D'embrassades en tapes dans le dos, Jean Messiha, costume trois pièces, cravate rose fushia et pochette de soie assortie, savoure sa place au premier rang du meeting d'Eric Zemmour, à Villepinte, le 5 décembre. L'ancien visage des Horaces, cercle d'experts qui conseillent Marine Le Pen, a quitté fin 2020 le Rassemblement national (RN) au prétexte d'une ligne trop molle sur l'islam, pour se consacrer à sa « vocation » de polémiste sur les plateaux télé de Pascal Praud et Cyril Hanouna.
Né Hossam Botros Messiha en Egypte, naturalisé à 20 ans, Jean Messiha promeut le mythe d'un « peuple historique de Français de souche » . Qualifié de « soutien indéniable de la campagne » par Antoine Diers, l'un des responsables de Reconquête, il apparaît dans une vidéo réalisée par l'équipe du candidat, énumérant les mesures à « prendre en 2022 une fois qu'Eric Zemmour sera élu » , et se prévaut de recruter, via l'Institut Apollon, association confidentielle qu'il a créée, « des centaines » de candidats prêts à former une majorité parlementaire nationaliste. Indéniable, son soutien pourrait toutefois devenir embarrassant.
Selon les informations du Monde , son départ du RN n'était pas dû qu'à un désaccord de ligne, mais à des pratiques douteuses épinglées par la direction du parti. Jean Messiha était, selon plusieurs sources en interne, coutumier du plagiat. Au point qu'il s'embourbe publiquement, en juin, lorsqu'il reproduit mot à mot une tribune publiée par Les Echos dans un texte signé de son nom sur le site du magazine Causeur . Mis en cause, il tweete des excuses et invoque l'oubli de mettre la « citation entre guillemets » . Sauf que le texte copié s'étend sur près de quarante lignes… « C'est une appropriation intellectuelle complète, souligne l'auteur, Loup Viallet, essayiste spécialiste de l'Afrique, qui a déposé plainte au pénal pour contrefaçon. Un vol de moto ou d'ordinateur est moins grave pour un auteur que le fruit de son travail. Quand on se revendique patriote, on ne pille pas ses compatriotes et on respecte la loi. Cela se réglera entre lui et la justice. »
Reprises de ressources déjà en ligne
Cette reprise n'était pas une première. Selon les informations du Monde , qui a pu consulter l'ensemble des contributions de Jean Messiha remises à la commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP), Jordan Bardella en a lui-même fait les frais lorsqu'il était tête de liste aux élections européennes. « Courant 2019, on s'est aperçu qu'une partie de ses travaux relevait de copiés-collés, confirme l'actuel président du RN. Nous avons alors décidé de prendre nos distances avec lui. » Entre le 9 janvier et le 25 mai 2019, Jean Messiha a facturé à la campagne treize notes et argumentaires, un coaching de Jordan Bardella et un déplacement à Metz pour un total de 16 200 euros. Or, sur les treize notes, neuf sont copiées, pour la plupart intégralement, de ressources déjà en ligne.
Les éléments de langage destinés à commenter les annonces de Gérald Darmanin, alors ministre du budget ? Reproduits mots pour mots d'un article de la blogueuse libérale Nathalie Meyer. « J'ignore tout de cette affaire. Des gens qui reprennent, ou qui s'inspirent [d'accord] … mais le copié collé avec un objectif mercantile ! » , s'étonne l'intéressée. Quid de cette « annexe » sur les « gagnants et les perdants de la politique d'Emmanuel Macron » ? Intégralement issue d'un article de BFM-TV. Et ce « tableau de bord sur le poids des TPE-PME dans l'économie » ? Copié-collé d'un décryptage de Randstad, groupe spécialisé dans l'intérim, avec des données datant de 2016… Jean Messiha se contente de changer la date pour 2018. Cette page sur la suppression de la TVA ? Largement copiée du site Connaissance des Énergies, filiale d'un groupe industriel.
Quant au « rapport sur Francis Lalanne et Jean-Marc Governatori » , respectivement tête de la liste estampillée « gilets jaunes » aux européennes et son principal mécène, il est en partie repris de Wikipédia. Jean Messiha n'hésite pas non plus à facturer des travaux déjà publiés sous sa plume. Deux notes distinctes sur l'Europe, sont des reprises raccourcies d'une seule et même note parue sur son blog en octobre 2018.
Flou dans les factures
Mais ce sont deux autres écrits qui ont fait tiquer la commission nationale des comptes de campagne. Intitulées « La 5G, percée chinoise et trahison nationale » et « Macron : de la trajectoire d'une illusion à la dissipation d'un mirage » , elles ont été publiées sur le site du parti et signées avec son titre de délégué national aux études et argumentaires. « Vous voudrez bien (…) justifier en quoi ces livrables différeraient des travaux effectués à titre habituel par M. Messiha dans le cadre de ses fonctions au sein du RN » , écrivent à Jordan Bardella les rapporteurs de la CNCCFP, qui craignent un mélange des genres. Il s'agissait d'une activité « relative au fonctionnement habituel du parti » qui « n'avait pas à être retracée dans le compte de campagne » , leur répond Jordan Bardella en octobre 2019.
D'autres éléments ont achevé de convaincre la CNCCFP d'exclure toutes les prestations de M. Messiha du remboursement octroyé par l'Etat aux candidats. Tout d'abord, le flou entretenu dans ses factures permet difficilement de savoir ce qui a été produit et en combien de temps. Plus grave encore : l'entreprise individuelle avec laquelle M. Messiha a facturé son travail a été fermée en septembre 2016 – soit plus de deux ans avant la campagne. Or, en l'absence de structure dédiée, impossible de déclarer les plus de 16 000 euros à l'Urssaf ou aux services des impôts.
Les dirigeants du Rassemblement national savaient-ils qu'ils achetaient des notes factices, plagiées ou dédiées au parti ? Jordan Bardella dit ne s'être aperçu de rien. Pas plus que le mandataire financier. « Je ne signais pas une facture si je ne voyais pas le travail qu'il y avait avec. Un responsable de la campagne les approuvait, donc c'était bon » , élude Jean-Michel Dubois, alors que des intitulés de notes ne correspondent pas aux factures transmises à la CNCCFP, et que deux études payées n'ont pas été retrouvées. La découverte des plagiats n'empêche cependant pas Jordan Bardella de contester la décision de la CNCCFP dans l'espoir d'obtenir un remboursement.
Au RN, cette affaire a délié les langues. « Il avait emprunté beaucoup d'argent aux uns et aux autres, déplore André Rougé, eurodéputé et patron des Horaces d'ordinaire discret. Ce garçon a un problème avec l'argent. Il n'a pas de code d'honneur. » Selon lui, Jean Messiha avait emprunté 3 000 euros à un fonctionnaire du Quai d'Orsay à la retraite, qui l'a relancé en vain, et 10 000 euros à un autre membre, qui n'a pas non plus obtenu de remboursement après le départ de l'intéressé. Motif de ces emprunts ? « Il avait toujours une raison personnelle, soupire André Rougé. Mais on le voit toujours tiré à quatre épingles, avec le costume du dernier chic. » Contacté, Jean Messiha n'a pas répondu à nos sollicitations.