12 février 1942 : les COUILLES en TUNGSTENE des pilotes ANGLAIS
1940. Avec la chute de la France, la Kriegsmarine, la flotte de guerre allemande, peut utiliser les ports bretons et notamment Brest, pour menacer l'Atlantique et les convois vitaux d'approvisionnement liant le nouveau monde à l'Angleterre, qui défie seule l'empire hitlérien.
1941. Dans une première grande victoire navale, le Bismarck, l'orgueil de la Kriegsmarine, est coulé après une chasse épique dans l'Atlantique. Mais la menace n'est pas levée, car deux cuirassés allemands basés à Brest menacent encore : le Scharnhorst, le Gneisenau. Le croiseur Prinz Eugen est également de la partie.
La Royal Air Force lance une série de raids à Brest et à la Rochelle, pour endommager ces monstres d'acier allemands, et les clouer dans leurs ports.
Si les navires ne sont pas coulés, ces bombardements sont des succès. Les trois fleurons de la marine allemande sont inutilisables. Hitler décide alors que ces trois navires doivent quitter les ports français, rejoindre l'Allemagne, puis être redéployés en Novège. Pour trois raisons : 1) ils sont cloués à Brest sans possibilité de partir ; 2) ils permettront de protéger la Norvège d'un éventuel débarquement allié ; 3) ils permettront aussi de menacer les convois anglais et américains vers l'URSS. En effet, avec l'entrée en guerre de l'Union soviétique, du matériel allié commence à arriver en quantité via la route de l'Arctique. Hitler veut stopper ces approvisionnements. Oui, mais comment sortir les navires de Brest ?
Opérations Cerberus et Donnerkeil
La Kriegsmarine élabore donc un plan d'une audace inouie : forcer le passage de la Manche, le long des côtes françaises. Un plan fou : en tant de guerre, jamais aucune flotte n'a réussi à forcer la Manche au nez et à la barbe de la Royal Navy. Ce n'est pas pour rien que les Anglais appellent la Manche : The English Channel.
L'idée des Allemands est de naviguer de nuit, aussi rapidement que possible, de coller au plus près des côtes françaises et de pofiter du mauvais temps pour échapper à toute détection britannique. Le groupe de Brest - Le Scharnhorst, le Gneisenau, le Prinz Eugen, escortés par 6 destroyers et par des bateaux de patrouille plus petits, doit partir à la tombée de la nuit le 11 février 1942. C'est l'opération Cerberus. Face à la menace des bombardiers de la Royal Air Force, la Luftwaffe met en oeuvre l'opération Donnerkeil, complémentaire : plus de 250 chasseurs allemands Bf 109 et Fw 190 doivent assurer la couverture aérienne du groupe naval. Ils volent au ras des eaux et des mâts, pour échapper aux radars anglais.
Le 11 février 1942, alors que la nuit tombe, l'escadre allemande quitte Brest.
Cependant, les Britanniques avaient anticipé la possibilité d'une tentative de passage par la Manche. Les renseignements anglais et le déchiffrage de messages codés allemands avaient montré que c'est ce qui se préparait.
Mais la réponse britannique va aller de désastre en désastre, par un curieux mélange de malchance, d'incompétence, de manque de coordination.
Dès la nuit du 11, un avion patrouilleur britannique aurait pu repérer les navires allemands mais...son radar tombe en panne. Un sous-marin anglais qui observait les navires à Brest est obligé de refaire surface et donc s'éloigne du port, perdant de vue les navires...au moment où ils quittent Brest. Enfin, un espion anglais qui était à Brest observe le départ du groupe naval... mais ne peut envoyer de message à Londres, les ondes étant brouillées par les Allemands.
Ainsi, les colosses allemands se glissent, dans la nuit...
Le coût de l'incompétence
Au petit matin, incroyablement, l'amiral anglais Ramsey abaisse la posture d'alerte. Et ce alors que le groupe naval allemand est déjà au niveau de Cherbourg et continue vers le Pas de Calais à toute vitesse !
A 10h du matin, les radars anglais détectent du mouvement sur la côte. Mais le rapport n'arrive que tardivement...Une demi-heure plus tard, des avions anglais détectent la flotte. Problème : ils ont interdiction absolue d'utiliser la radio pour des motifs de sécurité. Ils ne peuvent rendre compte de leur trouvaille qu'une fois rentrés à leur base...chose faite uniquement à 11h du matin. Encore pire : à cause des conditions météo, ils n'ont pas vu la composition réelle de la flotte allemande.
