Remarquez donc que la Loi, c’est la Force, et que, par conséquent, le domaine de la Loi ne saurait dépasser légitimement le légitime domaine de la Force.
Quand la loi et la Force retiennent un homme dans la Justice, elles ne lui imposent rien qu’une pure négation. Elles ne lui imposent que l’abstention de nuire. Elles n’attentent ni à sa Personnalité, ni à sa Liberté, ni à sa Propriété. Seulement elles sauvegardent la Personnalité, la Liberté et la Propriété d’autrui. Elles se tiennent sur la défensive; elles défendent le Droit égal de tous. Elles remplissent une mission dont l’innocuité est évidente, l’utilité palpable, et la légitimité incontestée.
Cela est si vrai qu’ainsi qu’un de mes amis me le faisait remarquer dire que le but de la Loi est de faire régner la Justice, c’est se servir d’une expression qui n’est pas rigoureusement exacte. Il faudrait dire: Le but de la Loi est d’empêcher l’Injustice de régner. En effet, ce n’est pas la Justice qui a une existence propre, c’est l’Injustice. L’une résulte de l’absence de l’autre.
Mais quand la Loi, par l’intermédiaire de son agent nécessaire, la Force, impose un mode de travail, une méthode ou une matière d’enseignement, une foi ou un culte, ce n’est plus négativement, c’est positivement qu’elle agit sur les hommes. Elle substitue la volonté du législateur à leur propre volonté, l’initiative du législateur à leur propre initiative. Ils n’ont plus à se consulter, à comparer, à prévoir; la Loi fait tout cela pour eux. L’intelligence leur devient un meuble inutile; ils cessent d’être hommes; ils perdent leur Personnalité, leur Liberté, leur Propriété.
Essayez d’imaginer une forme de travail imposée par la Force, qui ne soit une atteinte à la Liberté; une transmission de richesse imposée par la Force, qui ne soit une atteinte à la Propriété. Si vous n’y parvenez pas, convenez donc que la Loi ne peut organiser le travail et l’industrie sans organiser l’Injustice. »