FrimeuseMOLLY
2022-03-23 18:15:20
Le forum sait déjà que je suis pizzaiola de métier depuis quelques années maintenant.
J’ai vu pas mal de kheys - dont certains sont directement venus me parler en mp pour me poser des questions - exprimer le souhait de se lancer dans la pizza en ouvrant leur resto ou leur camion.
Du coup, j’aimerais parler des aspects négatifs des mon travail pour donner un peu plus de visibilité sur la réalité du taff à ceux qui sont intéressé pour se lancer dans cette aventure. Il y a vraiment beaucoup de chose à démystifier autour de la pizza, beaucoup ne s’imaginent pas les aspects négatifs de l’envers du décor de ce métier.
Je vais énumérer les points en sommaire, puis les expliciter en suivant, comme ça vous pourrez rapidement consulter les points qui vous intéressent.
1 - la charge de travail
a) les obligations et temps de travail
b) les horaires
c) le physique
2 - les risques santé
a) les problèmes de santé à court terme
b) les problèmes de santé à long terme
c) les dangers liés à l’activité et au matériel
3 - les responsabilités
a) l’hygiène
b) la gestion
c) l’administratif
4 - l’investissement financier
1) coûts des matières premières
2) coûts du matériel
3) charges en tout genre
Tout ne sera pas forcément exhaustif, je parle surtout via ma propre expérience de la profession. Notamment les derniers points que je survolerais pour certains, car je ne suis pas moi-même gérante et/ou propriétaire d’un point de vente, mais je connais quelques détails qui me permettent d’en parler, car y a beaucoup de choses qu’on imagine pas et que moi-même j’ai été surprise de découvrir étant du métier.
1 - a)
Pour ceux qui sont déjà des amateurs pizzaiolo, vous n’êtes pas sans savoir que la préparation d’une pizza c’est du temps et de l’organisation. Ce que vous n’imaginez peut-être pas forcément, c’est à quel point cette organisation de temps peut s’avérer être énorme charge de travail. La pâte, il faut la préparer tous les jours, il ne faut jamais oublier, jamais de louper, sinon vous pouvez fermer boutique un jour ou plus (jusqu’à temps que vous ayez une pâte de prête évidemment). Ça peut paraître bête dit comme ça, mais vous verrez que selon votre process, ça peut aller très vite d’oublier un truc important, car vous avez aussi des clients à servir. Et qu’une partie du process peut être imbriquée pendant vos temps de services. Il faut donc être capable de penser à tout, et à la fois de préparer vos services des prochains jours tout en vous occupant de votre service en cours. C’est plus simple quand on a une grosse équipe dans un restaurant, ça l’est moins quand on est seul à tout faire ; et en étant seul cela veut peut être dire qu’on doit étaler plus amplement ses temps de travail sur sa journée, et donc avoir peu de temps pour se reposer, et faire des semaines de 70h genre… Donc c’est quelque chose à prendre en considération avant de se jeter là-dedans tête baissée, y a beaucoup de travail, et potentiellement un nombre colossal d’heures supp.
1- b)
Je reviens plus en détail sur les horaires. Si vous avez déjà fait de la restauration, ce point ne vous concernera pas. Je m’adresse ici surtout à ceux qui n’en ont jamais fait, et qui se disent peut-être naïvement que les horaires c’est ok pour eux. Travailler en restauration ça implique deux choses possibles. Soit vous travaillez en service continue, auquel cas cela ressemblera à des horaires de bureau, à ceci près que vous n’avez pas votre pause entre midi et deux pour manger. Soit vous travaillez en horaires coupure, et dans ce cas cela implique que vous travaillez le matin et midi, que vous ne travaillez pas l’après-midi, puis que vous travaillez à nouveau le soir. Ça n’a l’air de rien comme cela, mais vous constaterez vite que pendant votre coupure vous n’avez pas le temps de grand chose, surtout si vous avez de longs temps de trajet jusqu’à votre domicile par exemple, c’est souvent l’histoire de rentrer faire une sieste de 30min ou 1 heure avant de repartir. Vous travaillez tard le soir, donc dites adieu à vos soirées au bar avec les copains, dites adieu aux repas au restaurant également puisque vous travaillez justement sur les horaires des restaurants puisque vous êtes vous même un restaurateur. Je n’imagine pas la détresse du mec qui bosse tout seul 7/7j qui n’a pas remis les pieds sous une table de restauration depuis 10 ans… Perso j’ai la chance d’être en restaurant avec une équipe, donc j’ai des jours de repos, et donc ça m’arrive de faire un restaurant, même si c’est rare et que ma vie sociale est au ralenti.