Pendant ce temps, le Scharnhorst et le Gneisenau continuent à toute vitesse, arrivant bientôt au Pas de Calais...
11 heures 30 : le Bomber Command anglais est enfin alerté. 100 bombardiers sont censés être à tout instant prêts à décoller sous deux heures. Mais, catastrophe : les bombes choisies ne sont efficaces que si elles sont larguées en altitude. Or impossible avec les conditions météo et la visibilité. Il faut donc changer les bombes, mais les autres feront moins de dégâts...Au final les bombardiers ne pourront pas être prêts avant 15 heures. Et les navires allemands seront loin...
Ainsi, le manque de coordination et l'incompétence font que, de manière absolument absurde, la seule formation aérienne capable de frapper la flotte allemande avant qu'elle ne passe le Pas de Calais, c'est le 825 Naval Air Squadron et ses six Fairey Swordfish. Oui : en ce moment de crise absolue, à cause de sa désorganisation, l'Angleterre ne peut lancer que 6 avions contre une flotte allemande...
Le "Stringbag"
Petit détour technique. Le 825 Naval Air Squadron est habituellement une escadrille embarquée sur porte-avions, mais il est, en février 1942, temporairement basé à terre, à la base RAF Manston en Angleterre. Le 825 est commandé par un Irlandais, Eugene Esmonde.
Eugene Esmonde est déjà un héros : il a été décoré la veille de la Distinguished Service Cross. En effet, il avait déjà mené une action décisive en attaquant le Bismarck avec son escadrille de Swordfish, ce qui avait contribué à couler le cuirassé allemand.
Le Fairey Swordfish est l'appareil du 825 Naval Air Squadron. C'est un bombardier torpilleur qui peut également utiliser des bombes ou des roquettes (d'où son surnom de Stringbag, c'est à dire de filet de courses : il pouvait tout contenir).
Un biplan ? Et oui. Le Swordfish date de 1935 et est complètement obsolète. Extrêmement lent pour l'époque, équipé de manière rudimentaire : pas de cockpit (les pilotes, navigateurs et mitrailleurs se gêlent), les 3 membres d'équipage communiquent avec des tubes, juste une petite mitrailleuse de 7.6mm vers l'avant et une autre à l'arrière.
En clair, le Swordfish est complètement obsolète et vient d'un autre temps. Mais il est toujours employé, et ses pilotes ont eu des succès absolument fameux : comme on l'a dit, les Swordfish ont joué un rôle important dans la traque du Bismarck. Surtout, dans la nuit du 11 novembre 1940, les Swordfish du porte-avions anglais HMS Illustrious attaquent la base navale italienne à Tarente. Le succès est total, la flotte italienne qui y mouille est mise hors de combat. C'est un triomphe qui consacre désormais la réalité nouvelle : dans la guerre moderne, les grands cuirassés et croiseurs sont extrêmement vulnérables à des attaques venues de l'air.
Malgré tous ses défauts, le Swordfish ou Stringbag est très apprécié de ses équipages, pour sa capabité à absorber des dégâts, son côté extrêmement rustique, sa maniabilité.
Et c'est donc six Stringbags qui sont envoyés pour attaquer le Scharnhorst et le Gneisenau. Sauf que dans ses succès précédents, les équipages avaient attaqué de nuit, avec une absence de la chasse ennemie. Le 12 février 1942, il est demandé d'attaquer de jour, avec un ciel noirci par les dizaines de formations de la chasse allemande. Ce n'est, ni plus ni moins qu'une mission suicide.
Comprenant cela, l'Amiral Ramsay contacte le First Sea Lord, Sir Dudley Pound, et lui demande l'autorisation d'annuler l'attaque. Pound lui répond : "C'est le travail de la Royal Navy d'attaquer l'ennemi, peu importe quand et où il serait localisé". La messe est dite.
"Dans les mâchoires de la mort ; dans la gueule des Enfers"
Eugene Esmonde prépare ses hommes. Chacun comprend la tâche pratiquement impossible qui lui est demandée. La Royal Air Force (RAF) promet une escorte de plus de 60 chasseurs pour couvrir l'attaque du 825. L'escorte doit les rejoindre au-dessus de Manston. Esmonde répond : "Dites-leur d'être là à 12h25. Amenez-nous les chasseurs à temps - pour l'amour de Dieu !"
