Famille nucléaire absolue : la + libérale
Famille nucléaire égalitaire : la + républicaine
Famille souche forte : la + méritocratique
Famille souche faible : compromis entre méritocratie et république
Famille communautaire exogamique : la + solidaire
Famille communautaire endogamique : euh...
1. LA FAMILLE COMMUNAUTAIRE EXOGAME
Caractéristiques :
- Famille élargie, cohabitation des fils mariés et de leurs parents.
- Forte autorité du père.
- À sa mort, les biens sont divisés de façon égalitaire entre les frères. Les filles sont exclues de l'héritage.
- Pas de mariage entre cousins
Valeurs :
- Autorité et égalité
- Universalisme
Principales régions concernées :
Russie, Yougoslavie, Slovaquie, Bulgarie, Hongrie, Albanie, Italie centrale, Chine, Vietnam, Cuba, Inde du nord, Nord Massif central.
Les valeurs de ce type familial sont donc l'autorité (soumission des fils à l'autorité du père) et l'égalité (partage de l'héritage entre les fils). Elles éclairent l'implantation du communisme au XXe siècle : « Qu'est-ce que le communisme ? […] c'est le transfert au parti-État des caractéristiques morales et des mécanismes de régulation de la famille communautaire exogame. Désintégrée par le processus d'urbanisation, d'alphabétisation, d'industrialisation, en un mot par la modernité, la famille communautaire exogame lègue ses valeurs, autoritaires et égalitaires, à la nouvelle société. Les individus, égaux en droits, sont écrasés par l'appareil politique comme ils étaient anéantis, autrefois, par la famille étendue lorsqu'elle était l'institution dominante des sociétés traditionnelles, russe, chinoise, vietnamienne ou serbe » (La diversité du monde, Seuil, 1999. p. 52)
Pour appuyer la démonstration, E. Todd étudie les sociétés de système familial opposé : la famille nucléaire absolue et ses valeurs de liberté et d'inégalité. On la retrouve en Angleterre, Australie ou Pays-Bas où l'implantation du parti communiste a toujours été faible avec des résultats électoraux oscillant entre 0,2 et 3,1 % dans les années 1960 dans ces trois pays.
Mieux encore, dans les pays où le communisme n'a jamais été majoritaire, on retrouve des poches communistes dans les régions de famille communautaire :
- en France, lors des élections de 1973, le parti communiste obtient 30% des voix dans l'Allier (territoire de famille communautaire) mais seulement 6 % dans la Mayenne (territoire de famille nucléaire)
- en Italie, dans les années 1970, le parti communiste réalise 47 % en Émilie (communautaire) mais 20 % en Vénétie (nucléaire)
- au Portugal, en 1976, le PC réalise 40 % dans l'Alentejo (communautaire) mais moins de 10 % dans le nord (souche).
Notons enfin que la famille communautaire est vecteur de l'idée universaliste. Si les frères sont égaux, les humains sont égaux et donc les peuples aussi. On retrouve ici le caractère universaliste de l'idéologie communiste dont les partisans en font une solution pour toute l'Humanité.
2. LA FAMILLE COMMUNAUTAIRE ENDOGAME
Caractéristiques :
- Famille élargie, cohabitation des fils mariés et de leurs parents.
- À sa mort, les biens sont divisés de façon égalitaire entre les frères. Les filles sont exclues de l'héritage.
- Mariage fréquent entre les enfants de deux frères (endogamie).
- Faible autorité du père.
Valeurs :
- Autorité moins forte et égalité
- Universalisme
Principales régions concernées :
Monde arabe, Turquie, Iran, Afghanistan, Pakistan, Azerbaïdjan, Ouzbékistan.
Cette variante de la famille communautaire se caractérise par son principe d'endogamie. Ce dernier produit une organisation sociale où le groupe familial est refermé sur lui-même. C'est la coutume qui règle les tensions et qui détermine qui sera la belle-fille (en l’occurrence une nièce). Donc chaque neveu est un gendre potentiel ce qui apaise les tensions (le patrimoine familial restera dans la famille) et rend inutile une forte autorité parentale.
