IukeSkywaIker
2022-07-12 14:10:29
TÉMOIGNAGES - Après avoir tenté une reconversion professionnelle pour enfin se sentir utile, ils sont revenus sur leurs pas. Après des déceptions, ils veulent retrouver leur routine, leur salaire et leur confort de vie.
Il y a deux ans, Jérémy, 39 ans, a quitté son poste d'ingénieur commercial grand compte pour devenir ébéniste. Celui qui jusqu'à maintenant était «coincé derrière un écran toute la journée», est alors attiré par une idée : celle de passer d'une vie de bureau au travail de ses mains. «La satisfaction de voir le fruit de son labeur devenir, exister sous ses yeux, en construisant un escalier pour un couple ou du mobilier pour un restaurant, par exemple… Tout cela me séduisait», détaille-t-il. Sa formation achevée, il trouve un emploi dans le centre de la France. Après quelques mois qu'il compare à une «lune de miel où tout est beau», il déchante. Trop de travail, manque de temps pour les loisirs, moins d'argent aussi. En mai dernier, il retourne à La Défense. «Aujourd'hui, tout doit faire sens ; ses loisirs, son métier, tout. Mais finalement, si l'épanouissement devient une chose imposée par la société, n'est-ce pas le serpent qui se mord la queue ? Si je suis plus heureux avec un job pas passionnant mais pas prise de tête et qui me permet de m'épanouir dans mes vacances et avoir du temps pour mes enfants, pourquoi devrais-je me sentir coupable ?», s'interroge-t-il.
Jérémy n'est pas un cas isolé. Une journaliste mode devenue pâtissière à succès, un informaticien au bord du burn-out qui revit en apiculteur… Ces dernières années, les reconversions idylliques déclamées sous forme de contes de fée abondent. D'après les derniers sondages BVA, en France, près de la moitié des actifs (48%) affirment avoir au moins envisagé, si ce n'est réalisé, une reconversion professionnelle. Une envie de changement exacerbé par la crise sanitaire. Depuis la pandémie, près d'un actif sur 5 (18%) a commencé à se questionner sur la possibilité d'un changement sur le plan professionnel.
Le sens, nouveau standard de réussite
La principale motivation, citée par 58% de ces actifs, réside dans le besoin de donner du sens à leur travail. Le sens comme nouveau standard de réussite. Une fausse bonne idée à en croire Florence Meyer, coach certifiée en conduite de changement et auteure de Je réussis ma transition professionnelle (1). «On peut se tromper dans la perception du sens que l'on veut donner à son métier. En ce moment, beaucoup de cadres dirigeants partent avec des indemnités confortables et souhaitent saisir l'opportunité de faire de leur passion un métier. Bien souvent, ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas en vivre, ou alors à un prix trop élevé, notamment en termes de temps», témoigne-t-elle.
Bien souvent, ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent pas en vivre, ou alors à un prix trop élevé, notamment en termes de temps
FLORENCE MEYER, COACH EN CONDUITE DE CHANGEMENT
De quoi pousser certains reconvertis à faire machine arrière. Mais quelle serait alors la bonne raison de changer de job ? «Le cas du “conflit de valeurs”, assure la coach. En clair, quand une personne ne se retrouve plus en phase avec les valeurs de son entreprise. C'est encore pire que de s'ennuyer ou de ne pas se sentir valorisé.» Avant de s'engager dans une transition radicale comme une reconversion, la professionnelle conseille d'ailleurs de commencer par changer d'entreprise. Un premier geste salutaire, selon la coach.
Élodie, 37 ans, aurait aimé recevoir un tel conseil, elle qui s'est re-re-convertie, de chargée de communication à professeure des écoles, à responsable des relations publiques. «Lors du premier confinement, en 2020, me retrouver au chômage technique et entendre que je ne faisais pas partie des professions utiles, m'a ébranlée. Je voulais un métier qui impacte la société, je voulais être utile», raconte-t-elle. Elle postule comme contractuelle de l'enseignement primaire, un statut permettant d'enseigner sans avoir le concours (les contractuels ne sont pas titulaires, ils occupent des postes vacants ou remplacent des enseignants absents). Arrive alors une première année de remplacements dans les Hauts-de-Seine : un jour avec des CE1, le lendemain en maternelle. Sans formation, elle se sent «au mieux comme un bouche-trou, au pire comme de la chair à canon envoyée au casse-pipe». La seconde année se passe auprès d'élèves de CM1, elle est plus stable mais tout aussi éreintante. «Je me suis perdue, laissée bouffer par l'enseignement. Je bossais 75 heures par semaine, entre les récrés à surveiller et les réunions, je n'avais même pas le temps d'une pause. J'ai enchaîné les cystites. Je ne voyais plus mes amis, pas le temps», énumère-t-elle. Et de conclure : «Être prof, c'est un sacerdoce, et c'est peut-être égoïste mais moi, ce que je veux, c'est une vie de qualité. Je ne veux pas penser à mon travail nuit et jour, je veux pouvoir déconnecter mentalement et vivre autrement que pour et par le travail».
Revenus insuffisants et incertitude du lendemain
À l'instar d'Élodie, d'après une étude nouvelleviepro de 2019, 2% des actifs ayant effectué une reconversion professionnelle n'ont pas obtenu la réussite escomptée. Première raison invoquée ? Des revenus insuffisants dans 38% des cas. S'ensuivent les problèmes de précarité (l'incertitude du lendemain dans 29% des cas), un déséquilibre entre les vies professionnelles et personnelles (pour 13%) ou encore un nouveau rythme de travail trop dense (6%). «Sans introspection, les problèmes vous suivent. Un bourreau de travail continuera à se surmener qu'importe son job», met en garde Florence Meyer.
Être prof, c'est un sacerdoce, et c'est peut-être égoïste mais moi, ce que je veux, c'est une vie de qualité
ÉLODIE, 37 ANS, S'EST UN TEMPS RECONVERTIE EN PROFESSEURE DES ÉCOLES
Loin d'être accablés par des espoirs déchus, ces deux cadres dynamiques partis se réinventer ne semblent pas regretter. Ils s'aperçoivent simplement qu'ils poursuivaient le mauvais rêve. «Dès lors qu'on en tire une leçon, ce n'est jamais un échec, et l'expérience mérite d'être vécue à condition que l'on ne s'endette pas pour des années», commente Florence Meyer.
Et puis finalement, sans ce passage à l'acte, les «et si» auraient hanté leur esprit. Aujourd'hui, Élodie est responsable des relations publiques d'un croisiériste. Celle qui voulait être «utile» consacre désormais une partie de ses vacances aux congés solidaires. Si de son côté, Jeremy a de nouveau endossé le costume de la Défense, il a aussi acheté un pavillon de banlieue. «Une ruine», dit-il, qu'il rénove de ses mains.