Celestin101913
2022-12-08 04:31:41
En 1899, John Jolly présente à l'Académie Royale de Dublin une communication sur une estimation originale de l'âge de la Terre à partir de la teneur en sel des rivières et de l'océan. Cette communication arrive trois ans à peine après la découverte de la radioactivité par Becquerel au beau milieu d'une des plus fortes controverses de l'histoire entre les physiciens menés par Lord Kelvin et les géologues.
Le raisonnement de Jolly est le suivant : il défend l'idée que le sel de l'océan (35 grammes par litre) y a été apporté par les rivières. Les eaux de pluies, initialement très peu chargées en matière minérale, ruissellent ou s'infiltrent en lessivant la croûte continentale pour finalement se rassembler dans les rivières et y apporter les produits de dissolution. En prenant la masse de sodium dans l'océan et en la divisant par l'apport de sodium par les rivières, Jolly obtient le résultat suivant :
Ces chiffres, qui correspondent à l'estimation de l'âge de la Terre selon Jolly, devraient être légèrement révisés car les paramètres nécessaires au calcul, tels que la salinité moyenne de l'océan et des rivières, le volume et la densité de l'eau de mer, sont mieux connus aujourd'hui, mais ceci n'apporte pas de changement majeur.
L'âge de la Terre est aujourd'hui bien connu et notablement plus vieux (4.500 Ma) que les idées de Jolly (et de Kelvin) ne le suggéraient… Quelque chose dans les hypothèses de Jolly doit donc être incorrect. Nous allons voir que cette analyse est la clé de la question de la salinité de la mer.
La masse de l'océan (MO) est considérée comme fixe : la stratigraphie nous indique que le niveau des mers n'a guère varié de plus de quelques centaines de mètres depuis l'Archéen. Cette hypothèse n'est pas donc pas déraisonnable.
L'apport d'eau des rivières (QR) n'a pas varié. Ceci n'est probablement pas très faux si l'on tient compte de l'hypothèse précédente.
L'océan ne perd pas de sodium (Na constant), ce que l'on sait être faux puisque du sel évaporitique se forme en diverses régions littorales arides et que cet élément est échangé pour du calcium lors de l'altération sous-marine des basaltes du plancher océanique.
Jolly suppose également que l'état initial de l'océan est de l'eau douce. Il est donc en train de se "remplir" du sodium libéré par l'altération en milieu continental. Nous découvrons ici un gros problème. Comme il faut 100 Ma pour apporter à l'océan le sodium qu'il contient, celui-ci a forcément du être éliminé (voir point précédent) au fur et à mesure, à la même vitesse. Depuis le début de l'histoire de la Terre, le sodium marin a donc été renouvelé approximativement 4.500 / 100 soit 45 fois. La mémoire de la concentration initiale en sodium est perdue et l'océan a atteint un régime stable (dit état stationnaire).
Jolly n'a pas déterminé l'âge de la Terre mais a en fait découvert le temps de résidence du sodium dans la mer. Ce temps, qui est le temps qu'un atome de sodium passe en moyenne dans l'océan avant d'être absorbé par un basalte altéré ou par une évaporite, mesure la vitesse de renouvellement des ions de l'eau de mer. Tout ion qui entre dans l'océan en ressort un jour ou l'autre. Après un temps équivalent au temps de résidence, les apports et les départs s'équilibrent.
Des ions peu réactifs avec les particules et les minéraux marins, tels que Na+, K+, Ca2+, Mg2+, Cl-, SO42-, s'attardent longtemps dans l'océan et vont donc s'y accumuler. Ce sont les éléments majeurs de la salinité marine. Comme leur temps de résidence est très long (voir tableau), typiquement de un à une centaine de millions d'années, par rapport au temps de brassage de l'océan par les courants profonds (1.500 ans, datation 14C) et au temps de renouvellement de l'eau de mer par les rivières (40.000 ans, MO/QR), leurs proportions relatives demeurent constantes dans le temps et dans l'espace, même si localement l'évaporation et les précipitations peuvent concentrer ou diluer l'eau de mer. Il est donc futile de rechercher des variations en éléments majeurs, par exemple des rapports Na/K ou Ca/Mg, dans l'eau de mer. Les océanographes reconnaissent ainsi l'équivalence de la chlorinité (teneur en chlore) et de la salinité (teneur totale en sel) que l'on estime par une simple mesure de conductivité.
En revanche, des ions qui réagissent fortement avec les particules marines, comme le plomb ou les métaux de transition, seront rapidement entraînés. Leur temps de résidence dans la mer sera très court (parfois quelques années). Leur niveau de concentration ultime dans l'eau de mer sera très faible et très variable d'un endroit à un autre.
On trouvera ci-dessous un tableau avec les concentrations dans l'eau de mer et les rivières et un calcul du temps de résidence des éléments les plus concentrés de l'eau de mer. On remarquera que le calcium qui précipite dans les carbonates biogéniques, et à un moindre degré le potassium et le sulfate, a un temps de résidence plus court que le sodium et surtout le chlore qui apparaissent comme très résiduels.
