« On se sent bien à la Rouvière. Les gens sont polis et il n’y a pas de délinquance », remarque d’emblée Jacqueline Tournier. Cette ancienne formatrice à La Poste est arrivée avec son mari en 1993. Le couple avait vu la résidence se construire et rêvait de s’y installer. Leur 4 pièces avec balcon leur avait à l’époque coûté 550 000 francs (l’équivalent de 115 000 euros aujourd’hui). Mais c’est surtout pour le « mode de vie » qu’ils voulaient venir, disent-ils : « C’est pas les quartiers nord, ici. »
A la Rouvière, il y a bien sûr la vue à couper le souffle sur la baie de Marseille. Les appartements avec balcon sont spacieux. Le parc de pins, avec son bassin et son square pour enfants, tente de donner un aspect un peu bourgeois. Mais il y a surtout un fonctionnement où tout a été pensé en circuit fermé. Une galerie commerciale de proximité de 70 enseignes, un club de tennis et un espace associatif offrant tout un choix d’activités sportives et culturelles, tout est à portée de main sans avoir à sortir de la résidence. Pour les enfants, pas de danger de se mélanger : la Rouvière comporte une crèche et deux écoles (maternelle et primaire). Pour les retraités, une navette circule entre les immeubles.
Dans sa guérite, à l’entrée, le gardien est attentif. Les portails sont fermés la nuit. Des caméras de surveillance ont été installées. « Suite à l’incursion de quelques jeunes, on a fait appel à une société de surveillance la nuit. Ici, on ne rentre pas avec une camionnette, ça évite les cambriolages. Et la police a eu l’autorisation de patrouiller dans la propriété privée », explique Richard Tournier, aimable retraité, ancien ingénieur ciment. Le personnel est en nombre : 47 gardiennes, pratiquement une par entrée – « de vraies antennes d’alerte », assure M. Tournier, qui est aussi membre du conseil syndical – ainsi que deux jardiniers et deux ouvriers d’entretien. « On se sent en sécurité. On n’est pas embêté », note Pascale Nivoley, enseignante formatrice, qui vit dans la résidence depuis dix-sept ans.
Une attention particulière a aussi été portée au profil des nouveaux arrivants. Les prix des appartements sont en effet attractifs pour ces quartiers du sud de Marseille – 1 800 euros le mètre carré, une performance. Mais il n’est pas donné à n’importe qui d’y entrer. « Le renouvellement se fait toujours dans la même classe sociale. Avoir des charges élevées, ça permet d’éviter de devenir comme les quartiers nord », concède Christian Cavailles, président du conseil syndical. « On a ici toutes les caractéristiques des gros ensembles qui dérapent. La crainte est dans les têtes de tous les propriétaires. Mais on a un conseil syndical très présent et un syndic vigilant », souligne Daniel Amar, président de l’Union sportive et culturelle de la Rouvière Marseille.
C’est en réalité un véritable tri social qui a été organisé dans la copropriété. Pour garder cet entre-soi de petits Blancs que les pieds-noirs ont instauré dès leur arrivée. C’est pour eux que la Rouvière, alors appelée « Super Marseille », a été construite. D’Alger et d’Oran, des dizaines de familles pieds-noirs ont acheté sur plan et reconstitué leur communauté en arrivant. Beaucoup sont restées, désormais implantées sur trois générations. Petit à petit, d’autres propriétaires issus des classes moyennes se sont installés. Mais les règles sont restées les mêmes. « La présence des rapatriés a fait que c’est resté calme car les immigrés savaient qu’ils n’étaient pas les bienvenus. C’est toujours le cas et c’est une très bonne chose ! », assène Jean-Paul Boussant, président de l’Association des résidents.
Plusieurs propriétaires se sont fait l’écho de consignes implicites en cas de mise en location. « Il y a des règles non écrites pour ceux qui louent. Et de fait, il n’y pas de Noirs et peu de Maghrébins. Ce protectionnisme est néfaste car il génère un comportement d’exclusion », regrette Patrick Marquis, ingénieur dans la recherche, installé depuis 1997. « C’est vrai qu’il y a eu des rumeurs sur la présence de Maghrébins dans la résidence et le syndic nous a mis en garde », confirme Richard Tournier. Un autre résident assure que le conseil syndical a demandé de signaler « tout signe de radicalisation à l’intérieur de la résidence ». Au regard de l’homogénéité très blanche des habitants de la Rouvière, on imagine mal de quel signe il pourrait s’agir.
Mais les mots résument l’atmosphère. Pour expliquer cette vigilance, le syndic parle d’« esprit de famille » : « On veut rester une résidence homogène, un contre-exemple de la mixité culturelle », avance Gilles Sindt. Avant de lâcher : « On est encore en France ici, avec des familles qui partagent les mêmes valeurs et la même culture. On ne veut pas de prosélytisme musulman ». Le fantasme de l’invasion se traduit depuis longtemps dans les trois bureaux de vote de la Rouvière. En décembre 2015, aux élections régionales, le Front national y a récolté entre 41 % et 46,5 % des voix.