Les sondages, en cette année électorale, font beaucoup parler d'eux, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Et je vois beaucoup de kheys qui ont des réactions épidermiques, soit de complètement rejeter les sondages soit d'y croire dur comme fer (souvent quand ça les arrange).
Persoent j'ai une expérience en politique et en lobbying et j'ai eu affaire aux sondages et aux sondeurs, donc je peux témoigner un peu pour une petite mise au point. Bien sûr je n'ai pas la voix divine, donc on peut discuter de tout.
1. Les sondages ne sont pas prédictifs
C'est une erreur classique. On accuse les sondages de se tromper, mais en réalité, un sondage n'est jamais prédictif. Il est une photographie à un instant T de l'opinion. Ainsi un sondage peut donner des tendances sur le long terme mais pas prédire l'avenir.
Ainsi, en 2016, les sondages donnent Alain Juppé gagnant d'une élection présidentielle. Mais en fait, il faut se mettre dans le contexte : à part les gens très politisés, 1 an avant l'élection personne ne se penche sérieusement sur la question et donne souvent des réponses par défaut. D'où ces éphémères héros sondagiers. Autre exemple : début 2017, Benoît Hamon gagne la primaire de gauche, il a donc un boost de visibilité et donc arrive à égalité avec Mélenchon dans les sondages. Mais sa campagne catastrophique fait qu'il arrive à 6% à la fin. Mais les sondages de début 2017 ne s'étaient pas trompés : l'électorat de gauche a bougé, en revanche.
Il faut enfin ajouter qu'en France il est interdit de publier un sondage après le vendredi minuit précédant l'élection. Or c'est justement ces ultimes sondages (qui ne sont pas publiés du coup) qui montrent les dernières tendances. (Par exemple en 2002 au premier tour les derniers sondages non publics montraient à l'équipe de Jospin que Le Pen se rapprochait énormément).
Ainsi pour les sondages, il faut regarder les vagues successives chez un même institut pour voir les tendances.
2. Les sondeurs français sont mauvais
Désolé, c'est faux. Les sondages en France sont généralement de très bonne qualité, qui surprend parfois les observateurs étrangers. Pour voir des sondages de mauvaise qualité, il faut regarder aux US ou au Royaume-Uni, où tu as des sondeurs qui sont complètement HS (au Royaume-Uni les méthodes des sondeurs par exemple rendent leurs sondages très volatils par rapport à l'opinion publique).
3. Les sondages se font sur des échantillons trop petits pour être représentatifs
Cela a déjà été suffisamment expliqué, mais les sondeurs ne font pas complètement n'importe quoi par rapport à l'échantillon. Statistiquement, le mieux est de prendre des gens au hasard : avec suffisamment de personnes, même prises complètement au hasard, on devrait avoir une représentation fidèle de la population. Seulement, c'est long, difficile, coûteux et surtout, la sélection au hasard complète n'existe pas. Aussi les sondeurs se sont rendus compte qu'avec un échantillon plus petit (de l'ordre du millier, grosso modo), réparti selon les CSP, le sexe, la représentation géographique, etc. puis choisis au hasard dans ces catégories, on arrivait à des résultats similaires. C'est ce qu'on appelle la méthode des quotas et c'est ce qui fonctionne.
En revanche le corollaire c'est que, pour certaines questions, l'échantillon devient riquiqui. Ces questions peuvent être prises avec énormément de pincettes.
Exemple :
"54% des français refusent de pratiquer la candaulerie. Néanmoins, 76% des sympathisants LFI seraient prêts à l'expérimenter. Sondage réalisé sur un échantillon représentatif de 1000 personnes, selon la méthode des quotas".
Là, autant les 54% on peut se dire que c'est fiable, mais les 76%, méfiance : car c'est en fait 76% des gens interrogés qui se sont reconnus comme sympathisants LFI. Là les quotas sont très difficiles à respecter.
4. Les sondeurs sont corrompus
Alors le monde n'est pas angélique bien sûr, mais cela méconnaît en fait les protagonistes de l'industrie sondagière.
- Que vend le sondeur ? Le sondeur ne vend pas des résultats, mais 1) son échantillon (les instituts de sondage entretiennent et constituent sans arrêts des fichiers d'échantillons) 2) ses sondeurs (ceux qui vont poser les questions) et 3) son traitement et son analyse statistique.
- Qui fait les questions ? Cela va vous surprendre mais ce n'est pas le sondeur mais le client qui amène ses questions. Tout au plus le sondeur va proposer de modifier les questions si elles sont trop mal posées.
- Qui sont et que veulent les clients ?
Les médias, qui veulent avant tout générer du buzz, de l'attention, du clic, de la reprise
Les clients institutionnels (entreprises, institutions publiques) : ces sondages ne sont pas toujours destinés à être publiés, mais quand ils le sont, c'est qu'ils servent la communication de l'institution.