A 12h20, les six Swordfish décollent, chacun équipé d'une torpille. 18 hommes partant, comme l'écrivait en d'autres temps le poète Tennyson, "dans les mâchoires de la mort ; dans la gueule des enfers".
Fait singulier et quasiment du jamais-vu : le Wing Commander Tom Glease, commandant de toute la base RAF Manston, assiste, seul, au garde-à-vous, au décollage des six avions. Personne ne s'y trompe : c'est - déjà - un signe d'adieu.
Rapidement, 10 chasseurs Spitfire d'escorte arrivent. Les Spitfire et les Swordfish tournent dans les airs quelques minutes. Où sont les autres Spitfire ? Avec 60 escorteurs, c'était une mission quasiment impossible. Avec 10, c'est une mission-suicide. Comprenant que les autres escorteurs se sont soit perdus soit n'arriveront pas à temps, et que pendant qu'ils tournoient la flotte allemande risque de passer entre leurs mains, Eugene Esmonde fait signe à toute son escadrille. L'ordre est donné d'attaquer.
Rapidement, l'escorte repère les chasseurs allemands qui couvrent la flotte. Un combat enragé s'engage entre les Spitfire et les Bf 109 et FW 190.
Les Swordfish, eux, avancent à basse altitude. Partout autour d'eux, un feu d'enfer commence. Ce sont les batteries anti-aériennes des destroyers et des cuirassés allemands qui sont entrées en jeu. Mais les six Swordfish réussissent à passer la première barrière des destroyers.
Désormais, face aux Swordfish, trois monstres d'acier : le Scharnhorst, le Gneisenau, le Prinz Eugen.
Imaginez la scène. Vous êtes à basse altitude, dans votre biplan extrêmement lent. Vous êtes gelé par le froid et par l'eau qui vous asperge de tous les côtés. Derrière vous, votre navigateur et votre mitrailleur, qui commence à s'activer car les chasseurs allemands piquent sur vous. Partout, des tirs ; les rafales des Messerschmidt vous touchent, mais vous continuez.
Devant vous, vos cibles : gigantesques folies d'acier, hérissées de canons anti-aériens. Tout ce que les allemands peuvent utiliser contre vous, ils l'utilisent. Partout autour de vous, la flak : des éclats d'obus, des schrapnels qui volent, le premier qui vous touche pourrait vous être fatal, et partout la lueur des traçantes. Votre appareil est sécoué dans tous les sens, vous êtes si désespérement lent. Votre aile basse droite est trouée de partout ; votre avion est déchiqueté ; votre moteur tient par miracle. Une balle vous a traversé le bras et vous pilotez d'une main. Encore un peu...encore un peu, et vous pourrez larguer votre torpille...à votre gauche, vous voyez les autres Swordfish s'embraser, tomber à l'eau ; votre équipage est mort sous la mitraille allemande. Un obus de flak éclate juste derrière vous, vous blessant au dos, et vous projetant en avant. Vous êtes sonné, mais vous y êtes presque...
Eugene Esmonde poursuivra l'attaque malgré la destruction de l'une de ses ailes, et la mort de son équipage. Il parvient à larguer sa torpille, juste avant de prendre un coup direct. Son Swordfish explose.
Le deuxième Swordfish est mortellement touché. Le pilote réussit à le poser sur l'eau. Lui et le navigateur réussissent à en échapper sur un pneumatique de sauvetage.
Le troisième Swordfish rate son approche et attaque une seconde fois - et son mitrailleur réussit à descendre un chasseur allemand. Il largue sa torpille, mais prend tellement de coups qu'il doit se désengager. Blessé, l'équipage réussit à se sauver, avec un moteur et une aile en feu.
Les trois derniers Swordfish poursuivent l'attaque mais sont descendus par la DCA allemande.
Sur les 18 hommes ayant décollé, seuls 5 ont survécu, et un seul sans blessure. Les six Swordfish ont été abattus.
Aucune torpille n'atteint sa cible.
Le Scharnhorst, le Gneisenau et le Prinz Eugen réussissent à forcer le passage et à rejoindre la Mer du Nord.