1 - c)
L’aspect physique du travail est important à prendre en compte, surtout car il se cumule avec la charge temporelle de travail des horaires. Faire une pâte de 500g ou de 1kg c’est une chose. Faire une pâte de 25, 50, voire 100kg, TOUT LES JOURS, c’est autre chose. La pâte est lourde, il faut la pétrir à la main, ou la sortir du pétrin si vous ne pétrissez pas à la main, il faut la bouler cette pâte aussi. Sans expérience, on parle de plus d’une heure à bouler des pâtons si vous êtes seul sur la tâche, d’une vingtaine de minutes avec de l’expérience. Il faut aller vite, ça provoque rapidement des douleurs articulaires et musculaires, les avant-bras sont rapidement tendus. J’ai déjà vu un collègue avec les bras tétanisés après une séance de boulage où il fallait rattraper du retard et aller très vite. Ça semble absurde, mais c’est vrai. Ce sont des gestes répétés quotidiennement qui favorisent les courbatures, les douleurs articulaires, voire les kystes. L’aspect physique du métier n’est pas à négliger. Je rappelle que vous n’avez pas le droit de dire « aujourd’hui je suis fatigué je fais pas, je repousse à demain ». Non. La pâte doit être faite, elle doit être pétrie et boulée, sinon tu fermes ton restaurant pour un jour.
2 - a)
Il y a des problèmes de santé à court terme. Les courbatures et les kystes en font partie. Y compris les douleurs au dos ou au jambes. Mais il y a plus dérangeant encore. La farine. Travailler dans la pizza, c’est passé plus de 50% de son temps dans la farine. Sauf que la farine, c’est très volatil, c’est insidieux, comme du sable. Et il y a un truc assez dérangeant avec ça, c’est les infections qu’elle provoque. Notamment au nez, aux narines. La farine provoque fréquemment des vestibulites nasales, qui est une infection des parois nasales. La vestibulite nasale survient dans différentes conditions, mouchages fréquents, manipulation frénétique du nez, intrusion de corps étrangers dans les narines. Le farine fait cumuler les trois. Puisqu’elle rentre dans vos narines, vous provoque des démangeaisons (vous vous toucherez tout le temps le nez, a la manière des cocainomanes) et forcément elle provoque beaucoup plus de sécrétion de mucus et donc de morve, ce qui vous fera vous moucher beaucoup plus régulièrement. Il résulte de la vestibulite nasale un nez qui gonfle, qui devient rouge et qui est très douloureux au touché. Elle disparaît normalement au bout d’une semaine environ, parfois deux, mais le contact quotidien avec la farine a tendance à empirer et allonger la durée malgré les traitements à base de pommades antibiotiques.
2 - b)
Toujours a cause de la farine, il faut savoir quelque chose de très important. Les métiers de la farine, tous autant qu’ils sont, du début de la chaîne à la fin, ont une probabilité de réduire la durée de vie du travailleur, puisque la farine est respirée et se longe dans les voies respiratoires, y compris les bronches et les poumons. Il y a des risques pour la santé à long terme, notamment des maladies respiratoires, mortelles pour certaines. Si vous tenez à mourir de vieillesse à 110 ans, oubliez la pizza, il est plus probable que vous mouriez à 70 ans d’un avc provoqué par de l’asthme ou d’une bronchite chronique.
