Le 10 décembre, Y., un jeune homme assigné à résidence dans une ville de la périphérie de Paris, estime que les autorités ont fait erreur. L'assignation prononcée contre lui se fonde sur ses liens présumés avec des « islamistes radicaux » et avec des personnes ayant prétendument voyagé en Syrie et en Irak pour rallier le groupe armé autoproclamé État islamique. Les autorités ont également souligné qu'il s’était souvent rendu dans une mosquée décrite comme « radicale » de la banlieue parisienne, à 15 km de l’endroit où il vivait. Y. a déclaré à Amnesty International : « Ce n’est pas moi. Ils cherchaient quelqu’un d’autre. La date et le lieu de naissance marqués dans l’ordre d’assignation à résidence étaient faux. Par exemple, ils ont indiqué que j’étais né en Tunisie, ce qui est faux. Je suis né en France. De toute manière, comment va-t-on laver les soupçons après ? Les gens de mon entourage ont déjà changé leurs attitudes, certains ont fait des blagues [...] »
Y. a interjeté appel contre l'arrêté d’assignation à résidence. Devant le tribunal, le représentant du ministère de l'Intérieur a justifié cette mesure en s'appuyant sur une note des services de renseignement, consultée par Amnesty International et datée du 14 novembre. Le ministère a souligné qu'afin de protéger ses sources et de ne pas compromettre son travail, il ne pourrait mettre à la disposition du tribunal qu’une partie des informations recueillies par les services de renseignement.79 Le tribunal n'a pas contesté cet argument et a rejeté l'appel de Y. le 8 janvier
Le 16 novembre, T. R., qui tient un restaurant dans la banlieue nord de Paris, a fait l’objet d’un arrêté d’assignation à résidence. Les autorités ont justifié cette mesure sur la base d'une longue liste d'allégations. Elles ont fait valoir que T. R. avait facilité le recrutement de jeunes Français « qui pourraient potentiellement devenir djihadistes », les avait incités à rejoindre l'État islamique, avait hébergé des réunions d’« islamistes radicaux » dans son restaurant et manifesté son soutien à la loi islamique (charia).
T. R., son épouse A. et sa sœur Z. ont décrit à Amnesty International leurs efforts de préparation pour contester cette mesure. A. a expliqué : « En suivant le conseil de notre avocat, on a recueilli entre 30 et 40 certificats de personnes qui nous connaissent bien. On a essayé de montrer qu’on est loin d’être des musulmans très pratiquants. Par exemple, notre fille est scolarisée dans une école privée catholique. Cela a été inutile. La cour a tranché en disant que l’assignation à résidence de mon mari ne violait pas ses droits comme il pouvait toujours aller au travail. Son restaurant est effectivement dans la ville où on vit. »
Ils ont expliqué qu'ils avaient à nouveau eu à se justifier devant le Conseil d'État.82 T. R. a décrit : « J’ai recueilli encore plus de certificats, y compris ceux de certains élus qui ont déclaré que mon restaurant n’avait jamais posé aucun problème à l’ordre public. Le 18 décembre, à la première audition au Conseil d'État, j’ai eu l’impression que le juge soutenait nos arguments. À un certain moment, il a demandé au ministère de fournir plus de preuves concernant ce dont ils m’accusaient. La représentante du ministère a alors mentionné un document de propagande de l’État islamique sur les règles de sécurité que les musulmans devaient suivre lorsqu’ils habitaient dans des pays occidentaux. Elle a soutenu qu’on suivait un mode de vie occidental pour dissimuler nos intentions. Elle a ensuite demandé plus de temps pour affiner ses arguments. Le juge a accepté sa demande. »
Le lendemain, leur avocat les a informés que le ministère avait produit une autre note mentionnant que T. R. avait voyagé à l'étranger plusieurs fois, notamment en Égypte et en Arabie saoudite, avec un homme qui était considéré comme un « musulman radical ». A. a déclaré à Amnesty International : « C'est absurde. Nous allons en vacances deux fois par an. Mon mari a fait une fois un pèlerinage en Arabie Saoudite. Il y est allé avec l’homme qu’ils ont mentionné. Mais c'est tout. On a recueilli tous les timbres de nos passeports et on les a fait traduire officiellement en français. On voulait montrer qu’on avait voyagé ensemble, qu’il n’avait pas voyagé tout seul. Vous vous rendez compte de ce qu’ils nous poussent à faire ? »
Le Conseil d'État a rejeté ce recours. Dans sa décision, le Conseil d'État a souligné que rien n'empêchait les tribunaux administratifs de tenir compte des éléments inclus dans les notes des services de renseignement produites par le ministère de l'Intérieur. Dans cette affaire, le Conseil d'État faisait référence aux deux notes blanches concernant T. R. L'autre note concernait ses nombreux voyages à l'étranger avec un homme considéré comme un « prosélyte radical ». Le Conseil d'État a souligné que T. R. s’était effectivement rendu en Arabie saoudite, et, par conséquent, que la décision du ministère de l'Intérieur d’assigner T. R. à résidence constituait un juste équilibre entre les intérêts de la sécurité nationale et la protection des droits fondamentaux.84 T. R. a déclaré à Amnesty International : « Ce qui nous surprend par-dessus tout, c'est que nous ignorons quand et comment les services de renseignement ont eu connaissance de mon nom. »
Z. a commenté la procédure judiciaire : « On a tous eu l’impression que c’était une parodie de justice. Les audiences avaient lieu juste pour la forme. Mais qu'il n'y avait aucune volonté réelle d'invalider les arguments sans fondement avancés contre nous par les autorités. »