernement malien était sur le point de s'effondrer face à des groupes terroristes islamistes et a appelé la France à la rescousse (opération Serval). Cette opération a été un grand succès militaire mais la transition en opération anti-terroriste était plus compliquée (opération Barkhane).
Après dix ans de présence au Mali, ce qui était une opération de stabilisation anti-terroriste a commencé à être perçue comme une occupation néo-coloniale typique des années 60. La propagande russe en particulier a appuyé sur le ressentiment colonial et la population malienne a commencé à demander le retrait des troupes françaises (détail crucial, la population du Sud du Mali, ou Barkhane n'opérait pas, était très remontée contre la présence française, tandis que la population du Nord qui avait eu affaire aux islamistes et aux soldats français restait plutôt pro-Barkhane...Va savoir pourquoi...). Ca a fini par le coup d'état de 2021 et les putschistes ont demandé le retrait de l'Armée française.
Et bien sûr, l'Armée française s'est retirée. Parce que le nœud de l'affaire c'est que *la France n'est plus une puissance néo-coloniale*, elle n'en a plus les intérêts. Les intérêts français en Afrique sont de limiter la propagation de l'islamisme et d'éviter les guerres civiles qui créent des pressions migratoires. Sans invitation des gouvernements locaux, la France n'a plus le soutien interne/international pour intervenir en Afrique de son propre chef.
- Mais* le ressentiment de l'époque néo-coloniale est toujours là et créée un énorme mouvement anti-français qui est du pain béni pour les russes/chinois/putschistes puisqu'ils peuvent prétendre se battre contre une puissance coloniale et obtenir de "grandes victoires" en réussissant à "rejeter le joug français" juste en se donnant de grands airs...Même si le joug en question consistait à stabiliser la région contre des groupes terroristes...
(D'ailleurs depuis le départ des français le Nord du Mali est retombé dans un chaos d'une violence sans nom mais bon, c'est presque un détail...)
Toujours est-il que pas mal de militaires ambitieux ont bien pris note de ce qui s'était passé au Mali. Désormais ils savent que *la France n'interviendra pas militairement pour préserver des gouvernements amis* comme elle l'aurait fait dans les années 50-90. Donc soudainement plein de gouvernements qui avaient l'air stables depuis des décennies ont perdu la "caution" qui gardait leur propre armée au pas. Les militaires se rendent compte que Monsieur le Président-à -vie-tout-à -fait-légitimement-élu n'a plus la protection de l'Elysée et se redécouvrent des ambitions politiques puisque personne ne peut les arrêter.
Ils savent aussi qu'ils n'auront pas de mal à trouver des fonds et des marchés en se tournant vers la Chine et la Russie, une fois le pouvoir pris. Et puis ce qui est bien c'est que c'est difficile pour la communauté internationale de s'opposer à des gens qui renversent un dictateur au nom de la démocratie...Même quand tout le monde sait très bien qu'ils n'ont aucune intention de restaurer ladite démocratie.
Et puis, en cas de doutes sur leur légitimité, ils peuvent toujours agiter le chiffon du sentiment anti-français et le spectre de l'époque coloniale. Cela suffit à la fois à assurer le soutien de la population et à paralyser toute idée d'une intervention française, qui serait immédiatement taxée de néo-colonialisme. (*You want a guerilla war, that's how you get a guerilla war).* Le moindre soupçon de présence française est agité sur les réseaux sociaux comme un cri de ralliement.
C'est la raison pour laquelle la CEDEAO a tenté de substituer sa propre menace d'intervention militaire à celle de la France pour mettre au pas les putschistes du Niger. Les états africains sont individuellement faibles et leurs traditions gouvernementales sont instables. Démocraties et dictatures craignent leur propre armée, et il y a la crainte d'une contagion de coups d'états militaires sans la mise en place de garanties de sécurité collectives. Le Gabon est en train de montrer qu'ils avaient plutôt raison...
(Pour ajouter un détail: La position difficile de la France par exemple, c'est qu'apporter son soutien à la CEDEAO, qui serait sans doute la meilleure chose à faire, risque tout de suite de peindre la CEDEAO avec la même marque d'infamie de "marionnette de la France". Donc on est un peu obligés de fermer nos gueules et d'espérer que ça passe.)