Les sondages privés (pas destinés à être publiés. Les partis politiques commandent beaucoup de sondages qui ne sont jamais publiés).
Dans tout cela, le sondeur est celui qui a le moins d'intérêt à faire n'importe quoi. BFMTV soutient peut-être Macron, mais soutient encore plus de pouvoir passer 2 heures sur un sondage donnant Le Pen à 20% car ça va générer de l'audimat.
5. Un sondage est toujours un outil de communication
Le sondeur a beau être le plus intègre du monde, il n'empêche : un sondage est toujours utilisé à des fins de communication. Je vais prendre un exemple non-politique.
Groupama commande un sondage sur le rapport des français à la retraite : sondage épais, plein de chiffres, complexe, etc. Mais ils ne vont garder que les chiffres qui les arrangent, comme le montre ce communiqué : https://www.groupama.com/app/uploads/2021/09/CP-Groupama_sondage-retraite-Odoxa.pdf
Surtout ce passage :
Les entreprises ont également un rôle à jouer en matière d’information sur la retraite : 83% des Français en sont convaincus ! Et si 35% des salariés affirment disposer, au sein de leur société, de produits d’épargne retraite (PER Collectif, PER Obligatoire...), seule la moitié y a recours, car ils ne se les sont pas suffisamment appropriés. Les Français sont persuadés que si une entreprise propose de tels dispositifs, cela a un impact positif pour l’intérêt général (75% le pensent) et pour l’entreprise elle-même, en valorisant sa marque employeur. Cela prouve à ses salariés « que leur avenir est important pour elle » (74% le pensent). Et, conséquence de taille, cela permet de fidéliser les salariés actuels (69%) et d’en attirer plus facilement de nouveaux (62%).
Sans doute aucun lien avec le fait que Groupama souhaite vendre des produits assurantiels aux entreprises
Pourtant le sondage n'est pas pipeauté. Mais Groupama va en faire un usage à fin de communication.
6. La qualité du sondage dépend toujours de la question posée
Je me souviens d'une réunion où un client avait demandé au sondeur de faire des questions sur un projet commercial, les questions c'était : "A. Avez-vous déjà entendu parler du projet commercial ? B. Pensez-vous que le projet commercial sera positif pour votre quartier ?". Le sondeur a délicatement répondu que si les gens répondaient "Non" à la première question, la seconde serait inutile...
Bref, regardez toujours les questions posées et dites-vous comment quelqu'un y répondrait.
Je prends un autre exemple : vous vous souvenez qu'Obama voulait faire passer une réforme du système de santé public aux Etats-Unis. Les sondages montraient qu'une majorité d'Américains était opposée à l'Obamacare. En revanche, une majorité était favorable à l'Affordable Care Act ("Loi pour les soins accessibles"). Seulement, l'Obamacare et l'Affordable Care Act, c'est la même chose... Ne jamais oublier ces petits détails.
Autre problème : les questions synthétisent en réponses simples des sujets parfois complexes. Il faut donc s'en méfier.
Certains utilisent les questions qui se décomposent, du type "Oui, beaucoup / Oui, plutôt / Non, plutôt pas / Non, pas du tout" mais il faut s'en méfier.
Prenons Jocelyne, ici présente :
Jocelyne, plutôt de droite libérale mais avec une conscience écolo, mais pro-nucléaire sans exclure les renouvelables, est interrogée par un sondeur.
"Pensez-vous que les renouvelables sont une alternative aux énergies polluantes ?"
1) Oui, totalement
2) Oui, plutôt
3) Non, plutôt pas
4) Non, pas du tout
Jocelyne, comme on a dit, est pro-nuke mais anti-énergies fossiles, donc elle répond "Oui, plutôt". Mais Jocelyne est quand même pour le nucléaire.
Ensuite nous avons Géraldine, ici
Géraldine est une hippie anti-nucléaire et anti-fossile. Elle est aussi interrogée pour le sondage. Elle répond "Oui, totalement".
BrazzersTV, qui a payé pour le sondage, amalgame les "Oui" et publie : "67% des Français sont pour les énergies renouvelables !". Jocelyne et Géraldine sont mises dans la même catégorie alors qu'elles ne sont fondamentalement pas d'accord.
Ce sont les questions posées qui déterminent si un sondage est mauvais ou pas. Essayez de bien lire quand vous le pouvez les questions et de réfléchir à leur qualité.
7. Un sondage doit toujours être placé dans un contexte
Je reprends mon exemple de Juppé. Pourquoi, en 2016, les sondages expliquaient qu'il était en tête des intentions de vote ? C'est parce qu'il était effectivement en tête des intentions de vote. Mais le français moyen, 1 an avant la présidentielle, il n'a pas réfléchi à son vote, il n'a pas vu tous les candidats, il n'a pas vu la campagne. Il se porte donc souvent sur le candidat par défaut.
