TKPicsou10
2022-06-17 03:34:47
"La vérité, la vérité ! — La vérité, me direz-vous, est souvent froide, commune et plate. Par exemple, votre dernier récit du pansement de Jacques est vrai, mais qu'y a-t-il d'intéressant ? Rien. — D'accord. — S'il faut être vrai, c'est comme Molière, Regnard, Richardson, Sedaine ; la vérité a ses côtés piquants qu'on saisit quand on a du génie. — Oui, quand on a du génie ; mais quand on en manque ? — Quand on en manque, il ne faut pas écrire. — Et si par malheur on ressemblait à un certain poète que j'envoyai à Pondichéry ? — Qu'est-ce que ce poète ? — Ce poète… Mais si vous m'interrompez, lecteur, et si je m'interromps moi-même à tout coup, que deviendront les amours de Jacques ? Croyez-moi, laissons là le poète. L'hôte et l'hôtesse s'éloignèrent… — Non, non, l'histoire du poète de Pondichéry. — Le chirurgien s'approcha du lit de Jacques… — L'histoire du poète de Pondichéry, l'histoire du poète de Pondichéry. — Un jour, il me vint un jeune poète, comme il m'en vient tous les jours… Mais, lecteur, quel rapport cela a-t-il avec le voyage de Jacques le fataliste et de son maître ?… — L'histoire du poète de Pondichéry. — Après les compliments ordinaires sur mon esprit, mon génie, mon goût, ma bienfaisance et autres propos dont je ne crois pas un mot, bien qu'il y ait plus de vingt ans qu'on me les répète, et peut-être de bonne foi, le jeune poète tire un papier de sa poche : « Ce sont des vers, me dit-il. — Des vers ! — Oui, monsieur, et sur lesquels j'espère que vous aurez la bonté de me dire votre avis. — Aimez-vous la vérité ? — Oui, monsieur, et je vous la demande. — Vous allez la savoir. » — Quoi ! vous êtes assez bête pour croire qu'un poète vient chercher la vérité chez vous ? — Oui. — Et pour la lui dire ? — Assurément. — Sans ménagement ? — Sans doute ; le ménagement le mieux apprêté ne serait qu'une offense grossière ; fidèlement interprété, il signifierait : vous êtes un mauvais poète ; et comme je ne vous crois pas assez robuste pour entendre la vérité, vous n'êtes encore qu'un plat homme. — Et la franchise vous a toujours réussi ? — Presque toujours… Je lis les vers de mon jeune poète, et je lui dis : « Non seulement vos vers sont mauvais, mais il m'est démontré que vous n'en ferez jamais de bons. — Il faudra que j'en fasse de mauvais, car je ne saurais m'empêcher d'en faire. — Voilà une terrible malédiction ! Concevez-vous, monsieur, dans quel avilissement vous allez tomber ? « Ni les dieux, ni les hommes, ni les colonnes n'ont pardonné la médiocrité aux poètes » ; c'est Horace qui l'a dit. — Je le sais. — Etes-vous riche ? — Non. — Etes-vous pauvre ? — Très pauvre. — Et vous allez joindre à la pauvreté le ridicule de mauvais poète ; vous aurez perdu toute votre vie, vous serez vieux. Vieux, pauvre et mauvais poète, ah ! monsieur, quel rôle ! — Je le conçois, mais je suis entraîné malgré moi. (Ici Jacques aurait dit : « Mais cela est écrit là-haut ».) — Avez-vous des parents ? — J'en ai. — Quel est leur état ? — Ils sont joailliers. — Feraient-ils quelque chose pour vous ? — Peut-être. — Eh bien ! voyez vos parents, proposez-leur de vous avancer une pacotille de bijoux. Embarquez-vous pour Pondichéry, vous ferez de mauvais vers sur la route ; arrivé, vous ferez fortune. Votre fortune faite, vous reviendrez faire ici tant de mauvais vers qu'il vous plaira, pourvu que vous ne les fassiez pas imprimer, car il ne faut ruiner personne. » Il y avait environ douze ans que j'avais donné ce conseil au jeune homme, lorsqu'il m'apparut ; je ne le reconnaissais pas. « C'est moi, monsieur, me dit-il, que vous avez envoyé à Pondichéry. J'y ai été, j'ai amassé là une centaine de mille francs. Je suis revenu, je me suis remis à faire des vers, et en voilà que je vous apporte… Ils sont toujours mauvais ? — Toujours, mais votre sort est arrangé, et je consens que vous continuiez à faire de mauvais vers. — C'est bien mon projet. » Et le chirurgien s'étant approché du lit de Jacques, celui-ci ne lui laissa pas le temps de parler. « J'ai tout entendu, lui dit-il. » Puis, s'adressant à son maître, il ajouta… Il allait ajouter lorsque son maître l'arrêta. Il était las de marcher, il s'assit sur le bord du chemin, la tête tournée vers un voyageur qui s'avançait de leur côté à pied, la bride de son cheval qui le suivait passée dans son bras."