La conséquence politique de cette organisation familiale est la grande résistance à la construction d'un État. Les individus n'ont pas besoin d'un État pour gérer les rapports sociaux puisque la coutume et la solidarité familiale assurent la protection des personnes. On a vu donc dans les pays concernés s'imposer des dictateurs mettant en place un État militaire qui finalement ne contrôle pas grand-chose et est systématiquement contourné par la pratique de la corruption. Une autre conséquence est l'émergence dans ces sociétés d'une religion sans clergé.
La famille communautaire endogame surnommée parfois la famille arabe tant elle est présente dans le monde arabe est typique des territoires islamisés. Pourtant, elle n'est pas le produit de l'islam. Elle lui préexiste. L’islam est une religion apparue en territoire communautaire endogame et s'est répandue avec lui. Elle n'a pas produit de structure familiale et ce qui, dans le Coran, pouvait s'opposer aux valeurs de la famille communautaire endogame (par exemple, la demi-part d’héritage accordée aux femmes) n'a jamais été appliqué.
L'islam n'est pas non plus la cause du retard économique et de démocratisation du monde arabe. C'est plutôt la faible autorité maternelle au sein de la famille communautaire qui explique le retard d'alphabétisation et par là l'émergence plus tardive de la modernité. On l'a vu, l'islam n'est pas un frein aux évolutions démographiques du monde musulman. Les révolutions arabes ont montré qu'il n'était pas non plus un frein aux bouleversements politiques.
En 2011, complétant son analyse du monde musulman exposé dans Le rendez-vous des civilisations, E. Todd explique dans l'ouvrage Allah n'y est pour rien (note) que ce qui a permis le déclenchement d'un mouvement de révolution dans le monde arabe, c'est la chute récente du taux de mariage endogame dans des pays comme l’Égypte ou la Tunisie. Cette chute a fait sauter le verrou qui empêchait l'entrée du monde arabe dans la « révolution ».
Prenons l'exemple de la Tunisie. En 2011, elle a un taux d'alphabétisation des jeunes hommes de 96 %, des jeunes femmes de 92 %, un indice de fécondité de 2,02 enfants par femme (inférieur au taux français) et 65 % d'urbains. Les mutations sociales déterminantes sont donc depuis longtemps enclenchées et arrivent même à leur terme. Le phénomène nouveau c'est la chute récente du taux d'endogamie chez les jeunes générations (notamment en raison de l'influence culturelle des enfants d'immigrés tunisiens en France) qui rend possible la déstabilisation de la société et le bouleversement politique.
3. LA FAMILLE SOUCHE
Caractéristiques :
- Famille verticale, cohabitation de l'héritier marié et de ses parents.
- Inégalité des enfants : transmission intégrale du patrimoine à l'un des enfants.
Valeurs :
- Autorité et inégalité
- Ethnocentrisme / refus de l'universel
Principales régions concernées :
Belgique, Irlande, Écosse, Sud-ouest France, Alsace, Espagne du nord, Portugal du nord, Allemagne, Autriche, Japon, Suède, Norvège.
La famille souche porte en elle le principe d'inégalité avec sa transmission du patrimoine à un héritier et dans laquelle tous les individus n'ont pas une place et une valeur équivalentes dans la famille. L'autorité y est forte avec le maintien de l'héritier sous le toit des parents.
Ces sociétés sont caractérisées par un refus de l'égalité et donc de l'universalisme selon le principe : si les frères ne sont pas égaux, les humains ne le sont pas et les peuples non plus. Transposé sur le plan idéologique, on aboutit à des crises de transition où les idées de hiérarchie et de stratification sociale voire raciale dominent.
La famille souche engendre un culte de la différence. On constate que lorsque la famille souche caractérise une région à l'intérieur d'un ensemble national plus vaste, elle favorise le particularisme : les Basques, les Irlandais, les Catalans, les Occitans, les Flamands, le Québec, l'Alsace. Une belle liste de peuples à l'identité affirmée.
