SonicRejoue
2023-03-14 22:14:11
Dans sa grande étude sur le suicide au Moyen Âge, Alexander Murray a montré que le tiers des cas recensés concernent des religieux : acedia, tristitia, desperatio, inspirés par le diable, poussent le solitaire à se donner la mort. Ainsi ce prémontré, en 1170, dans le Lincolnshire, à propos duquel le chroniqueur raconte :
« Le cœur de Henry était brisé de mélancolie. Guidé par le diable, il prit un bain chaud et s’ouvrit les veines des deux bras ; et de cette façon, de sa libre volonté - ou plutôt de sa libre folie -, il mit fin à sa vie. »
En 1256, c’est le chapelain de l’hôpital de Westgate, à Newcastle, qui se pend ; vers 1300, un cistercien de Villers, en Belgique, se tue parce qu’il ne supporte plus la solitude.
Le suicide touche aussi bien des moines anonymes de Saint-Gall que le cardinal Andreas Zamonetic, qui s’étrangle en 1483, des templiers, un haut dignitaire de l’église de Strasbourg en 1484 et, la même année, un moine prémontré de Saint-Pierremont, près de Metz, ou encore un franciscain de Pise qui se jette dans un puits vers 1280, comme le mentionne la chronique de Salimbene.
Césaire de Heisterbach, au XIIIe siècle, rapporte de nombreux cas de suicides de religieux, attribués aux effets de la solitude : trop longtemps seuls, ils se referment sur eux-mêmes, perdent le contact avec leurs frères et désespèrent de leur salut. Ainsi le cistercien Baldwin, vers 1220 : « À la fin, ses veilles et son travail excessif échauffèrent son cerveau. Il devint si faible qu’une nuit, avant que la communauté se soit levée pour matines, il alla à l’église, monta sur le banc des novices, fit un nœud autour de son cou avec la corde de la cloche, et sauta. »
Et cette cistercienne, à la même époque, dans un couvent mosellan : « Il y a quelques mois, une certaine religieuse, d’un âge avancé et de sainte réputation, fut si sévèrement affligée du vice de mélancolie, avec des accès de blasphème, de doute et d’incroyance, qu’elle tomba dans le désespoir. Elle commença à avoir les doutes les plus graves au sujet de ce qu’elle avait cru depuis l’enfance, et de ce qu’elle devait croire. » Elle se jette dans la Moselle.
Quand elle ne pousse pas au suicide, la solitude pousse à la luxure, ce qui ne vaut guère mieux aux yeux des austères religieux. Dans l’abbaye cistercienne de Rievaulx, dans le Yorkshire, l’abbé Aelred (1110-1167) confesse qu’il est torturé par le démon de l’érotisme, contre lequel la prière ne suffit pas : l’eau froide et les orties sont avec les psaumes les meilleurs anti-aphrodisiaques