2 - c)
Je vais pas m’étendre énormément sur ça, mais qui dit restauration, dit ustensiles de cuisine, dit coupures, brûlures, etc. A noter qu’il est possible de s’arracher un bras dans un pétrin, ou de se sectionner un doigt ou la main dans une trancheuse. Ça arrive rarement, surtout si on suit des règles de sécurité de base, mais ça peut arriver, et c’est déjà arrivé. Ne croyez pas qu’un bon cuisto ne se coupe jamais. Au contraire, ça arrive fréquemment, même avec les bons gestes et les bonnes tenues de lames. On est souvent tenté d’accélérer, de faire plusieurs choses à la fois, surtout quand l’expérience apporte avec elle un certain confort dans le maniement et la polyvalence dans le taff, et c’est là que sur un moment d’inattention on fait riper sa lame et on se coupe un doigt. Ensuite, truc qu’on imagine pas avant de faire de la restauration, mais on utilise souvent des produits très concentrés. Adieu le paic citron de la maison ou le sanytol. Dites bonjours aux produits ultra corrosifs recommandé par l’hygiène de l’UE, et croyez moi que 90% du temps vous avez pas le temps d’enfiler une paire de gants, donc vous vous brûlerez les mains, cumulé à l’humidité constante et aux changements brutaux de température (four / chambre froide) cela provoque : démangeaisons, crevasses, saignements, etc.
3 - a)
En terme d’hygiène, il y a énormément de choses à savoir. Personnellement je suis détentrice d’un certificat HACCP des normes européennes d’hygiène dans la restauration. La chose la plus importante à comprendre c’est qu’on ne fait pas dans un restaurant ce que l’on fait chez soi. Évidemment qu’une viande ne périme pas en l’espace d’une minute. Le 23 elle est saine jusqu’à 23h59 et HOP le 24 à minuit et une seconde elle est pourrie et va tuer des gens. Bien entendu, ça ne marche pas comme ça. Sauf qu’une viande n’est pas forcément saine, même si elle a l’air correcte visuellement et olfactivement, on ne voit pas, à l’œil nu, ce qu’elle contient comme souches bactériennes. Le problème étant qu’au delà d’un certain temps, les risques pour que les souches bactériennes se soient suffisamment développées pour provoquer des intoxications augmentent fortement. Et si un estomac d’une personne en bonne santé ne craint rien, ce n’est pas forcément le cas de tous vos clients. Il y a des enfants, des personnes âgées, des gens qui peuvent être malades, avec des comorbidités, etc. Idem pour vos mains, une bactérie se multiplie par 2 toutes les 20min en moyenne. Cela veut dire qu’en 24h, on passe de 1 bactérie à 67 108 864 bactéries. En 48h, on obtient une masse microbienne de l’ordre de 4000 fois la masse du globe terrestre. Travailler dans un restaurant demande de se laver les mains au maximum toutes les 30min, en plus de quoi il faut le faire entre chaque changement de poste et de tache, mais aussi après chaque manipulation de produits allergènes.
Une phrase que j’aime à dire, c’est que quand on fait de la restauration on fait ça pour nourrir les gens, pas pour les tuer. Or vous n’êtes pas sans savoir que des resto où y a des intoxications, voire des morts, y en a plein. C’est la prison pour le propriétaire du restaurant, c’est quelque chose à savoir. Ça paraît de rien comme ça, mais la responsabilité est énorme, on parle de vies humaines. Donner à manger à des gens et les tuer parce qu’on a fait n’importe quoi, c’est quand même un peu con.
3- b)
Un restaurant c’est aussi de la gestion. C’est devoir gérer potentiellement des salariés, gérer une équipe, organiser un service, faire des mises en place, mais c’est aussi gérer des stocks, les stocks pour le service, les stocks pour la semaine, les stocks pour le mois. Quand tu gères un restaurant, il y a énormément de choses à avoir en tête. Et tout ça, tout en travaillant aussi. Généralement c’est des choses qui vont s’ajouter en plus de ton temps de travail, les heures supp d’inventaire, les heures supp a organiser les plannings, les heures supp à faire de la compta, etc.