Par contre, quand la famille souche domine un plus vaste ensemble, elle sécrète une idéologie du « peuple supérieur », c'est-à-dire un nationalisme ethnocentrique voire dans sa forme démente, le nazisme. Pour E. Todd, l'émergence du phénomène idéologique le plus monstrueux de l'Histoire de l'humanité peut être analysée comme l'expression de la crise de transition allemande imprégnée des valeurs de la famille souche. La déstabilisation de la société allemande par l'alphabétisation, la chute de fécondité, la déchristianisation et l'urbanisation débouche sur une fixation sur la notion de « race » et sur un antisémitisme virulent qui permet à l'homme germanique de se définir par rapport au Juif, incarnation négative des vertus allemandes.
L’antisémitisme allemand n'est pas n'importe quel antisémitisme. E. Todd explique : « il n'est pas celui des chrétiens ou des communistes russes qui reprochent à Israël son refus de l'universel. Ce que le nazisme n'accepte pas, dans les années trente, c'est justement l'intégration finalement désirée par les Juifs européens. Les pogroms médiévaux ou tsaristes étaient dirigés contre une minorité revendiquant sa différence. Les chambres à gaz du vingtième siècle veulent éliminer un peuple au moment même où il accepte de s'intégrer aux cultures européennes, lorsqu'il veut devenir allemand en Allemagne, français en France, britannique en Grande-Bretagne » (La diversité du monde. p. 76).
Autre peuple de culture souche, le Japon a lui aussi connu une période d'entre-deux guerres marquée par une idéologie du peuple ethniquement pur et supérieur.
4. LA FAMILLE NUCLEAIRE ABSOLUE
Caractéristiques :
- Pas de cohabitation entre les enfants mariés et leurs parents.
- Pas de règle successorale précise : usage fréquent du testament.
Valeurs :
- Liberté et non-égalité: pas d'inégalitarisme strict
- Individualisme, refus du mélange : apartheid ou multiculturalisme
Principales régions concernées :
Monde anglo-saxon, Hollande, Danemark.
La famille nucléaire absolue se caractérise par un flou dans les règles d'héritage. Ce dernier est divisé librement, par morceaux avec un recours fréquent au testament. Ainsi, ce système familial repose sur un principe de non-égalité des enfants. Plutôt qu'inégaux, les enfants sont considérés comme différents. L'implication politique de cette situation est les enfants étant considérés comme différents, les peuples le sont également. Il y a donc ici une clé de compréhension de l'histoire du monde anglo-saxon qui se caractérise par un multiculturalisme ou un apartheid qui repose sur l'idée que les peuples différents doivent cohabiter mais pas fusionner : voir le colonialisme anglo-saxon ou l'histoire des États-Unis.
La structure familiale nucléaire absolue se caractérise également par un départ précoce du jeune adulte du foyer de ses parents. Cette pratique diffuse l'idéal de liberté individuelle dans la société. Elle éclaire par exemple le démarrage de la révolution industrielle en Angleterre où l'habitude de séparation familiale précoce a rendu peu traumatisant l'exode rural vers les villes et les usines, condition nécessaire du décollage industriel.
La famille nucléaire absolue a donc créé des sociétés à fort tempérament individualiste (voir le monde anglo-saxon). L’État y est vu avant tout comme une menace pour les droits de l'individu y compris dans sa version État-Providence. Ces sociétés sont donc allergiques au totalitarisme car l'absorption de la société civile par l’État y est inconcevable.
5. LA FAMILLE NUCLEAIRE ÉGALITAIRE
Caractéristiques :
- Pas de cohabitation entre les enfants mariés et leurs parents.