Jolie-julie-
2022-12-08 04:33:03
Le 08 décembre 2022 à 04:31:41 :
En 1899, John Jolly présente à l'Académie Royale de Dublin une communication sur une estimation originale de l'âge de la Terre à partir de la teneur en sel des rivières et de l'océan. Cette communication arrive trois ans à peine après la découverte de la radioactivité par Becquerel au beau milieu d'une des plus fortes controverses de l'histoire entre les physiciens menés par Lord Kelvin et les géologues.
Le raisonnement de Jolly est le suivant : il défend l'idée que le sel de l'océan (35 grammes par litre) y a été apporté par les rivières. Les eaux de pluies, initialement très peu chargées en matière minérale, ruissellent ou s'infiltrent en lessivant la croûte continentale pour finalement se rassembler dans les rivières et y apporter les produits de dissolution. En prenant la masse de sodium dans l'océan et en la divisant par l'apport de sodium par les rivières, Jolly obtient le résultat suivant :
Ces chiffres, qui correspondent à l'estimation de l'âge de la Terre selon Jolly, devraient être légèrement révisés car les paramètres nécessaires au calcul, tels que la salinité moyenne de l'océan et des rivières, le volume et la densité de l'eau de mer, sont mieux connus aujourd'hui, mais ceci n'apporte pas de changement majeur.
L'âge de la Terre est aujourd'hui bien connu et notablement plus vieux (4.500 Ma) que les idées de Jolly (et de Kelvin) ne le suggéraient… Quelque chose dans les hypothèses de Jolly doit donc être incorrect. Nous allons voir que cette analyse est la clé de la question de la salinité de la mer.
La masse de l'océan (MO) est considérée comme fixe : la stratigraphie nous indique que le niveau des mers n'a guère varié de plus de quelques centaines de mètres depuis l'Archéen. Cette hypothèse n'est pas donc pas déraisonnable.
L'apport d'eau des rivières (QR) n'a pas varié. Ceci n'est probablement pas très faux si l'on tient compte de l'hypothèse précédente.
L'océan ne perd pas de sodium (Na constant), ce que l'on sait être faux puisque du sel évaporitique se forme en diverses régions littorales arides et que cet élément est échangé pour du calcium lors de l'altération sous-marine des basaltes du plancher océanique.
Jolly suppose également que l'état initial de l'océan est de l'eau douce. Il est donc en train de se "remplir" du sodium libéré par l'altération en milieu continental. Nous découvrons ici un gros problème. Comme il faut 100 Ma pour apporter à l'océan le sodium qu'il contient, celui-ci a forcément du être éliminé (voir point précédent) au fur et à mesure, à la même vitesse. Depuis le début de l'histoire de la Terre, le sodium marin a donc été renouvelé approximativement 4.500 / 100 soit 45 fois. La mémoire de la concentration initiale en sodium est perdue et l'océan a atteint un régime stable (dit état stationnaire).
Jolly n'a pas déterminé l'âge de la Terre mais a en fait découvert le temps de résidence du sodium dans la mer. Ce temps, qui est le temps qu'un atome de sodium passe en moyenne dans l'océan avant d'être absorbé par un basalte altéré ou par une évaporite, mesure la vitesse de renouvellement des ions de l'eau de mer. Tout ion qui entre dans l'océan en ressort un jour ou l'autre. Après un temps équivalent au temps de résidence, les apports et les départs s'équilibrent.
Des ions peu réactifs avec les particules et les minéraux marins, tels que Na+, K+, Ca2+, Mg2+, Cl-, SO42-, s'attardent longtemps dans l'océan et vont donc s'y accumuler. Ce sont les éléments majeurs de la salinité marine. Comme leur temps de résidence est très long (voir tableau), typiquement de un à une centaine de millions d'années, par rapport au temps de brassage de l'océan par les courants profonds (1.500 ans, datation 14C) et au temps de renouvellement de l'eau de mer par les rivières (40.000 ans, MO/QR), leurs proportions relatives demeurent constantes dans le temps et dans l'espace, même si localement l'évaporation et les précipitations peuvent concentrer ou diluer l'eau de mer. Il est donc futile de rechercher des variations en éléments majeurs, par exemple des rapports Na/K ou Ca/Mg, dans l'eau de mer. Les océanographes reconnaissent ainsi l'équivalence de la chlorinité (teneur en chlore) et de la salinité (teneur totale en sel) que l'on estime par une simple mesure de conductivité.
En revanche, des ions qui réagissent fortement avec les particules marines, comme le plomb ou les métaux de transition, seront rapidement entraînés. Leur temps de résidence dans la mer sera très court (parfois quelques années). Leur niveau de concentration ultime dans l'eau de mer sera très faible et très variable d'un endroit à un autre.
On trouvera ci-dessous un tableau avec les concentrations dans l'eau de mer et les rivières et un calcul du temps de résidence des éléments les plus concentrés de l'eau de mer. On remarquera que le calcium qui précipite dans les carbonates biogéniques, et à un moindre degré le potassium et le sulfate, a un temps de résidence plus court que le sodium et surtout le chlore qui apparaissent comme très résiduels.
J'ai dis sans tricher ... je veux juste 2 mots.