Epilogue
L'opération Cerberus est une réussite totale pour la Kriegsmarine et un fiasco complet pour la Royal Navy et la Royal Air Force. L'impensable s'est produit : un ennemi a réussi à forcer le passage de la Manche face à l'Angleterre. Lorsque la nouvelle lui est annoncée, Winston Churchill, entre dans une rage noire et demande simplement à ses officiers supérieurs : "Pourquoi ?"
Malgré tout, cette réussite est purement tactique pour l'Allemagne.
Car dans leurs nouveaux ports, le Scharnhorst, le Gneisenau et le Prinz Eugen ne sont pas à l'abri de la Royal Air Force, qui vient leur rendre quelques visites. Le 26 et 27 février, la RAF bombarde le Gneisenau, si endommagé qu'il est hors de combat pour le reste de la guerre et sera démantelé pour réutiliser ses canons.
Le Scharnhorst, lui, tentera d'intercepter un convoi anglais vers l'URSS en décembre 1943, à la tête d'une escadre allemande. Dans les mers glacées au nord de la Norvège, le Scharnhorst et son escadre sont pris en embuscade, le 26 décembre 1943, par le cuirassé britannique HMS Duke of York et le croiseur HMS Jamaica. Le Scharnhorst est coulé et seuls 36 hommes survivront de son équipage de 1970 personnes.
Le Prinz Eugen, quant à lui, sera torpillé par un sous-marin anglais le 23 février 1942. Retournant en Allemagne pour être réparé, il appareille de nouveau pour la Norvège en mai 1942, mais est attaqué par la Royal Air Force, sévèrement endommagé, et retourne à nouveau en Allemagne pour être réparé. Comprenant que la route de la Norvège est bloquée, le Prinz Eugen sera cantonné à des petites actions dans la mer Baltique. C'est toutefois l'un des deux seuls navires allemands qui survivront à la guerre. Les USA en prennent possession et...l'utilisent comme cible pour un essai nucléaire en 1946.
Pour la petite histoire, le Prinz Eugen a récemment fait l'actualité car il y avait des vrais risques de fuite massive du pétrole encore stocké dans le navire coulé. En 2018 la US Navy achève de drainer le pétrole du Prinz Eugen.
Commentant l'action des six Swordfish du 825, l'amiral allemand Otto Ciliax, qui était à bord du Scharnhorst, déclarera : "Une attaque d'une poignée d'avions anciens, pilotés par des hommes dont le courage dépasse toute autre action des deux camps ce jour-là". Le Capitaine Hoffman, également sur Scharnhorst, dit : "Pauvres gars ! Ils sont tellements lents...ce n'est rien de moins que du suicide de voler ainsi contre de si gros navires....
Eugen Esmonde recevra, à titre posthume, la Victoria Cross, la plus haute médaille de l'Empire britannique. Premier pilote de l'aéronavale britannique à recevoir cet honneur.
Si cette histoire et cet avion vous ont intéressés je ne peux que vous conseiller la BD Stringbags qui raconte la vie d'un équipage de Swordfish.
Autre fait intéressant sur le Swordfish : il sera employé pendant l'intégralité de la guerre, jusqu'à sa fin.
Il durera plus longtemps que le Fairey Albacore, l'avion qui était censé le remplacer !
J'ai lu, le Swordfish était vraiment un avion de merde, je confirme
J'ai tout lu, topic intéressant et bien raconté. J'ignorais cette histoire
Cimer l'opax pour ce moment de culture historique
Le 04 mars 2023 à 23:36:39 :
J'ai lu, le Swordfish était vraiment un avion de merde, je confirmehttps://image.noelshack.com/fichiers/2017/09/1488372360-7f95f2925afeac091c5f746acef4941f.jpg
Après il avait clairement des qualités, mais était vraiment beaucoup trop lent.
Après cet échec, il ne sera plus utilisé comme torpilleur contre des grands navires mais sera employé dans la lutte anti-sous-marins, là où il aura à nouveau des succès.
Le 04 mars 2023 à 23:47:32 :
J'ai tout lu, topic intéressant et bien raconté. J'ignorais cette histoirehttps://image.noelshack.com/fichiers/2017/18/1494048058-pppppppppppppppppppp.png Cimer l'opax pour ce moment de culture historique
https://image.noelshack.com/fichiers/2017/18/1494048058-pppppppppppppppppppp.png
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