- Héritage strictement égalitaire entre les enfants
Valeurs :
- Liberté et égalité
- Individualisme, universalisme, méritocratie (égalité des chances)
Principales régions concernées :
France du nord, Italie du nord et du sud, Espagne centrale et méridionale, Portugal central, Grèce, Roumanie, Pologne, Amérique latine, Éthiopie.
Cette structure familiale est caractéristique du grand Bassin parisien, centre de l'histoire de France. Son analyse peut donc éclairer la construction de l’État-Nation français.
Au XVIIIe siècle, les valeurs de liberté (départ des jeunes adultes du foyer) et d'égalité (héritage strict entre les enfants) s'incarnent dans la Révolution française. Si les enfants sont égaux, les humains sont égaux et les peuples aussi. Au moment de la Révolution, ces valeurs de liberté et d'égalité caractéristiques du Bassin parisien s'opposent aux valeurs du reste de la France issues d'autres structures familiales.
Par exemple, la structure familiale nucléaire absolue du grand ouest donne naissance à la Chouannerie qui refuse l'intégration des habitants dans une armée nationale. L'opposition Montagnards / Girondins illustre le conflit entre un bassin parisien nucléaire égalitaire et un sud-ouest de famille souche défendant le fédéralisme contre les tentatives d'établir l'égalité sociale sur tout le territoire.
Liberté et égalité concerne la famille nucléaire égalitaire, c'est-à-dire la France et l'essentiel du monde latin. Il note que la description que fait Rousseau de la famille normale dans le Contrat social, où l'individu est libre de ses parents dès lors qu'il peut subvenir à ses besoins, est en fait celle d'une famille nucléaire unique. (p. 252)
Mais la France est en réalité un pays très diversifié en termes de structures familiales : La Bretagne largement nucléaire absolue, le sud et la périphérie largement tige, le centre semi-communautaire, mais avec le grand bassin parisien nucléaire-égalitaire (environ 40% du pays). La France catholique est inhabituellement alphabétisée et précocement impie : le cœur du pays entre dans l'âge idéologique un siècle avant les autres pays, tandis qu'une grande partie de la périphérie reste religieuse et hostile aux idéaux libéraux-égalitaires.
Todd explique la Révolution française (qui était aussi une guerre civile) en écrivant : "C'est le conflit même entre le centre libéral-égalitaire et la périphérie inégalitaire-autoritaire qui conduit à l'explosion révolutionnaire, c'est-à-dire à la mise en œuvre hystérisée des idéaux du centre." (p. 264, souligné dans l'original). Les régions traditionnellement hostiles à la montée en puissance de la monarchie deviennent des régions monarchistes hostiles à... la république.
L'histoire de France oscille alors : à la fois libérale et égalitaire, la masse politisée de la population rejette toute autorité. Les sans-culottes des années 1790, les communards de 1871 et même la "populace" parisienne en général tendent vers un anarcho-socialisme et rejettent périodiquement toute autorité au point que le contrôle politique est dévolu au quartier.
Les mouvements socialistes français se développent plus rapidement (1880-1900) que la lente industrialisation du pays et le prolétariat réel. Ils ont tendance à être désorganisés et utopiques, formant souvent de minuscules sectes (groupuscules). Todd donne cette description du "parti socialiste 'latin' assez typique" qui a émergé dans l'Espagne post-franquiste : "Le PSEO (Parti socialiste ouvrier espagnol) combine dès le départ inaptitude organisationnelle et révolutionnarisme verbal ; il est très proche dans sa forme et son comportement de ses frères du Bassin parisien." (p. 289)
(En revanche, le socialisme anglais est pragmatiquement anti-utopique tandis que le socialisme allemand est très organisé et discipliné).
