Pourquoi Emmanuel Macron veut aller au sommet des Brics
Désireux de se rapprocher des puissances émergentes, le président compte se rendre à la réunion organisée par l'Afrique du Sud Invité surprise
L'Elysée organise les 22 et 23 juin au Palais Brongniart à Paris un sommet pour un nouveau pacte financier mondial. Promoteur d'un multilatéralisme rénové, le président français plaide pour une refonte du système hérité de la Seconde Guerre mondiale en prenant en compte l'émergence des puissances du Sud afin d'éviter une fragmentation avec les pays occidentaux. Une quarantaine de chefs d'Etat et de gouvernement sont attendus.
Et si Emmanuel Macron était le premier dirigeant occidental à se rendre à un sommet du club très fermé des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à l'automne prochain? Le pari est un peu fou et inédit - un président français dans une enceinte qui veut concurrencer la gouvernance mondiale sous leadership américain - mais l'Elysée y travaille. Selon nos informations, le chef de l'Etat français a demandé à son homologue sud-africain, Cyril Ramaphosa, hôte de la prochaine réunion à l'automne, de pouvoir venir. « Ce serait un grand coup ! », confirme un proche du locataire de l'Elysée.
Cette possibilité a été explorée lors de l'entretien téléphonique que Macron a eu avec Ramaphosa, le 3 juin. Cette requête a quelque peu surpris son homologue qui va prendre le temps de réflexion avec ses partenaires des Brics, réservant une réponse très diplomatique. « La présence à ce sommet a bien été évoquée lors de la conversation entre les deux dirigeants, mais Pretoria n'a pas donné d'indication sur la volonté ou pas d'élargir cette réunion à d'autres dirigeants internationaux », confie une source bien informée.
La patronne du Quai d'Orsay, Catherine Collona doit se rendre en Afrique du Sud dans les prochains jours. Cyril Ramaphosa participera quant à lui au sommet pour un Nouveau pacte financier mondial les 22 et 23 juin à Paris. Nul doute que la France remettra sur le tapis sa demande.
Coût politique. Une participation de Macron au sommet des Brics aurait un coût politique s'il devait croiser Vladimir Poutine à cette même réunion. Ce dernier est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. Pas sûr que Volodymyr Zelensky et Joe Biden apprécient. Mais le patron du Kremlin n'y est pas encore. Pretoria reconnaît la juridiction de La Haye et serait censé l'arrêter dès son arrivée. Cyril Ramaphosa est très embarrassé en raison de l'indépendance de son système judiciaire. Son cabinet réfléchit actuellement à l'instauration d'une loi spéciale offrant l'immunité aux chefs d'Etat en visite dans le pays.
Promoteur d'un multilatéralisme rénové, Emmanuel Macron tient à aller à la table des Brics pour discuter des enjeux globaux et conserver des alliés, comme les présidents Lula et Modi, dans l'architecture financière globale. Mais ce système dessiné après la Seconde
Guerre mondiale, qui tourne particulièrement autour des institutions de Bretton Woods, est jugé comme un outil de domination des Occidentaux par les Brics qui ont mis en place leur Nouvelle Banque de développement (NDB) en 2014. Basée à Shanghai, elle a déjà accueilli de nouveaux membres : le Bangladesh, les Emirats arabes unis, l'Egypte et l'Uruguay.
Les Brics rassemblent plus de 40% de la population mondiale, soit 3,2 milliards d'habitants.
Leur PIB combiné représente désormais 31% du total mondial et devrait atteindre 50% d'ici à 2030. Ils souhaitent depuis longtemps maintenir une indépendance à l'égard des Etats-Unis, s'accordant avec la position de la Russie. Les quatre autres pays composant ce club se sont d'ailleurs abstenus de condamner Moscou dans son entreprise militaire en Ukraine.
L'Elysée a bien compris les enjeux politiques et économiques dans une ère de confrontation entre sino-américaine qui redessinent les routes du commerce mondial. Plusieurs pays frappent déjà à la porte des Brics dont l'Argentine, l'Indonésie, l'Algérie, l'Egypte, le Kazakhstan, le Nigeria, les Emirats arabes unis, l'Arabie saoudite, le Sénégal et la Thaïlande.
Tous ces pays cherchent une enceinte de dialogue multilatérale afin de défendre un nouvel ordre de gouvernance globale. Dans Quand le Sud réinvente le monde, Bertrand Badie décrit le néo-souverainisme de ces pays, certes compatible avec la mondialisation, mais porté par un goût de revanche sur les humiliations passées.
Billet vert. La Chine et la Russie sont prêtes à leur offrir et à explorer des alternatives à la toute-puissance du dollar, monnaie de référence des échanges mondiaux. En amont de la visite récente à Pékin du président brésilien, la Chine et le Brésil ont décidé d'adopter le renminbi et le réal brésilien comme monnaies d'échange dans leurs transactions commerciales. Un schéma qui séduit aussi nombre de dirigeants africains. Car, dès que le billet vert monte, leur dette explose. Ces mêmes dirigeants aimeraient aussi se soustraire au dictat des institutions de Bretton Woods où ils pèsent peu pour se tourner vers d'autres banques et fonds du sud.
Cela va aussi dans le sens de l'essor du commerce mondial. L'Asie représente aujourd'hui près de 42% des exportations de l'Afrique et plus de 45% de ses importations. Cette région est devenue le premier partenaire commercial de l'Afrique devant l'Europe. Dans les décennies à venir, les échanges avec l'Asie, la Turquie et les pays du golfe devraient s'intensifier.
Un constat partagé par les conseillers d'Emmanuel Macron. « La domination du dollar comme les sanctions imposées par les Etats-Unis ont des conséquences au niveau géopolitique et sur le financement des économies des pays du Sud, assure-t-on l'un d'eux. Cela crée des tensions et des rancoeurs, y compris dans les pays européens dont les entreprises ont également été touchées par l'extraterritorialité des lois américaines. On voit monter en puissance les Brics. La France et l'Union européenne doivent instiller un dialogue de très haut niveau avec cette instance. » La France a pris le soin d'associer les Brics - à l'exception de la Russie - dans le cadre du sommet sur le nouveau pacte financier mondial. Elle scrute l'évolution des positions, notamment de la Chine. L'idée est de rapprocher les vues sur les réformes du système financier mondial et faire émerger des propositions qui seront ensuite discutées dans les autres enceintes de dialogue (Brics, Assemblée générale de l'Onu, institutions de Bretton Woods, COP 28).
« A Paris, la Chine devrait proposer de nouveaux allégements de dette pour les pays africains, à condition que les banques multilatérales acceptent de faire le premier pas, conclut-on dans l'entourage de Macron. Elle devrait aussi parler de gouvernance mondiale en coordonnant sa position avec celle de ses alliés des Brics qui reprochent aux Occidentaux de ne pas tenir leurs engagements financiers internationaux (réallocation des DTS du FMI, fonds climatiques...) et de bloquer la réforme du système financier international, particulièrement les Etats-Unis qui s'opposent à une redistribution des droits de vote des institutions de Bretton Woods. »