Ghome7
2022-06-29 00:09:50
Quelles sont les conséquences d’une telle analyse sur la question du rapport entre Désir et éros ? Il est apparu que Levinas, loin de décrire une dégénérescence de l’altérité du visage en altérité sexuée, défend au contraire la thèse d’une altérité absolue de la féminité. L’introduction dans Totalité et infini d’un versant fusionnel dans l’amour ne vient pas relativiser l’altérité du féminin par comparaison avec le visage. Au contraire, la féminité apparaît comme une altérité distincte de celle du visage, mais tout aussi absolue. Cette altérité est constituée par une structure désirante à laquelle le phénomène de la caresse ouvre, dont le fonctionnement est identique à la forme du Désir. Deux questions se posent alors : en quel sens la féminité est-elle une altérité absolue sans être éthique ? Quel rapport cette altérité entretient-elle avec celle du visage ? Pour répondre à la première question, il faut poursuivre les descriptions de la caresse et de la volupté. L’aimée, féminisée pour ainsi dire dans la relation érotique, apparaît sous les caresses de l’amant, dans une équivocité que la caresse rend possible. Le jeu d’alternance de la satisfaction et de l’insatisfaction dans la caresse, se traduit par un jeu de mort et de renaissance de la virginité du féminin. En effet dans sa faiblesse autant que dans sa matérialité l’aimée est le caché : puisque la caresse fouille et ne dévoile pas, elle ne ramène pas le corps féminin à la lumière, échoue à s’exprimer. Ce rapport à l’expression est la façon d’être de l’altérité féminine : d’un côté, la féminité est cette légèreté qui fuit devant la caresse incapable de la saisir ; de l’autre côté, elle est cette pesante matérialité qui s’exhibe en conservant son mystère. L’exhibition est la profanation et la mort du vierge, la fuite légère est sa renaissance : et dans ce cercle propre à l’amour érotique se dessine une altérité différente de celle du visage dont l’épiphanie est la droiture du commandement. L’altérité du féminin est l’expression du refus de l’expression : la volupté est « révélation du caché, en tant que caché » (TI, 291). Le caché est l’altérité du féminin, son mystère indévoilé. Levinas le nomme aussi le tendre, « manière qui ne se signale même pas comme une signification, qui, en aucune façon, ne luit, qui s’éteint et se pâme, faiblesse essentielle de l’aimée se produisant comme vulnérabilité et comme mortelle » (TI, 290). La mortalité d’autrui peut donc signifier de deux façons différentes : chez le visage, elle prend la forme de l’interdit du meurtre révélant la nudité d’autrui devant la mort ; dans le féminin, la révélation de cette nudité se fait dans l’équivoque de l’absence, qui est absence d’être, de langage et de signification : le féminin appartient à l’avenir que la caresse jamais n’étreint, un moins que rien ou un pas encore. Il n’y a donc pas d’autre approche possible du caché que la caresse et la volupté, qui ne savent rien exprimer et ne prétendent remplir aucune intention.