Les valeurs libérales-égalitaires conduisent à une contestation constante et à des changements de régime : le peuple est trop égalitaire pour accepter un régime donné, trop individualiste pour organiser réellement un nouveau régime stable. Cela conduit paradoxalement à ce qu'une grande partie de la population souhaite un autoritarisme limité (ce que Todd appelle le "libéral-militarisme") pour stabiliser la situation : dans l'histoire française, cela s'est incarné dans les figures des généraux Bonaparte, Boulanger et De Gaulle. Todd note, encore une fois paradoxalement, que la popularité de l'anarcho-socialisme, du bonapartisme et du gaullisme (tels qu'exprimés par les mouvements politiques et les votes) se chevauchent dans le grand bassin parisien. Selon lui, cela s'explique par le fait que l'anarcho-socialisme et le "libéral-militarisme" sont tous deux le produit de la mentalité libérale-égalitaire.
L'autre pays largement libéral-égalitaire étudié est l'Espagne. Le pays est libéral-égalitaire à 60%, ce qui coïncide avec les zones perdues par Al-Andalus puis reconquises lors de la Reconquista, tandis que les franges non conquises du nord et de l'est ont des familles souches.
En Espagne, comme en France, on observe une instabilité politique tout au long du XIXe siècle, avec notamment de nombreux coups d'État militaires, parfois progressistes : " C'est encore un pronunciamento qui impose, en 1868, le suffrage universel. " (p. 284) La politique de masse est largement en sommeil tant que le pays est analphabète, le sud de l'Espagne ne s'alphabétise qu'entre 1900 et 1940. Les régions montagneuses deviennent des centres du conservatisme et fourniront des territoires pour le soulèvement de Franco. Le Caudillo répond à la fois aux souhaits des catholiques réactionnaires dans les zones de souche et à ceux de ceux qui désirent "l'ordre" dans les zones libérales-égalitaires. Les zones libérales-égalitaires deviennent hystériquement anticléricales, encore plus que pendant la Révolution française, et embrassent un anarcho-socialisme anti-léniniste.
Todd évoque brièvement l'Italie du Sud. Il affirme que le libéralisme-égalitarisme y apparaît comme une sorte de contestation totale de l'autorité et de l'anarchie, la mafia représentant à la fois l'anarchie et l'ordre (je suppose que cela dépend de la façon dont on le regarde).
L'(anarcho-)socialisme libéral-égalitaire (latin) a un caractère inefficace. En règle générale, il est trop désorganisé et utopique pour survivre : " L'anarcho-socialisme latin, qui veut que tous les hommes soient égaux, peut être qualifié de "révolutionnaire", même si son hostilité à l'organisation le condamne en pratique à l'impuissance. " (p. 464)
Todd soutient qu'en Espagne, en France et en Italie, les zones de sentiment anarcho-socialiste (valeurs familiales nucléaires-égalitaires) ont tendance à tomber sous le contrôle superficiel d'organisations communistes mieux organisées (qui n'ont des racines profondes que dans les zones familiales communautaires). Les anarcho-socialistes espagnols étaient dépendants de l'aide stalinienne, les socialistes du sud de l'Italie étaient submergés par la machine centrale du parti communiste italien, et le parti communiste français n'avait pas de racines profondes dans le Bassin parisien où il tirait néanmoins un soutien électoral.
Il serait très intéressant d'avoir des croquis historiques similaires d'autres pays libéraux-égalitaires, à savoir la plupart des pays d'Amérique latine, la Grèce et la Pologne. Nous avons très souvent une désorganisation et une instabilité de régime ponctuées par un militarisme non totalitaire. Comment le soi-disant "libéral-militarisme" de l'Espagne et de la France se compare-t-il au chavisme ou au péronisme ? Le cas français selon Todd : " Le gaullisme définit un sauveur, le légitime par le suffrage universel direct ; il rêve de grandeur nationale, il a des préoccupations sociales. " (p. 281)
Une dernière caractéristique des pays libéraux-égalitaires est le pseudo-universalisme, l'"assimilation" et le métissage. C'est le plus visible dès qu'un pays doit faire face à des minorités ethniques. La France révolutionnaire émancipe les Juifs en disant qu'elle doit "Tout refuser aux Juifs comme nation, tout leur accorder comme individus." (p. 268) Un sujet de n'importe quelle partie de l'Empire de Napoléon pouvait espérer être un sujet français "également libre" (comme ce fut d'ailleurs le cas juridiquement pour les vastes étendues d'Europe qui furent directement annexées). Un sujet de l'Empire hitlérien, à moins d'être "biologiquement" allemand, ne pouvait avoir un tel espoir. L'universalisme colonial français était un pseudo-universalisme, le racisme était systémique, mais il n'est pas anodin qu'il y ait eu des citoyens français noirs naturalisés et nés libres. Le symbole dit quelque chose du caractère national. Todd, dont les valeurs personnelles sont libérales-égalitaires, écrit aussi sur la France révolutionnaire-napoléonienne : "La 'Grande Nation', qui définit tous les hommes comme libres et égaux, n'est pas le plus antipathique de tous les rêves idéologiques européens." (p. 269)
On pourrait faire une remarque similaire à propos du fascisme italien, fondé sur des valeurs familiales plus communautaires que libérales-égalitaires, qui n'était pas spontanément particulièrement raciste ou antisémite.