C'est tout, je ne connais pas la valeur de tes vers, mais n'oublie jamais cette amusante parabole et couragehttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/18/7/1620572127-jesus-barbe-serein.png
Deathnote
2022-06-17 03:38:43
Le 17 juin 2022 à 03:34:47 :
"La vérité, la vérité ! — La vérité, me direz-vous, est souvent froide, commune et plate. Par exemple, votre dernier récit du pansement de Jacques est vrai, mais qu'y a-t-il d'intéressant ? Rien. — D'accord. — S'il faut être vrai, c'est comme Molière, Regnard, Richardson, Sedaine ; la vérité a ses côtés piquants qu'on saisit quand on a du génie. — Oui, quand on a du génie ; mais quand on en manque ? — Quand on en manque, il ne faut pas écrire. — Et si par malheur on ressemblait à un certain poète que j'envoyai à Pondichéry ? — Qu'est-ce que ce poète ? — Ce poète… Mais si vous m'interrompez, lecteur, et si je m'interromps moi-même à tout coup, que deviendront les amours de Jacques ? Croyez-moi, laissons là le poète. L'hôte et l'hôtesse s'éloignèrent… — Non, non, l'histoire du poète de Pondichéry. — Le chirurgien s'approcha du lit de Jacques… — L'histoire du poète de Pondichéry, l'histoire du poète de Pondichéry. — Un jour, il me vint un jeune poète, comme il m'en vient tous les jours… Mais, lecteur, quel rapport cela a-t-il avec le voyage de Jacques le fataliste et de son maître ?… — L'histoire du poète de Pondichéry. — Après les compliments ordinaires sur mon esprit, mon génie, mon goût, ma bienfaisance et autres propos dont je ne crois pas un mot, bien qu'il y ait plus de vingt ans qu'on me les répète, et peut-être de bonne foi, le jeune poète tire un papier de sa poche : « Ce sont des vers, me dit-il. — Des vers ! — Oui, monsieur, et sur lesquels j'espère que vous aurez la bonté de me dire votre avis. — Aimez-vous la vérité ? — Oui, monsieur, et je vous la demande. — Vous allez la savoir. » — Quoi ! vous êtes assez bête pour croire qu'un poète vient chercher la vérité chez vous ? — Oui. — Et pour la lui dire ? — Assurément. — Sans ménagement ? — Sans doute ; le ménagement le mieux apprêté ne serait qu'une offense grossière ; fidèlement interprété, il signifierait : vous êtes un mauvais poète ; et comme je ne vous crois pas assez robuste pour entendre la vérité, vous n'êtes encore qu'un plat homme. — Et la franchise vous a toujours réussi ? — Presque toujours… Je lis les vers de mon jeune poète, et je lui dis : « Non seulement vos vers sont mauvais, mais il m'est démontré que vous n'en ferez jamais de bons. — Il faudra que j'en fasse de mauvais, car je ne saurais m'empêcher d'en faire. — Voilà une terrible malédiction ! Concevez-vous, monsieur, dans quel avilissement vous allez tomber ? « Ni les dieux, ni les hommes, ni les colonnes n'ont pardonné la médiocrité aux poètes » ; c'est Horace qui l'a dit. — Je le sais. — Etes-vous riche ? — Non. — Etes-vous pauvre ? — Très pauvre. — Et vous allez joindre à la pauvreté le ridicule de mauvais poète ; vous aurez perdu toute votre vie, vous serez vieux. Vieux, pauvre et mauvais poète, ah ! monsieur, quel rôle ! — Je le conçois, mais je suis entraîné malgré moi. (Ici Jacques aurait dit : « Mais cela est écrit là-haut ».) — Avez-vous des parents ? — J'en ai. — Quel est leur état ? — Ils sont joailliers. — Feraient-ils quelque chose pour vous ? — Peut-être. — Eh bien ! voyez vos parents, proposez-leur de vous avancer une pacotille de bijoux. Embarquez-vous pour Pondichéry, vous ferez de mauvais vers sur la route ; arrivé, vous ferez fortune. Votre fortune faite, vous reviendrez faire ici tant de mauvais vers qu'il vous plaira, pourvu que vous ne les fassiez pas imprimer, car il ne faut ruiner personne. » Il y avait environ douze ans que j'avais donné ce conseil au jeune homme, lorsqu'il m'apparut ; je ne le reconnaissais pas. « C'est moi, monsieur, me dit-il, que vous avez envoyé à Pondichéry. J'y ai été, j'ai amassé là une centaine de mille francs. Je suis revenu, je me suis remis à faire des vers, et en voilà que je vous apporte… Ils sont toujours mauvais ? — Toujours, mais votre sort est arrangé, et je consens que vous continuiez à faire de mauvais vers. — C'est bien mon projet. » Et le chirurgien s'étant approché du lit de Jacques, celui-ci ne lui laissa pas le temps de parler. « J'ai tout entendu, lui dit-il. » Puis, s'adressant à son maître, il ajouta… Il allait ajouter lorsque son maître l'arrêta. Il était las de marcher, il s'assit sur le bord du chemin, la tête tournée vers un voyageur qui s'avançait de leur côté à pied, la bride de son cheval qui le suivait passée dans son bras."
C'est tout, je ne connais pas la valeur de tes vers, mais n'oublie jamais cette amusante parabole et couragehttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/18/7/1620572127-jesus-barbe-serein.png
J'aspire à rien si ce n'est m'exprimer kheyou, je veux pas faire fortune avec ma poésie, si tu veux je t'envoie mes vers et tu me donnes ton avis honnête comme le chirurgien