MachetteDeter
2022-10-27 01:42:01
Son suicide s'était très bien passé, très rapide, sans douleur, ça c'était le côté positif, l'azote était vraiment une méthode excellente. Mais c'est l'après qui n'allait pas, vraiment pas. Et pas seulement parce qu'il y avait un après. Au lieu de basculer dans le néant, de ne plus du tout exister comme il l'espérait, il avait retrouvé sa personnalité d'avant, et il se souvenait de tout. Et ça ça n'était vraiment pas agréable.
Le Juge était très sec, voire méprisant, moralisateur, mais il ne savait pas quoi lui répondre.
- Vous aviez accepté votre mission, vous vous étiez même porté volontaire. Maintenant votre suicide a non seulement annihilé tout ce que vous avez pu faire de bien, mais en plus a créé une situation pire qu'avant, qu'il va falloir corriger.
- Mais quand on y est on oublie tout ! On ne peut pas savoir qu'on a une mission, on se croit totalement seul et abandonné, c'est pire que ce que je croyais, je ne savais pas.
- Vous le saviez, et vous l'aviez accepté. Vous croyiez que vous obtiendriez un haut statut hiérarchique, que vous seriez valorisé, que vous vivriez une vie épanouie. Vous étiez tellement excité par ces capacités spéciales que nous vous avions données que vous n'aviez même pas compris la mission. Tout est de votre faute.
- Normalement j'aurais dû avoir ce statut ! J'avais exactement les capacités valorisées ! C'est que vous avez fait autre chose qui m'a empêché d'en bénéficier !
- Vous y étiez pour une mission, nous avons donc tout fait pour la réussite de celle-ci. Maintenant vous êtes responsable de la réparation de vos idioties, vous repartirez donc très bientôt, dans la même situation mais sans ces capacités qui vous avaient détourné de votre objectif. En espérant que cette fois vous irez au bout de votre mission.
- Mais comment le saurai-je ?
Son réveil fut brutal, il était en sueur. Il se leva, mais même si tout lui avait semblé si réel il n'y avait bien sûr pas de bouteille d'azote, il ne s'était pas suicidé, il avait juste fait un rêve bête.
Il se dirigea vers son bureau. L'idée qu'il avait une mission lui courait encore dans la tête, aussi absurde qu'elle paraissait. Il regarda les factures qui trainaient partout : charges sociales, huissiers, impôts, taxes, etc., etc. Il y avait aussi le courrier de campagne d'un politicien qui lui demandait plus de solidarité. Dans cette vie, dans ce pays, à cette époque, sa mission il la connaissait trop bien : financer le système de solidarité, enrichir les intermédiaires, ceux du Camp du Bien. Le téléphone sonna, il n'eut pas la force de répondre : soit de la pub soit une relance. Pourvu que personne ne sonne à la porte.
Pour essayer de se changer les idées il brancha la TV. Une présentatrice jeune et jolie y expliquait toute souriante une nouvelle mesure du Gouvernement en faveur de plus de solidarité : une taxe supplémentaire à payer. Il coupa. Comment sortir de tout ça ?
La peur s'était emparée de lui. Le suicide lui avait toujours paru être la porte de sortie ultime, pour quand il aurait enfin perdu cet espoir idiot qui lui faisait croire qu'il pourrait un jour s'en sortir et qui le transformait en esclave. Mais le rêve lui restait en tête.
Cette histoire de réincarnation était totalement idiote, elle lui provenait certainement d'un film qu'il avait vu, mais il ne pouvait pas absolument prouver qu'elle était fausse. Et s'il devait se réincarner, quelles étaient les chances qu'il fasse partie de la toute petite élite qui bénéficie face à la grande masse qui paie ? Et puis le rêve avait raison sur ce point, il n'aurait certainement pas les mêmes capacités, les probabilités étaient écrasantes. Mais en même temps si on oublie tout entre chaque réincarnation, ce n'est pas la même personne qui souffre, c'est le problème de la suivante, pas de lui ! Mais que signifie "lui" dans ce cas ?
Le problème des idioties religieuses n'est pas seulement qu'elles ne résolvent rien, c'est surtout qu'elles terrorisent, c'était certainement fait exprès, pour que personne ne puisse arrêter de payer. Pourtant même s'il n'était qu'un sim dans une immense simulation, comme il se le demandait parfois, le suicide n'était pas non plus une porte de sortie : dans Matrix Zion est pire que la Matrice ! Il n'avait aucune issue.
Il s'assit à son bureau et se mit à saisir les factures, il était là pour ça.