Il y a aussi cette divergence intéressante et massive entre les différents empires coloniaux latins et germaniques. Les catholiques libéraux-égalitaires et les latins (c'est la même chose) se métissent presque systématiquement : au Brésil, au Mexique, au Québec, etc. Les protestants purement libéraux et les germaniques (même chose) pratiquent encore plus systématiquement la ségrégation (Sud américain, Afrique du Sud, Australie). Todd spécule que les nations égalitaires (surtout latines et slaves), habituées à considérer les frères comme égaux, projettent cette idée comme signifiant que tous les hommes sont les mêmes (universalisme).
En revanche, les nations purement libérales considèrent que chaque individu, et donc chaque nation, est distinct et différent, les "communautés" séparées au sein du pays étant considérées comme normales. Les nations de la famille souche considèrent que chaque individu est à la fois différent et inégal au sein d'une hiérarchie définie en commun, projetée au niveau international, ce qui conduit à un sentiment aigu de différence et, parfois, à un hégémonisme racial.
L'autorité et l'inégalité caractérisent les pays de la famille souche : l'existence de frères inégaux qui doivent se soumettre à la famille est inconsciemment acceptée comme normale. Ces principes de discrimination et de hiérarchie sont projetés à la fois sur la politique intérieure et internationale. Todd cite les éloges de Fichte sur la pureté ethnique de l'Allemagne et sur la langue. Sur la langue, il est très intéressant :
On devine sans peine l'influence énorme que la structure de sa langue exerce sur le développement humain d'un peuple, de cette langue qui accompagne, limite et anime l'individu dans les profondeurs les plus intimes de sa pensée et de sa volonté, qui fait de la collection humaine parlant cette langue une communauté dirigée par une intelligence commune. [Je traduis du français, malheureusement, p. 306, cité dans les Discours à la nation allemande].
Dans les deux cas, ce qui est souligné, c'est l'absence d'autonomie de l'individu par rapport à l'ensemble. La liberté et la raison anglo-saxonnes et (dans une moindre mesure) françaises sont des facultés individuelles. Pour Luther et Hegel, la liberté est "un principe transcendantal au-dessus des individus, une contrainte intérieure de ne suivre que la direction donnée, la bonne" tandis que la raison "est un principe transcendantal qui anime l'État mais pas les individus." (Les descriptions de Todd, p. 308)
Les familles souches, en particulier, sont remarquablement douées pour reproduire l'héritage et la culture de la famille sur plusieurs générations. Le fils aîné porte (généralement) le poids et l'autorité de l'ensemble du nom et du patrimoine de la famille, sans parler de la famille elle-même. Les familles de Stem investissent dans leurs enfants comme un investissement dans la famille, l'enfant, à l'inverse, sert la famille dans un rôle attribué ; il n'y a pas le chaos, la perte ou la "liberté" individuelle des familles libérales.
