Smallpools
2022-04-09 19:50:24
Le destin des divinités anciennes en travers du mien, est-ce raison de danser toujours à rebours la chanson ?
J'étais amant à folâtrer avec les libellules ; c'était mon passé — ma mère me mit une fleur de verveine dans ma prunelle brune.
Je sentis mon sang allié sourdre des cadences rauques où bâillaient des crapauds pieux comme des amis.
Très pur le destin d'un crapaud !
Un pays tout latérite, des cauchemars qui fendent le crâne avec la hache des fièvres.
J'accuse la lumière m'avoir trahi. J'accuse la nuit de m'avoir perdu.
En vain je promène une mort dans mon destin, et le rire des mères et mon cœur enlisant et ce fleuve si lisse où ne poussera le liseron fin, et je porte aux mondes deux mains et leurs dix doigts pour une arithmétique élémentaire, où se chiffrent naître, aimer et mourir, et le corollaire qui est du corail colorié.
De mémoire d'homme, l'orgueil fut vice : j'en fais un Dieu pour vivre à la hauteur des hommes d'honnête fortune.
Dix doigts pour une arithmétique élémentaire.
J'ai beau être le Bronze, il m'en souvient : le Christ est un innocent, et il faut que meurent les innocents, mais moi je n'ose mon suicide. Alors le Golgotha c'est quoi ? Je n'ai pas choisi d'être bâtard. Vint la cruauté la saveur aux lèvres. La logique veut : il faut construire le monde. Mais il eût fallut graver sur les pierres d'autres symboles, et voir dans le monde des regards qui fondent en larmes. J'aurais payé mon tribut : Splendeur !
Fleuve non, mer non, lac non, arbre oui, arbre mauve à l'endroit du soleil rond, arbre la nuit, mille et mille lucioles en font un diamant brut comme la naissance et j'ouvre mes bras pour me chercher une mère-Misère ! Pitié ! Splendeur ! Clopin-clopant infernale cadence ! Fleuve non, lac non, non, viendra l'orfèvre, je fermerai mes bras pour retrouver un cœur de pierres. Crève donc !
Avant, écoute, c'est le chant du coq : la terre est lumière, nous allons mourir, le cercle de la vie va nouer sur nous son énigme, les bêtes sont des fantômes, nous sommes leur conscience, chut ! La lune : je suis mort par vilenie, mort, mort sanglant — Splendide ! par un clair de lune, du coton blanc dans mes narines noires.
Les chacals se sont tus pour m'entendre chanter, ô terre hantée, trois fois je t'exorcise. C'est moi, j'appelle folie ce qui dénoue l'homme.
Les limaces lissant leur chemin ne parlent pas d'audace où lisser leur symbole fort : les poux tenaient à mon corps.
Danse, il danse dans mon cœur comme une terreur. Je bâille à la chrétienté. Vive moi, ni chaud ni froid, ni châtré vivant parmi la luxure.
Ils marchent à pas nus, des orphelins nus de honte, comme si avec le sens que nous avons du monde il est permis à des orphelins privilégiés d'être sans père. Quelle comédie !
Ils ont des ongles qu'ils se font chaque matin quand l'aube éclate, et ils voient dans le désert des miroirs le peu de profondeur qu'ont leurs âmes, ils s'écorchent le cœur.
Non, nous retournons à la matière, le feu brûle, l'eau mouille, la lumière n'a pas de trace.
Le vin bu me ramenait à cette autre certitude-ci : il faut souffrir pour être un homme comme il faut, et avoir, hors des songeries, des châteaux en Espagne (l'Espagne est un faux pays). Un homme bon comme il faut, c'est-à-dire un homme dément, un homme au bas sens du mot homme — une «hache» aspirée, deux «je t'aime», un nœud E muet, abstrait, le corollaire, une arithmétique élémentaire...
Les corbeaux comme les pies vénèrent les épouvantails : ce sont, disent-ils, des idoles humaines. Nous, nous sommes pour la légalité, le respect des cultures, des préséances ! Et ils ouvrent grandes leurs ailes et chantent des Te Deum en bas-latin pies-corbeaux.
J'ai beau être le Bronze, il m'en souvient : il est permis d'être régicide, mais il est mal de porter une couronne d'épines, même pour innocenter un peuple innocent.
Mes pieds sur la savane inscriront des chemins. L'Aube douce éclate dans ma gorge, je peins le jour pour que la nuit soit éternité. Je crée la Fraternité puisque le Christ a payé pour toutes les âmes damnées. Il y avait des cailloux noirs et blessants sur le sentier qui menait au Golgotha. Donc je proclame la force et le chiffre humain. Je ne crie pas la haine, j'irai partout chercher où sont dispersés mes fétiches à clous, pour leur retrancher les trois clous de la croix. Le Christ se servit d'une croix de bois pour usurper contre le temps le destin d'un peuple contre tous les couteaux tirés du crime.
Ça y est, ce sont les tracteurs qui s'engueulent sur ma savane.
Non, c'est mon sang dans mes veines.
Quel mauvais sang !