Ghybok
2022-01-22 12:03:15
Grâce à des documents internes de la campagne d’Éric Zemmour, Mediapart a pu identifier 35 de ses grands donateurs. Parmi eux, Chantal Bolloré, la sœur du milliardaire Vincent Bolloré, qui siège au conseil d’administration du groupe.
Un meeting à plus de 500 000 euros au parc des expositions de Villepinte, des déplacements aux quatre coins de la France, un QG de campagne dans le huppé VIIIe arrondissement de Paris, à deux pas des Champs-Élysées. Comment Éric Zemmour finance-t-il sa campagne avec un parti créé seulement le mois dernier ?
Ces documents offrent un aperçu inédit des coulisses de la campagne d’Éric Zemmour et éclairent la sociologie de ses premiers cercles. Savoir qui soutient et finance ce nouveau candidat et son parti tout neuf relève de l’intérêt démocratique et général.
Les grands donateurs que nous avons identifiés sont cadres dans des banques, fonds d’investissement, hedge funds. Certains sont des Français expatriés à l’étranger (Royaume-Uni, Suisse, Hong Kong, Maroc). On trouve pêle-mêle un investisseur dans le secteur des technologies qui a auparavant travaillé une dizaine d’années au sein du groupe Bolloré ; le directeur d’une entreprise américaine de services financiers, qui faisait partie de l'équipe dirigeante de la section LR (Les Républicains) au Royaume-Uni ; le directeur exécutif d’une banque d’investissement internationale ; le patron d’une entreprise parisienne spécialisée dans l’optimisation de la visibilité en ligne de points de vente ; un responsable de la conformité d’une banque d’investissement à Genève ; le PDG d’une des premières sociétés d’intermédiation financière ; un consultant finance expatrié et membre de la Fondation Napoléon à Paris.
Parmi les gros contributeurs également, de nombreux cadres évoluant dans des cabinets de conseil, des groupes industriels ou dans le secteur immobilier. Ont ainsi mis la main à la poche un manager « senior » au sein du géant pharmaceutique américain Johnson & Johnson, un responsable marketing et développement commercial dans le secteur des télécommunications, un entrepreneur dans le domaine des télécoms et dirigeant d’une société de conseil, plusieurs promoteurs immobiliers. Figure enfin un certain nombre d’avocats d’affaires ou fiscalistes, en poste dans de grands cabinets français ou internationaux.
Selon nos informations, entre mai et novembre 2021, une série de dîners de levées de fonds ont été organisés, à Paris mais aussi à l’étranger (Londres, Genève). Jérémie Jeausserand, avocat fiscaliste parisien, a été à l’initiative de trois de ces soirées mondaines.
Le 9 novembre, autre levée de fonds : deux invités figurant sur la liste « VIP » de Villepinte, Valérie et Olivier de Panafieu, ont convié à leur domicile parisien trente personnes, autour d’Éric Zemmour. Selon nos informations, parmi les convives, le célèbre couple d’écrivains voyageurs Alexandre et Sonia Poussin.
À ce même dîner étaient invités des cadres dirigeants de Vinci et Chanel, deux associés d’un grand cabinet d’avocats d’affaires parisien, ou encore l’ex-chanteur du groupe culte des années 1980 Partenaire Particulier, Pierre Beraud-Sudreau. Reconverti en consultant immobilier, celui-ci figure parmi les donateurs, selon nos éléments.
Cadre d’un groupe industriel dans le secteur des équipements médicaux, ancien de HEC et résidant à Neuilly, Gilles de Beauvais était présent à ce dîner. C’est « par amis interposés » que sa femme et lui ont été mis en contact avec des membres de l’équipe Zemmour, explique-t-il à Mediapart. « Autour d’un verre », il a pu échanger « de façon rapide, à bâtons rompus, avec Éric Zemmour », puis a fait avec son épouse un « don familial » qui les place parmi les gros donateurs. Il raconte avoir été séduit par « la façon dont Éric Zemmour parle de la France et de l’avenir », « sa constance, sa liberté de ton, sa franchise ».
Parmi les contributeurs financiers, certains sont historiquement proches des milieux d’extrême droite. Comme Xavier Caïtucoli, ex-PDG de Direct Énergie, qui a octroyé un prêt. Ce polytechnicien, ancien cadre local et candidat du MNR de Bruno Mégret en région PACA, apparaît dans deux structures héritières du Grece (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne), un courant intellectuel d’extrême droite : la fondation Polémia (dont il fut en 2002 l’un des cofondateurs aux côtés de Jean-Yves Le Gallou) et l’Institut Iliade, où il a été invité à un colloque en 2021.
Didier Wisselmann, directeur « audit, risque, éthique et compliance » chez Renault et membre du comité de direction corporate du groupe était présent également. Il connaît l’ex-journaliste du Figaro depuis plus de dix ans, s’est rendu au meeting de Villepinte et a fait un don important.
Avant de soutenir politiquement et financièrement Zemmour, Daniel Papeix était lui aussi un sympathisant de l’UMP puis LR, mais également l’un de ses donateurs, indique-t-il à Mediapart. Il y a deux ans, il a quitté le parti, qu’il juge girouette.
« Déçu » lui aussi « par Chirac et Sarko », Guy Martinolle a contribué dès le mois de septembre. Cet ancien gérant d’un hedge fund, âgé de 70 ans et expatrié depuis 2005 en Suisse puis au Maroc, raconte être un habitué des grandes donations (« aux Orphelins de la police, à la Maison de la gendarmerie, aux pompiers »).
Il a envoyé « un chèque de 50 000 euros aux Amis d’Éric Zemmour » pour qu’il « puisse porter son message ». Il estime que l’ancien éditorialiste « ne sera certainement pas élu, et probablement pas au deuxième tour », mais que « les sujets qu’il met sur la table méritent de l’être ».
Le candidat ne lui est pas inconnu, il l’a rencontré au Brésil il y a quelques années, « par un ami commun » et ils étaient allés « voir un match de football ensemble ». Il dit avoir été « bluffé par sa connaissance de l’histoire ».
Néanmoins le soutien à Éric Zemmour reste difficile à assumer, de nombreux donateurs contactés nous ont demandé de ne pas faire figurer leur nom dans l’article. L’un d’eux a par exemple requis l’anonymat pour nous expliquer longuement les raisons de son engagement, expliquant ne pas souhaiter « s’engager publiquement », notamment par rapport à son employeur. Certains racontent que l’affichage de leur soutien au candidat d’extrême droite a été mal perçu par leur entourage. « Beaucoup de mes copains sont dans le CAC 40, sont blindés et votent Macron, relate ainsi Guy Martinolle. Quand je dis que j’ai aidé au départ la campagne d’Éric Zemmour, j’aurais signé avec Goebbels ou A.H, c’était la même chose… Mais ils ne prennent pas le temps d’aller dans le fond des dossiers », estime-t-il.
https://www.mediapart.fr/journal/france/200122/revelations-sur-les-grands-donateurs-de-la-campagne-d-eric-zemmour