Todd affirme que la hiérarchie, l'inégalité et la continuité de la famille souche se projettent dans l'ethno-nationalisme. Il le dit en particulier des mouvements régionalistes/nationalistes qui perçoivent une "nation éternelle" qui existe malgré une intégration durable dans une autre nation : " Émergeant des temps immémoriaux, voulant survivre dans les siècles des siècles, ce peuple-lignée n'est que la projection grandiose de la famille souche elle-même. " (p. 408) Cette continuité explique également la survie, la non-assimilation et la réussite scolaire des peuples juifs au cours des siècles.
L'Écosse, le Pays de Galles, l'Irlande (nord et sud), la Galice, le Pays basque, la Catalogne, la Norvège occidentale, la Flandre, la Wallonie et le Tyrol du Sud sont les principales zones de revendications régionalistes-autonomistes en 1975. Ce sont toutes des régions à tige partielle ou complète. La famille souche encourage une perception de soi comme irréductiblement différente. On peut se demander pourquoi le sud de la France, qui est à tige, n'a pas connu de mouvement régional ethnocentrique majeur malgré la présence de la langue d'Oc.
Lorsque la nation est petite et souveraine, elle tend vers le neutralisme (Irlande, Suisse, Suède). Dans le cas de la Suisse, le particularisme de la tige s'exprime par un attachement à la fois à la neutralité et au canton (dans les deux cas, très suisse, donc chevauchant le nationalisme). Todd affirme que, contrairement à la Belgique, les Latins de Suisse (francophones et italophones) étant libéraux-égalitaires et donc universalistes, ils sont tolérants à l'égard du particularisme des Suisses germanophones.
Les pays à forte majorité de souches (Allemagne, Autriche, Suisse, Suède) ont tendance à être bien organisés et verticalement organisés. La social-démocratie allemande et autrichienne n'a rien à voir avec son équivalent anglophone modéré et pragmatique et son équivalent latin utopique désorganisé. Le catholicisme survit beaucoup plus longtemps, jusque dans les années 1960, créant des partis démocrates chrétiens tant qu'il dure (Zentrum d'avant-guerre, CDU d'après-guerre). Les modes de scrutin ont tendance à être plus stables que dans les autres pays et, en effet, Todd est étonné de constater une continuité régionale presque totale dans les modes de scrutin CDU/SPD avant et après la période nazie (un écart de 12 ans particulièrement traumatisant et révolutionnaire).
Dans les cas du Japon et de l'Allemagne, Todd soutient que parce que ces pays sont suffisamment grands pour que cela soit plausible, les idéaux ethno-nationalistes inégalitaires de la famille souche conduisent à l'hégémonie raciale rêvée. L'assimilation de ceux qui représentent "l'Autre" (les Juifs) est considérée comme impossible. Il est intéressant de noter que Todd note que l'inégalitarisme d'Hitler va au-delà de l'Allemagne parce que le pays n'est pas un cas d'aryanisme pur (imaginé) ; certaines autres nations pourraient être plus aryennes : "[Hitler] n'est pas nationaliste au sens traditionnel du terme. Il porte l'idéal de l'inégalité des hommes au-delà du concept de nation." (p. 335) Todd affirme que les types de famille expliquent les réponses diamétralement opposées de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la France et de l'Allemagne aux crises économiques, par ailleurs similaires, des années 1930.
L'égalité et l'autorité caractérisent les pays à famille communautaire. Aucun pays d'Europe occidentale n'est entièrement communitaire. Cependant, Todd constate une corrélation presque parfaite entre le soutien aux partis communistes lors d'élections libres et les régions à structure familiale communautaire : le sud du Portugal, le centre de l'Italie et certaines parties du centre-sud de la France.
En effet, la corrélation est tout à fait remarquable et, dans le cas de l'Italie et du Portugal, le fait d'être dans une région à famille communautaire présente une corrélation bien plus élevée avec le vote communiste que, par exemple, le nombre de travailleurs industriels (ce serait le nord-ouest de l'Italie). Todd est particulièrement satisfait lorsqu'il voit que les cartes des votes pour la social-démocratie, le socialisme et le communisme italiens sont parfaitement corrélées aux types de famille (respectivement tige nord-est, libéral-égalitaire nord et sud, et centre communautaire, p. 423).
