Marion_Bosseuse
2022-03-22 14:43:45
Aucune erreur n'est acceptable.
J'ai tout misé sur cette main.
J'ai joué de mes relations pour intégrer ce cercle de jeu. Dans une cave crasseuse de cité, des sommes folles passent de main en main.
Du haut de mes dix-neuf printemps, je suis le benjamin de ces lieux. Confiant en mes capacités, j'ai sorti en liquide toutes les économies de ma courte vie pour les doubler, les tripler, les décupler.
Face à moi, un ultime obstacle se dressait avant la fortune. Un quadra. Noir de peau, que l'éclatante blancheur de son sourire illuminait quand il faisait sortir un adversaire.
A nous deux, nous avions éliminé tout le monde. Des tchétchènes en survêtement, des banquiers en costard, de prétendus professionnels en lunettes de soleil et sweat à capuche. Tous des minables.
J'allume une clope et frotte mon menton glabre d'adolescent. Ma main est bonne. Mon adversaire regarde la sienne. Deux fois. Signe qu'elle est probablement aussi bonne.
Les piles de jetons devant nous nous dissimulent presque. Si je pouvais me retirer maintenant, je serais trois fois plus riche que lorsque je suis entré.
Si je pouvais.
Une paire de dames servie. Je tâche de dissimuler ma joie, et pense à la tactique à appliquer pour envoyer mon adversaire ad patres.
Il est dealer. C'est donc à moi de parler. Je relance, il relance aussi. Je me contente de suivre, je sens que sa main est au moins aussi bonne que la mienne, je prèfère rester prudent.
Le flop tombe. Un valet de trèfle. Une dame de coeur. Une dame de trèfle.
Est-ce un rêve? Je viens de me voir servir un carré de dames !
Ma fortune est faite. Elle s'offre à moi, nue, désirable, je n'ai plus qu'à me servir.
Mon adversaire fronce les sourcils. Il s'allume une cigarette pendant que j'écrase ma mienne.
A moi de parler. Je check. J'espère secrètement tenter un check-raise. Le mec est aggressif. Si je fais mine d'être en position de faiblesse, il attaquera. Et je lui rendrai la monnaie de sa pièce.
Ca n'a pas manqué. Il avance sur le tapis vert la moitié du pot. Je relance. Il suit. Etrange. Dans ce genre de situation, ou on finit à tapis, ou on se couche. Je ne comprends pas sa logique. Lui non plus d'ailleurs, vu son air pensif.
Le turn est servi. Quatre de carreau.
Carte sans intérêt. Je regarde mon adversaire, il me rend mon regard. Nous vérifions nos jeux. De longues secondes s'écoulent avant que je ne parle. Ma main est gagnante, quelle que soit celle de celui qui me fait face.
Je suis fatigué. J'avance tous mes jetons au centre de la table. All-in.
Mon adversaire tire de grandes goulées sur sa cigarette. Il sort de sa veste une calculatrice de poche et pianote dessus.
Il calcule des probabilités. J'ai donc l'avantage. Il va perdre. Allez mon vieux, suis-moi.
Il me suit. Au fond de moi je ne m'y attendais pas. Nous dévoilons nos cartes.
Je vois le trouble se lire dans ses yeux lorsque j'abats mon jeu. Il lis mon appréhension dans le miens quand il abat le sien.
Irish Anna Kournikova. Pour les profanes, As et roi. De trèfle.
Non. NON! Pas ça, NON !
La river va être servie.
Le croupier laisse le suspens faire le plaisir de nos spectateurs, qui parient sur l'issue de cette lutte de titan que nous nous livrons pas cartes interposées.
La carte est retournée.
Mon univers s'écroule.
Dix de trèfle.
Mon adversaire me tend la main. Une goutte de sueur perle son front. Une larme coule le long de ma joue.
"Tu t'es bien battu, gamin".
Le gamin est fauché, ruiné. Quinte flush royale. Les probabilités...je n'ai même plus la force de les calculer.
Les autres joueurs me saluent chaleureusement. Sacré spectacle. Tu parles. Eux vont retourner à leur taf de trader, dealer, ou tueur à gages.
Moi, je vais devoir envoyer mon CV au Mc Do...