3- c)
Gérer un restaurant c’est aussi beaucoup de paperasse. Faut pas croire que tu ouvres juste ton truc et que tu fais ta vie. Tu as énormément de choses à gérer, et ça va des papiers urssaf, à ceux de pôle emploi, en passant par les feuilles de salaires, les contrats, etc. Mais tu as aussi tes papiers pour la banque, parce qu’à moins de toucher un héritage, tu feras un crédit pour ouvrir ton resto. T’as aussi tous les papiers à faire pour faire des demandes en tout genre. Et pour absolument tout. Tu veux une terrasse ? Faut des papiers, et faut payer. Tu veux passer de la musique dans ton restaurant ? Faut des papiers, et faut payer (coucou les voleurs de la SACEM). Absolument TOUT ce que tu fais fera l’objet de papiers, avec des procédures qui prennent des semaines, voire des mois, avec des montagnes de papiers à la con qui disent tout sans rien dire là (vous les connaissez ces fameux papiers administratifs à la con où tu comprends rien sans avoir fait un Master de Droit). Bref, c’est du boulot tout ça. Mais faut pas oublier de faire ta pâte surtout !!! ()
4 - a)
Ici je survolerais les prochains points, c’est surtout pour énumérer vite fait quelques éléments. Des choses que beaucoup connaîtront déjà d’ailleurs. Mais c’est toujours bon de le rappeler pour voir l’ampleur globale de ce que tu vas injecter dans ton projet (et de ce que tu devras à ta banque )
Une bonne mozza, ça va te couter dans les 10/40€ le kilo. Je parle d’une excellente mozza. Un bon jambon, pareil, comptes entre 30 et 90€ le kilo en fonction du pedigree du truc (un Parme ou un Bayonne c’est pas le même prix qu’un Serrano). Puis faut pas oublier que tu dois acheter des cartons pour tes boîtes à pizza. Et y a l’huile pimentée aussi, les sacs, les boîtes en tout genre pour tes produits additionnels, boissons, dessert, etc. Chaque trimestre ces produits ils prennent des +30% dans les dents, bientôt le carton à pizza coûtera plus cher que la pizza c’est un délire.
4 - b)
Allez on va s’amuser ici. Un four à pierre ça coûte combien ? Ça dépend. Tu peux débourser 10000€ « à peine », mais si tu veux la rolls royce des fours, un truc avec une pierre rotative, un hybride gaz/feu de bois, compte entre 30 et 50k€.
Une pelle à enfourner ? 240€
Une saladette avec un marbre ça coûte combien ? Environ 5 a 7k€.
Une chambre froide ? 10k€
Un pétrin 10L ? 3 à 5k€
Mais c’est pas tout, il te faut de l’inox, des gastro, des couteaux, des saladiers, des poêles et casseroles, ainsi que des fourneaux et des fours si tu veux faire des préparations déjà cuisinées, enfin bref il te faut tout les ustensiles nécessaires à une bonne cuisine professionnelle. Et ça coûte très cher tout ça.
4 - c)
Les charges en tout genre que tu auras à payer, j’ai pas les montants exact, mais bon, ça se trouve sur internet. Faut rappeler que tu vas devoir payer un fond de commerce et un local (location ou non), que tu auras sûrement des travaux, que tu auras des salaires à payer, mais aussi des taxes et des impôts. J’ai pas les montants de ce que ça représente, mais je sais ce que ça a comme effet sur le salaire que se verse un propriétaire de pizzeria. Une pizza, ça marche en moyenne a 25/30% environ. Sur ces 25/30%, seulement 1 a 2% représente le salaire du propriétaire, le reste c’est pour payer toutes les charges.
Si tout ça ne te fait pas peur, alors bienvenu dans le fabuleux monde de la restauration
Si vous avez quelconques questions à poser, allez y, j’y répondrais autant que possible si j’ai les réponses.