Voila le copier-coller pour toi petite feignasse...
Selon Caroline Poiré, avocate au sein du cabinet Defendere, spécialisé dans la défense des victimes de violences sexistes et sexuelles, le verdict de ce double procès en diffamation fait ressortir "de manière beaucoup trop effective" des dysfonctionnements du système judiciaire, mais ce n'est pas pour autant un coup d'arrêt à la libération de la parole et de l'écoute portée depuis #MeToo.
Caroline Poiré est avocate à Bruxelles et fondatrice du cabinet Defendere spécialisé dans la défense pénale des victimes de harcèlement, de violences sexuelles, conjugales, intrafamiliales et discriminatoires. Elle accompagne notamment de nombreuses plaignantes dont les histoires ont été récemment visibilisées par le mouvement belge #BalanceTonBar.
Que vous inspire cette deuxième confrontation judiciaire entre Johnny Depp et Amber Heard ainsi que la médiatisation hors norme dont elle a fait l'objet? Le verdict du 2 juin a été plus commenté sur Twitter que l'attaque du Capitole du 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump.
Il m'a semblé par moments que ce procès hors norme était davantage tourné vers le divertissement que la manifestation réelle de la vérité. C'était sur-scénarisé et totalement déshumanisant. Je tiens néanmoins à insister sur le fait que ce n'est pas représentatif de ce que je vis au quotidien. Mais, quand justice et médias se mélangent, cela ne fait pas bon ménage.
L'imbrication des deux n'était-elle pas là depuis le départ puisque ce procès avait pour objet initial une carte blanche d'Amber Heard dans le Washington Post?
À propos de ce qui se passe sur les réseaux sociaux ou dans la presse, j'ai toujours été très claire vis-à-vis de mes clientes: à partir du moment où elles déposent plainte, si elles parlent du dossier et visent le suspect, elles risquent un dépôt de plainte en diffamation et des répercussions sur l'enquête. Je pense qu'une justice de qualité ne peut pas se faire sur les réseaux sociaux.
Néanmoins, comment s'étonner que des victimes de violences sexuelles ignorent la justice, lorsque la justice elle-même ignore les victimes de violences sexuelles? Il y a une méfiance des victimes qui ne se sentent ni écoutées, ni comprises. Toutefois, il est important de souligner, que ce soit au niveau politique, judiciaire ou policier, la réelle prise de conscience de l'importance de prendre ses responsabilités et de restaurer cette confiance des victimes. Des mesures sont mises en place telles que l'ouverture de Centres de Prise en charge des violences sexuelles (CPVS), la formation des policier.ère.s, le nouveau Code pénal sexuel qui entrait en vigueur ce 1ᵉʳ juin, etc.
Selon vous, les décisions judiciaires en matière de violences sexuelles et conjugales rendues en Belgique sont-elles réparatrices pour les victimes?
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Le système pénal n'est pas, à l'heure actuelle, optimal pour pouvoir offrir ce type de réparation qui, de plus, est différente d'une victime à une autre. Certaines auront besoin de savoir que l'auteur passe des années en prison, d'autres qu'il sera "soigné" ou réinséré. La réparation est, en effet, une notion subjective. Un élément qui m'a particulièrement frappé dans le procès Depp-Heard, et qui va totalement à l'encontre d'une justice réparatrice, est la remise en question permanente du statut de "vraie" victime de la plaignante.
N'est-ce pas, d'ailleurs, ce qui est reproché à Amber Heard par l'opinion médiatique et publique: ne pas incarner la victime parfaite de notre imaginaire collectif?
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La victime parfaite n'existe pas. Chacune réagit différemment par rapport à un traumatisme. On reprochait récemment à une travailleuse du sexe racisée que j'ai défendue de ne pas avoir entamé de suivi psychologique après le viol dont elle a été victime. Mais pour certaines, c'est extrêmement compliqué de le faire. Pour des raisons culturelles, financières ou simplement psychologiques.
Les femmes belges ont-elles à craindre les procès en diffamation?
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C'est vrai qu'il existe des procès en diffamation dont le seul but est de décourager. Mais ce type de démarches ne fait que renforcer ma détermination à me battre pour les femmes victimes de violences sexuelles. Concrètement, sur une soixantaine de dossiers que je traite, 10% des femmes qui portent plainte sont convoquées pour des auditions car, parallèlement, le suspect a déposé une plainte en diffamation. Mais ces accusations ne seront établies que si le dossier pour lequel elles ont déposé plainte est d'abord traité et fait l'objet d'une décision. Ce n'est pas comme aux États-Unis. Le Parquet attend d'avoir des éléments pour pouvoir déterminer l'éventuelle diffamation et n'essaie pas d'outrepasser l'autre décision de justice.
Vous constatez néanmoins une augmentation des plaintes en diffamation…
Cela me semble normal, dans la mesure où, si la libération de la parole prend de l'ampleur, plus de plaintes pour violences sont déposées, donc, proportionnellement, on voit aussi plus de plaintes en diffamation. Il faut maintenant travailler à ce que le système judiciaire s'empare de manière sérieuse de ces dernières, mais aussi des plaintes pour violences. Et nous sommes à un tournant où il me semble que les systèmes politique, judiciaire et policier y sont attentifs. Mais il va nous falloir être toutes et tous au sein de ce système plus empathiques, sensibilisé·es et engagé·es. "Ne vous résignez pas", disait Gisèle Halimi. C'est maintenant.