Autre exemple ici : https://en.wikipedia.org/wiki/Opinion_polling_for_the_2014_Scottish_independence_referendum#2014
Ce sont les sondages pour le référendum d'indépendance de l'Ecosse en 2014. On note que les sondages commencent assez massivement en faveur du "Non", puis ça se resserre, jusqu'à avoir des sondages pro-Indépendance. Finalement le Non l'emporte largement avec 55% des voix, ce qui ne s'était pas reflété dans les sondages précédents. Or :
Par défaut, devant un choix si grand, les interrogés ont pu se dire spontanément qu'ils étaient contre
La campagne avançant, le "Non" fait une campagne assez mauvaise, contrairement à la campagne dynamique du "Oui". En outre, l'impopularité croissante de David Cameron joue. Le "Oui" resserre l'écart.
...Mais le "Non" l'emporte le jour du vote. Car, même si on a pu répondre "Oui" à un sondage, dans le secret de l'isoloir, seul face à sa conscience, l'électeur va finalement se dire "Non mais quand même...ce serait trop fou...allez je vote "Non". C'est ce qui s'est passé.
Voilà, j'espère que cela vous a intéressé et donné des outils pour mieux naviguer dans les sondages.
Puisque je sais que beaucoup crient au fake quoi qu'il arrive et en toute circonstance
Je save pour lire plus tard mais je sens qu'on peut déjà résumer en : les sondages sont pas des prédictions de résultats mais plutôt des outils pour façonner un vote utile
Le 07 février 2022 à 17:14:20 :
Je save pour lire plus tard mais je sens qu'on peut déjà résumer en : les sondages sont pas des prédictions de résultats mais plutôt des outils pour façonner un vote utile
Y'a un peu de ça, c'est surtout une nuance entre "c'est truqué" et "le sondage dit ça donc c'est la vérité tu peux rien dire"
Le 07 février 2022 à 17:15:51 :
Up amplement mérité
Merci mon khey
Normalement les culs suffisent à faire uper les gens
Le 07 février 2022 à 17:17:58 :
Palu mais je up par respect
Merci, enfin je crois
J'espère que ce que tu dis est vrai l'OP n'empêche que sur les élections présidentielles (donc exit les Juppé etc) les sondages se trompent presque pas (marge d'erreur à 2-3% max) et ce plusieurs mois à l'avance
Hyper intéréssant
à sortir aux Zemourettes qui expliquent à qui veut l'entendre que les sondages sont faux parce qu'ils ne connaissent personne qui votent Macron ou Pecresse
Le 07 février 2022 à 17:20:29 :
J'espère que ce que tu dis est vrai l'OP n'empêche que sur les élections présidentielles (donc exit les Juppé etc) les sondages se trompent presque pas (marge d'erreur à 2-3% max) et ce plusieurs mois à l'avance
Plus tu approches de l'élection, plus les gens font leurs choix et ne changent plus, plus ton sondage aura de chance d'être fiable par rapport à ce qu'il se passera oui
Le 07 février 2022 à 17:22:19 :
Le 07 février 2022 à 17:20:29 :
J'espère que ce que tu dis est vrai l'OP n'empêche que sur les élections présidentielles (donc exit les Juppé etc) les sondages se trompent presque pas (marge d'erreur à 2-3% max) et ce plusieurs mois à l'avancePlus tu approches de l'élection, plus les gens font leurs choix et ne changent plus, plus ton sondage aura de chance d'être fiable par rapport à ce qu'il se passera oui
Pour l'élection de 2022, on peut aussi parler de l'honnêteté des sondés.
Je suis sûr que beaucoup n'assument pas de voter Zemmour.
Le 07 février 2022 à 17:24:06 :
Le 07 février 2022 à 17:22:19 :
Le 07 février 2022 à 17:20:29 :
J'espère que ce que tu dis est vrai l'OP n'empêche que sur les élections présidentielles (donc exit les Juppé etc) les sondages se trompent presque pas (marge d'erreur à 2-3% max) et ce plusieurs mois à l'avancePlus tu approches de l'élection, plus les gens font leurs choix et ne changent plus, plus ton sondage aura de chance d'être fiable par rapport à ce qu'il se passera oui
Pour l'élection de 2022, on peut aussi parler de l'honnêteté des sondés.
Je suis sûr que beaucoup n'assument pas de voter Zemmour.
C'est un risque.
Mais bon, même si quelqu'un n'assument pas ça ne le ferait pas monter de 5% d'un coup. Ce serait sûrement pas grand chose par rapport à la masse d'électeur. Disons que ça peut être un risque à noter si tu es au second tour à 51/49
Pas révolutionnaire mais intéressant, topic de qualité
A droite comme à gauche je serais curieux de voir leurs sondages non publiés pour savoir qui sue du cul par rapport à qui?