L'autre cas est celui de la Finlande, qui est partiellement communitaire : il y a un fort mouvement communiste indigène, une guerre civile brutale, puis le communisme en tant que mouvement est largement discrédité par la proximité avec la réalité soviétique (contrairement à l'Europe occidentale proprement dite, qui peut encore fantasmer longuement sur le stalinisme).
D'autres pays communistes ne font pas partie de l'étude de Todd, mais ils comprennent la Russie, la Hongrie, la Serbie, la Chine, le Vietnam et certaines parties de l'Inde. La Russie, la Serbie, la Chine, le Vietnam et (brièvement) la Hongrie ont produit des régimes communistes autochtones, soit sous la forme d'une révolution politique, soit parce que l'insurrection contre les occupants étrangers a choisi d'être communiste. Le vote communiste en Inde (y compris les gouvernements communistes récurrents de certains États) semble largement corrélé à la famille communautaire.
Comme les pays libéraux-égalitaires, ces pays ont adopté une idéologie pseudo-universaliste qui rejette explicitement le racisme de type nazi.
Alors que tous les autres types de famille tendent à favoriser l'un ou l'autre aspect de la modernité, Todd constate que la famille communautaire semble être corrélée à la stabilité (ou à l'"arriération"), demeurant des nations paysannes alors même que d'autres se modernisent autour d'elles, jusqu'à ce que les tensions deviennent telles qu'elles soient (souvent brutalement) arrachées à leur conservatisme. L'écrasante majorité de l'humanité (c'est-à-dire l'Eurasie) est communautaire. Todd spécule qu'à mesure que ce type de famille se développe, il ralentit le développement historique, ne laissant que des zones périphériques non communautaires pour être dynamiques (c'est-à-dire l'Europe occidentale, le Japon).
Seule la liberté caractérise les pays nucléaires absolus. L'enfant quitte le foyer familial dès qu'il atteint l'âge adulte et les parents sont libres de disposer de leurs biens comme ils l'entendent. Il voit un lien avec la vision lockéenne de la nature libérale, non égalitaire et contractuelle du gouvernement (qui caractérise également l'Amérique, avec la propension supplémentaire à l'émigration vers l'ouest et à la "fuite" des problèmes).
Todd soutient que la perception d'individus autonomes et différents au sein de la famille se traduit par une politique anglo-libérale, une préférence pour l'isolationnisme et une grande tolérance pour les "ghettos" ethniques (c'est-à-dire comme "normaux", pas nécessairement considérés comme un problème (comme le font les Français)). La ségrégation anglo-saxonne et l'apartheid néerlandais sont la norme chaque fois que ces peuples entrent en contact avec des non-Blancs.
Todd argumente : "La conception anglaise de la nation est particulièrement tolérable parce qu'elle est tolérante. Contrairement aux visions française et allemande, qui nient le droit des peuples à une existence culturelle autonome." (p. 482)
Sinon, les principales caractéristiques des nations libérales pures semblent être une certaine atomisation des individus, une certaine stabilité politique et le respect des régimes oligarchiques libéraux (la plupart des monarchies en Europe se trouvent dans des nations libérales pures et ont rarement, voire jamais, été renversées). Il y a peu d'idéologie dure. Le travaillisme britannique est pour Todd un "zéro-socialisme", un mouvement ouvrier organisé qui, en pratique, a très tôt accepté comme tolérable une société inégalitaire et individualiste. Le parti conservateur ne représente rien de particulier, si ce n'est une hostilité au changement sous toutes ses formes, d'où son surnom de "parti stupide". Il affirme que les électorats libéraux absolus peuvent être largement immunisés contre les appels protectionnistes (le parti conservateur ayant perdu plusieurs élections sur ce thème).