TheParagon
2022-03-19 05:55:55
https://www.marianne.net/monde/europe/guerre-les-espoirs-decus-des-francais-partis-vivre-entre-blancs-en-ukraine
La guerre en Ukraine a déboussolé toute l’extrême droite française, mais on n’a pas idée de la catastrophe qu’elle fut pour Baptiste. Ce militant racialiste blanc venait tout juste de s’expatrier à Kiev, son refuge contre la France en voie, selon lui, d’« africanisation ». Jeudi 24 février, il dormait dans son appartement de la capitale ukrainienne quand, à 5 h 04, les bombes russes sont tombées. « Mon corps a tremblé » raconte-t-il.
Ses convictions aussi ont été secouées. Baptiste, 26 ans, est issu d’une famille noble de l’Hérault. Cet identitaire radical se disait : « La France ne sera jamais à nous. Autant plier bagage et trouver un pays qui nous ressemble. » Il y a deux ans, il rejoignait donc les Braves, une confrérie raciste fondée par le militant Daniel Conversano. Depuis 2017, celui-ci organise l’expatriation de ses partisans en Europe de l’Est, présentée comme un eldorado nationaliste, sans immigrés et avec femmes à gogo. Elle dispose de sections en Hongrie, Roumanie, Ukraine… Une fois là-bas, en septembre 2021, Baptiste a trouvé une copine en deux jours ! Motion designer de profession, il pouvait travailler en indépendant et espérait faire sa vie dans un « pays apaisé »… Mauvaise pioche.
La trahison de Poutine
Il était pourtant fasciné par Poutine jadis, l’homme fort de la Russie, ce défenseur de valeurs qu’aurait perdues un Occident perverti. Ainsi, quand le maître de Moscou annexe la Crimée, en mars 2014, Baptiste reste « pro-Russes ». D’ailleurs, questionne-t-il, la Russie n’a-t-elle pas prêté des millions au Front national ? Les agents secrets du FSB n’ont-ils pas approché Éric Zemmour pour en faire un « agent d’influence », comme l’a révélé Le JDD ? « Poutine a soutenu mon idéologie clame Baptiste. Que ce mec, pour lequel j’avais de la sympathie, bombarde la ville où j’habite, c’est une forme de trahison… Je me suis senti stupide. Je suis devenu pro-ukrainien le premier jour du bombardement. »
Max, 25 ans, un autre membre des Braves, chef de section en Ukraine, est lui aussi déboussolé : « J’ai monté une section à Kiev, j’ai à peine eu le temps de réunir dix mecs et il y a eu la guerre. » Après avoir passé deux ans à Bucarest, dans la Roumanie voisine, il s’était installé dans la capitale ukrainienne à la même période que Baptiste. « Tu vis mieux, tu as plus de valeur, tu bénéficies de l’exotisme, les femmes, même gauchisées, veulent fonder une famille » assure cet admirateur du théoricien suprémaciste blanc américain Jared Taylor. Max est hostile au projet « panrussiste » de Poutine, qui contrarie ses projets de vie : sous occupation russe, l’Ukraine serait « instable » et « russifiée à 2 000 % » selon lui, perdant ses spécificités culturelles. Baptiste aussi tance les « prétextes bidons » de Poutine, qui ne veut qu’« étendre son empire ». « Il veut juste s’attaquer au nationalisme ukrainien et détruire le sentiment national, une culture et un pays. C’est une attaque à mon idéologie. » Et de découvrir, sur le tard, que la Fédération de Russie, qui bénéficie sur le terrain du soutien des musulmans tchétchènes de Ramzan Kadyrov, est en fait un « empire multiethnique ».
Dure prise de conscience géopolitique. « Ça m’embête que ces nations qui sont proches se fassent la guerre » se désole Baptiste, à l'instar d'une large frange de sa famille politique qui lit le monde, depuis la chute de l’URSS, à travers la théorie du « choc des civilisations » de Samuel Huntington. Selon elle, les futurs conflits devaient être civilisationnels et religieux. Non pas entre pays frères et chrétiens orthodoxes comme la Russie et l’Ukraine…
Pour l’internationale de Conversano, qui possède également une section dans l’Oural, en Russie, la déroute est totale. « On s’était jamais posé la question : qu’est-ce qui se passe si deux pays de notre fraternité se font la guerre ? » avoue Baptiste. Craignant d’être un « boulet » lui n'a pas désiré se battre. Tout comme Max, il a pu rentrer en France in extremis. Et il cherche son nouveau jardin d’Éden.