Novavax
2023-08-04 07:40:06
Vu d’ici, tout incite à la sinistrose. Une réforme des retraites a mis le pays en ébullition, alors même que les Français figurent parmi les champions mondiaux en matière de temps moyen passé en retraite. Les violences urbaines, suite à la mort de Nahel, vont laisser une facture d’au moins un milliard d’euros. Pour la première fois, la dette publique française a dépassé les 3 000 milliards d’euros. Mais, en cette période d’autoflagellation nationale, il n’est pas inutile de consulter la presse étrangère pour se remonter le moral. The Economist vient ainsi de consacrer un long article aux "succès cachés" de l'Hexagone. Pour le vénérable hebdomadaire britannique, "l’un des grands mystères de la France actuelle" n’est pas notre consommation irraisonnée de grenouilles ou de fromages putrides, mais notre maintien économique en dépit de dépenses sociales record ou d’une mentalité révolutionnaire. "Un pays qui a une aversion pour le changement, un talent pour la révolte et un goût immodéré pour les impôts réussit encore à faire beaucoup de choses bien", constate The Economist, qui rappelle que depuis 2018, la croissance cumulée du PIB français, quoique modeste, est deux fois plus importante qu’en Allemagne, et dépasse celle de ses grands voisins britanniques, italiens et espagnols.
Sam Bowman, cofondateur du magazine numérique Works in Progress, a lui aussi, dans une analyse remarquée, tenté de percer ce mystère français. "J’avais l’habitude de m’interroger : pourquoi la France est-elle si riche ? En dépit d’une réglementation du marché du travail notoirement restrictive et d’une fiscalité élevée, la France d’après-guerre a toujours été aussi riche que le Royaume-Uni, voire plus riche. Et elle est nettement plus productive, même si l’on tient compte du taux de chômage plus élevé de la France." Pour Sam Bowman, "la France se trompe sur tant de choses, et pourtant elle s’en sort plutôt bien dans les domaines qui comptent vraiment".
TGV, nucléaire et garde d’enfants
Alors, quel est donc notre secret, selon ces observateurs anglo-saxons ? Il y a d’abord les infrastructures performantes, héritage de décisions historiques avisées. Comme le rappelle The Economist, avec 2 800 kilomètres notre réseau de train à grande vitesse est l’un des plus vastes au monde. Sam Bowman souligne, lui, que 29 villes françaises ont un réseau de trams, contre seulement 11 au Royaume-Uni. Il salue aussi notre réseau autoroutier : "La France compte près de 12 000 kilomètres d’autoroutes, contre environ 4 000 kilomètres ici, et les autoroutes françaises ont tendance à être plus fluides et mieux entretenues (et les trois quarts sont à péage, ce qui rend les embouteillages beaucoup moins problématiques)."
Deuxième clef : une énergie abondante et plus décarbonée que chez nos voisins. "La France produit une partie de l’électricité la moins carbonée d’Europe, grâce non pas aux énergies renouvelables mais à son industrie nucléaire, lancée dans les années 1970", note The Economist.
La France possède aussi des atouts sociaux par rapport aux autres grands pays européens, avec notamment une garde d’enfants bien plus abordable et répandue, ainsi qu’un taux de pauvreté nettement plus bas. Notre taux de chômage, à 7,1 %, est au plus bas depuis quinze ans. "Malgré les réformes de M. Macron, l’Etat français prélève toujours plus d’impôts en pourcentage du PIB que n’importe quel pays de l’OCDE, à l’exception du Danemark, et consacre plus d’argent aux dépenses sociales", souligne The Economist.
Stabilité politique
Mais le magazine libéral met également en avant des succès bien plus capitalistes, notamment en matière de luxe, notre grand avantage comparatif : "La France compte plus d’entreprises dans le top 100 mondial, mesuré par la capitalisation boursière, que n’importe quel autre pays européen. Elle le doit en grande partie à ses géants du luxe, dont la rentabilité et l’envergure ont bondi au cours de la dernière décennie. En 2022, les marques de luxe françaises étaient plus rentables que les entreprises technologiques américaines." Ces succès ne se limitent aux exportations de sacs en cuir. "La France abrite également une banque parmi les plus valorisées de la zone euro, BNP Paribas. Entre 2017 et 2022, le pays a augmenté sa part des exportations mondiales d’armes de quatre points, pour atteindre 11 %. L’année dernière, la France a déposé plus de brevets que la moyenne de ses grands voisins européens, et près de deux fois plus que la Grande-Bretagne. Sur un plateau boisé au sud de Paris, le gouvernement investit des milliards dans un pôle d’innovation autour de Saclay, destiné à devenir un "MIT français" poursuit The Economist. Même si notre pays est en retard en la matière par rapport aux Britanniques et aux Allemands, il a réussi, avec trois années d’avance, à exaucer une promesse macronienne en atteignant en 2022 le nombre de 25 licornes (des start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars).
Enfin, The Economist salue la stabilité politique qui, selon lui, a permis de faire croître l’attractivité économique de la France : "M. Macron est le premier président depuis vingt ans à être réélu. Bruno Le Maire a été ministre des Finances pendant la plus longue période consécutive sous la Ve République. Les deux hommes ont promis de ne pas augmenter les impôts et s’y sont tenus. La conférence annuelle des grands patrons étrangers, invités par M. Macron à 'choisir la France', s’est transformée en un événement d’élite très prisé. Cette année, plus de 200 d’entre eux sont venus dîner à Versailles et ont annoncé conjointement 13 milliards d’euros d’investissements supplémentaires. Morgan Stanley a presque doublé ses effectifs à Paris. Pfizer double son investissement dans le pays pour le porter à 1,2 milliard d’euros au cours des quatre prochaines années."
“Je parie sur les banlieues”
SIMON KUPER
Même la situation dans les banlieues n’est peut-être pas si catastrophique que cela. Dans le Financial Times, le chroniqueur Simon Kuper, qui réside à Paris, met en avant des évolutions positives. A commencer par la baisse du taux d’homicide dans le Grand Paris, passé de 4,8 pour 100 000 en 1994 à 1,2, soit le même qu’à Londres, et bien meilleur qu’à New York (5 pour 100 000). "Dans le même temps, le taux de chômage dans l’agglomération parisienne est tombé à 6,6 %, soit son niveau le plus bas depuis quinze ans", souligne Simon Kuper. Selon lui, les 68 futures gares du Grand Paris, plus grand chantier d’Europe en matière d’infrastructures, vont encore améliorer la situation en reliant mieux la capitale à sa périphérie. Conclusion du chroniqueur : "Je parie sur les banlieues."
Bien sûr, notre pays ne réussit pas tout, loin de là. "Le niveau des écoles publiques et l’accès régional aux services de santé suscitent de réelles inquiétudes. La politique reste polarisée et la société anxieuse. Les salaires réels moyens sont demeurés stables et n’ont pas augmenté comme aux Etats-Unis. Toutes les subventions françaises et tous les projets d’infrastructure ont un prix exorbitant. Les finances publiques sont mises à rude épreuve, en partie à cause du plafonnement des factures d’énergie visant à protéger les consommateurs de la crise du coût de la vie, qui ne s’estompe que lentement", résume The Economist, qui rappelle que notre pays n’a pas eu un budget de l’Etat à l’équilibre depuis la naissance de son actuel dirigeant, Emmanuel Macron. "Pourtant, alors que les Français montent à bord de trains ultrarapides en route vers leurs vacances d’été, d’une durée enviable, le modèle français continue de défier ceux qui prédisent son effondrement"