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2022-08-06 17:52:32
Philippe Leugé a été condamné par le tribunal de Mont-de-Marsan à couper ses pins car ils « font trop d’ombre » à son voisin. Le Saint-Agnetois a fait appel de la décision et compte bien faire tout ce qu’il peut pour sauver sa plantation
En matière de motif de conflits de voisinage, on n’en finit pas d’être surpris. Déjà vus, l’histoire de la haie plantée trop près de la limite de propriété et dont les feuilles dérangent ou encore le fruitier aux branches qui débordent chez le voisin. Mais le coup des pins qui « font trop d’ombre » reste quand même bien plus rare. C’est pourtant pour cette raison que Philippe Leugé, 61 ans, a été condamné, le 10 mai dernier, par le tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan. En termes juridiques, il commet un « trouble anormal de jouissance ». Ses voisins, la famille Barrouillet, font valoir « une perte d’ensoleillement due à la présence des pins de grande hauteur, qui entraîne une perte calorifique engendrant un surcoût de chauffage et affecte leur état de santé ».
C’en est trop pour le menuisier de Saint-Agnet, une petite commune d’environ 200 habitants du sud-est du département. Il a fait appel de cette décision. « Aujourd’hui, alors que la forêt brûle et qu’on nous demande de préserver la biodiversité, on m’oblige à couper des arbres à cause de leur ombre ! C’est inimaginable », se scandalise-t-il.
40 arbres dans le viseur
En 1990, cet enfant du pays construit sa maison de bois sur l’une des parcelles familiales. « Pas très loin de mon frère, ni de ma mère ». En effet, la même route de Ségos dessert les trois habitations. Il choisit, six ans plus tard, de planter environ 40 pins qu’il entretient régulièrement. « C’était pour me préserver un peu de l’élevage de mon voisin en contrebas. C’est normal, après tout on est à la campagne, ça fait partie du cadre. Cette plantation, c’est aussi pour le rendement. Je m’en sers dans mon métier. »
La parcelle incriminée se situe à une vingtaine de mètres de ses fenêtres orientées plein sud. Depuis le perron de sa maison en surplomb, Jean-Luc Barrouillet s’inscrit en faux : « Ces arbres ne cessent de grandir. Ils vont prendre encore 10 ou 15 mètres. » « C’est faux, mes pins ne vont plus grandir autant ! Il m’attaque sur leur ombre mais il a mis des avant-toits partout sur sa façade, normal qu’il soit dans le noir toute la journée, surtout avec ses volets fermés », s’exaspère Philippe Leugé.
Le voisin n’a pas la même analyse de la situation : « Là [mercredi 3 août NDLR], il est midi, c’est l’été, évidemment on est en plein soleil. L’hiver, le soleil est plus bas et à partir de midi, on vit dans l’ombre et ça dure six mois de l’année. Regardez, il n’y a que de la mousse dans le jardin, c’est trop humide, l’herbe ne pousse pas. » Jean-Luc Barrouillet ne laisse place à aucune négociation possible : « On est bien décidé à aller jusqu’au bout. Le premier jugement dit qu’il doit tout raser et même dessoucher. Ça va lui coûter très cher, plus que s’il l’avait fait à l’époque. »
Onze ans de conflit
Onze ans que le torchon brûle entre les deux. « Je ne comprends pas comment on peut en arriver là, se désole le menuisier. Nous étions à l’école ensemble. Il était même là pour fêter mes 50 ans. Dans la semaine qui a suivi, j’ai reçu un recommandé avec accusé de réception qui me prévenait qu’il me mettait au tribunal. On a bien tenté de passer par le conciliateur de justice, en vain. Vous parlez d’une bonne entente rurale. »
En mars 2015, la cour d’appel de Pau avait déjà jugé un précédent litige entre les deux Saint-Agnetois. Elle avait conclu que « l’ombre portée par les arbres excédait les inconvénients normaux de voisinage et revêtait un caractère illicite ». Suite à cela, Philippe Leugé se résout à effectuer des travaux de taille de 16 peupliers et d’élagage de 11 autres, et fait abattre trois pins afin de remédier à ces nuisances.
« Entre l’amende, les frais de justice et le coût de la coupe, j’ai dû payer près de 10 000 euros. » Onze jours après l’élagage des peupliers, la famille Barrouillet a fait établir un nouveau procès-verbal sur « l’ombre portée, son évolution et les variations de température ».
Un expert judiciaire a été mandaté. Dans son rapport du 5 juillet 2021, il conclut à une « perte d’ensoleillement sur la cour et les façades des maisons d’habitation à certaines périodes de l’année, en fonction de la hauteur et de la trajectoire du soleil ». L’étude du sapiteur précise six mois sur douze.
Philippe Leugé et son avocat ont parfaitement connaissance de cette expertise. Ils entendent bien motiver un certain nombre d’observations. « Surtout, je voudrais faire entendre qu’aujourd’hui, même en essayant de faire les choses bien, on peut être condamné à raser des arbres à cause de leur ombre. » Un paradoxe, souligne-t-il, quand on sait que le réchauffement climatique ne cesse de s’accroître.
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