unfiondegarni
2022-10-10 23:27:18
Nous, on est des bourgeois. Comme au moment de déménager, on n’avait clairement pas les moyens de vivre à côté de nos boulots (à Aix en Provence), on a fait comme à peu près tous les bourgeois : on s’est éloigné.
Alors oui, c’est vrai, on aurait pu élever nos enfants dans un cave insalubre pas trop loin de nos lieux de travail. Je l’admets. Il se trouve juste qu’en tant que bourgeois égoïstes, on avait un peu de mal à se faire à cette idée.
Je précise ici que vous pouvez tout à fait avoir des revenus très au-dessus de la moyenne (être un bourgeois, un sale riche) sans être capable de vous loger décemment à Aix en Provence. Il y a bien les quartiers nord de Marseille mais non, déso.
Et il se trouve, détail sordide, que nos boulots n’étaient pas du tout dans le même coin. Ça signifie concrètement que, où que nous nous installions, il y aurait de la route à faire pour l’un d’entre nous ou les deux.
En changeant de job, on aurait aussi pu déménager. Sauf qu’en bons bourgeois, on voulait être propriétaires et que déménager, en France, ça coûte une blinde en « frais de notaire » (comprenez : en impôts, taxes et autres trucs assimilables).
Être proprio, c’est un vrai truc de bourgeois : ça permet de se dire que s’il arrive un truc grave à papa ou maman, on aura toujours un toit pour loger avec nos gamins, qu’avec un peu de chance on ne sera pas obligés de déménager et de les déraciner.
Les bourgeois franciliens qui me lisent imaginent sans doute qu’on se tape une séquence RER métro surchargés et surchauffés matin et soir, avec 2 ou 3 ruptures de charge (quand ces messieurs veulent bien nous faire la grâce de faire le job.)
Que nenni. Dites-vous bien que vous êtes des nantis : ici, il n’y a pas de RER, tout juste quelques vieux TERs diesels qui se tortillent une fois de temps en temps sur des voies qui datent du XIXe (quand la SNCF veut bien rouler).
Il y a aussi des cars. Qui passent par les autoroutes. Autoroutes qui sont bloquées par la circulation des bourgeois qui, comme nous, n’ont pas les moyens de s’offrir un logement décent à Aix en Provence.
Enfin, quand je dis qu’il y a des cars, c’est pas partout et encore moins tout le temps. D’Aix (centre) à Marseille (centre), en semaine, ça débite plutôt bien. Mais ailleurs, pardon, c’est pas du tout la même histoire.
Bref, comme de bons bourgeois, on se déplace en bagnole. Et oui, ça pollue, c’est dangereux et ça coûte un bras et un rein. Merci, on sait.
Samedi, notre fils a voulu passer la soirée avec ses copains. Il se trouve que ses copains sont disséminés dans toute la métropole Aix Marseille parce qu’un génie a eu l’idée de coller tous les ados qui venaient de loin dans le lycée le plus lointain possible.
On l’avait pourtant averti : le dimanche, il n’y a que 2 cars pour le ramener d’Aix à la maison. Oui, 2 cars dans toute la journée pour un trajet de 16 km en plein cœur de la Métropole. Mais il avait trop envie de voir ses copains.
Et là, le lendemain, il se pointe à la gare pour prendre un des deux cars en question et y retrouve un de ses potes de lycée. Le gars est là depuis 4 heures : il attend que le car prévu le matin daigne se présenter.
Ils finissent par craquer et appeler les parents : cette fois-ci, c’est le papa du copain (un bourgeois aussi) qui s’est tapé un aller-retour un dimanche matin pour faire office de service public. La prochaine fois, ça sera pour nous.
On a tout un tas d’urbanistes et de spécialistes des transports qui ne cessent de le répéter depuis des décennies : notre monde s’urbanise de plus en plus et c’est sans doute un des plus grands défis que nous aurons à traiter dans années à venir.
Dans le principe, c’est assez simple : il nous faut des logements décents à des prix abordables et des transports en commun rapides, fiables et aussi confortables que possible. C’est ça, ou l’asphyxie et la « décroissance subie ».
Et que nous disent les baltringues comme Antoine le youtubeur insoumis ? Que nous sommes des bourgeois et que lui, qui n’a sans doute jamais dormi à plus de 30 secondes de son poste de « travail », y va en vélo à 50 km/h sans se fatiguer.
Conclusion ? Eh bien c’est encore une récrimination de bourgeois égoïste qui fait passer son petit confort personnel avant les Grands Enjeux de l’élite autoproclamée (mais très éclairée) du prolétariat des beaux quartiers de Paris.
Celles et ceux qui me suivent depuis un moment savent que je n’ai aucune amitié pour les « Gilets jaunes », du moins, ceux qui ont récupéré ce mouvement pour devenir ensuite antivaxx, Qanon ou poutinolâtres (et que sais-je encore).
Mais il y a un moment où je les comprends. J’en ai plein autour de moi, des bourgeois aussi (je suppose), à qui on explique que les heures de bouchons qu’ils se tapent tous les jours vont leur coûter encore plus cher.
À qui on explique qu’alors que les hasards de l’histoire et de la géologie nous ont dotés d’une industrie nucléaire de premier plan et d’un sous sol riche en gaz naturel, ils vont devoir se geler dans le noir cet hiver.
À qui on explique, qu’ils sont racistes du simple fait qu’ils sont « blancs », homophobes parce qu’ils sont hétéros, des violeurs en puissance parce qu’ils sont des hommes. (Après tous, si tout le monde est facho, en quoi l’être vraiment est un problème.)
À qui on explique, histoire de bien enfoncer le clou, que ce petit plaisir du barbecue des dimanches midi en été est un loisir de bourgeois égoïstes (et carnistes, fascistes, spécistes…) dont ils devront apprendre à se passer.
Je vis au fond de la Provence de carte postale, dans un village tranquille où le pire acte de violence recensé ces 20 dernières années doit être le fait d’un gamin qui a fait un peu trop de bruit avec son scooter.
Et vous savez quoi ? Ça vote RN à mort et, à chaque élection, ça monte un peu plus.
Le vote RN, bande de crétins, ce ne sont pas des hordes de nazillons qui défilent le bras tendu. Ce sont de pauvres gens qui n’ont souvent pas fait beaucoup d’études mais qui bossent, paient et subissent vos politiques imbéciles depuis des décennies.
Le vote RN, c’est ce gentil couple de retraités de l’Éducation Nationale qui a patiemment économisé, franc après franc, pendant des décennies pour s’offrir son petit pavillon et à qui vous expliquez aujourd’hui qu’ils sont des bourgeois.
Le vote RN, c’est cette gentille mamie marseillaise qui, après l’avoir répété à sa fille toute son enfance, explique aujourd’hui à sa petite-fille qu’il ne faut surtout pas porter de bijoux quand elle se promène dans les rues de Marseille.
Le vote RN, c’est encore ces jeunes parents qui entendent parler de réchauffement climatique matin, midi et soir, et apprennent qu’ils devront vivre dans le froid cet hiver parce que je ne sais quel idiot a jugé opportun de fermer des centrales nucléaires.
Le vote RN, et j’arrêterais là, c’est enfin cet ancien communiste à la retraire qui ne demandait pas grand chose de plus à la vie que de faire griller des saucisses sur son barbecue le dimanche, comme à l’époque des fêtes de l’Huma.
Alors je vous le dis, parce que je hais leurs idées et parce que je les vois progresser tous les jours sous mes yeux : les seuls à faire « le jeu du RN », ici, c’est vous. La réalité c’est ce qui, quand on cesse d’y croire, ne disparait pas.
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