« Ne vous y trompez pas, aimait à dire François Mitterrand, l’extrême droite française est aussi dans la droite ». Jamais cette analyse cruelle, dont l’histoire de France fourmille d’exemples, n’a été mieux vérifiée que depuis quelques jours, avec les surenchères de politiciens de la droite officielle, paniqués à l’idée d’être dépassés par les deux candidats de l’extrême droite affichée.
Leurs dernières déclarations, sur le « grand remplacement » et les « Français de papier », renvoient à des vieux fantasmes qui occupaient tous les débats il y a un siècle, quand on disait la France menacée de « perdre son âme sous les coups de boutoir des envahisseurs italiens », puis polonais ; et toujours, des « envahisseurs juifs », vus, eux, non comme une menace numérique mais comme des parasites prenant la place des Français dans tous les fonctions d’influence.
Que penser alors aujourd’hui de ce « grand remplacement », quantitatif ou qualitatif : est-ce un fantasme ou une réalité ?
D’abord, il correspond à une indéniable réalité biologique : chaque génération est remplacée par la suivante. Et, d’une certaine façon, la peur du grand remplacement renvoie tout simplement à la peur de la mort.
Ensuite, il coïncide avec une réalité historique avérée : des peuples ont sans cesse été remplacés par d’autres ; chaque pays d’Europe porte le nom d’un envahisseur ; l’Allemagne est même désignée sous le nom de trois d’entre eux (Alamans, Deutch et Germains) ; et la France d’aujourd’hui porte le nom d’un occupant, qui prit la place d’autres habitants (les Gaulois, qui eux-mêmes, etc..), en remontant jusqu’à la rencontre, sans doute en partie conflictuelle, entre les Homo sapiens et les Néanderthaliens.
Enfin, le grand remplacement correspond aussi à un fait avéré de l’Histoire des religions : dans bien des régions du monde, les religions polythéistes ont été éliminées et remplacées par un des deux monothéismes prosélytes : par le christianisme en Europe et en Amérique ; par l’Islam en Afrique et en Asie.
Ces mouvements continuent ; et on en a aussi la traduction dans l’évolution des langues, sans cesse nourries de mots venus d’ailleurs. Ainsi, bien des mots français viennent de plus d’une centaine d’autres langues ; ou y reviennent après avoir fait un détour par d’autres langues (tel « email », dont l’origine première est française, « la malle poste »).
La menace nouvelle aujourd’hui ne vient donc pas de la poursuite de l’arrivée de gens venus d’ailleurs : quoi qu’on veuille, ils viendront de plus en plus nombreux, d’Afrique et d’Asie, attirés en Europe par la sécurité qui leur manque tant. Et ils apporteront, comme l’ont fait les autres étrangers avant eux depuis des siècles, leur travail, leurs compétences, leurs volontés, leurs énergies, leur créativité, leur cuisine, leur musique, leur vocabulaire, leur culture.
La menace vient de ce que, après huit siècles de batailles en Europe pour obtenir l’indépendance de la pensée à l’égard du religieux, (bataille non encore gagnée dans beaucoup de pays), l’obscurantisme religieux tente de nouveau de vaincre les Lumières. Et nul ne pourra plus se réjouir du renversement de la dictature d’un obscurantisme chrétien, si c’est pour se voir imposer celle d’un nouvel obscurantisme, musulman ou autre.
Il ne s’agit pas ici d’une menace de pays musulmans : les grands pays de l’Islam, du Maroc à l’Arabie Saoudite, avancent à marche forcée vers une modernité qui n’est en rien contraire à leur foi. Ni d’une menace des migrants de fraiche date : s’ils viennent en Europe, c’est justement, pour l’essentiel, parce qu’ils fuient l’obscurantisme et la dictature chez eux.
La menace vient surtout de quelques descendants de ces migrants qui cherchent des réponses que la modernité occidentale ne leur fournit plus, et qui veulent recréer en Europe, par la terreur parfois, certains éléments d’un mode de vie que leurs parents ont fui et contraires à nos valeurs, en particulier à l’égard des femmes et de la démocratie.
La défense des Lumières et de la laïcité (et de notre mode de vie, qui en découle) est vitale. Et c’est sur cette base qu’il faut s’ouvrir aux gens venus d’ailleurs ; en étant très attentif à l’intégration durable de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Combattre l’obscurité par la lumière.