Aoi_yume
2021-12-25 19:08:44
Vous avez déjà éprouvé devant une œuvre en particulier - qu'elle soit artistique, littéraire ou philosophique -ce qu'on appelle le syndrome de Stendhal ou quelque chose de similaire ?
Selon Wikipédia : "Le syndrome de Stendhal, également appelé « syndrome de Florence », est un ensemble de troubles psychosomatiques (accélération du rythme cardiaque, vertiges, suffocations, voire hallucinations) survenant chez certains voyageurs exposés à une œuvre d'art qui prend une signification particulière pour eux, ou à une profusion de chefs d'œuvre en un même lieu dans un même temps."
"C'est ce que Stendhal relate lors de son voyage en Italie « J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »
— Rome, Naples et Florence, éditions Delaunay, Paris - 1826, tome II, p. 102"
Perso je n'ai jamais expérimenté la chose stricto sensu, mais j'ai déjà eu des expériences qui s'en rapprochent fortement qui se sont produits au contact d'œuvres divers tels que Evangelion, Vertigo ou l'Ethique de Spinoza qui m'ont littéralement mis en pls. A ceci près que ces expériences ne se sont pas déroulées durant un voyage.
- Tout s'abord Evangelion, l'anime de Hideaki Anno. L'univers de cet anime ainsi que les thèmes qu'il traite m'avait bouleversé quand j'étais plus jeune. Outre les éléments esthétiques et narratifs (ambiance déroutante et unique, ost grandiose, chara-design assez soigné pour l'époque, opening définitivement culte, personnages superbement travaillés (Rei Ayanami est en même temps mon double et ma waifu), mise en scène étrange et complétement déroutante, emploie du montage accéléré lors des flash-back ou lors du traitement du côté psychologique des personnages qui m'avait vachement touché, scénario fouillé, histoire prenante etc. ) se sont les thèmes et les idées philosophiques sous-jacentes qui m'ont énormément marqués (la construction de l'identité, la question de l'intersubjectivité, le dilemme du hérisson, la difficulté d'être avec les autres, le mal de vivre, la béance, la dépression et le suicide, l'anxiété et la mélancolie, la solitude et le deuil, la souffrance et la déréliction, la centralité du sexe, l'inquiétante étrangeté du réel, le refus des arrière-mondes, des illusions et des mystifications etc.). Des thèmes donc explicitement freudiens et plus souterrainement nietzschéens et schopenhaueriens.
- Ensuite, il y a eu l'Ethique de Spinoza. Le passage final du livre 1 (l'appendice) dans lequel Spinoza rompt complétement avec les conceptions des philosophes qui le précèdent en élaborant une critique géniale de ce qu'il appelle les "préjugés" finalistes et anthropocentristes donnant lieu à une conception antifinaliste (il n'y a ni destin, ni providence, ni de sens à l'histoire, à la nature, à l'univers) et conférent aux 'humains "qui croient que toutes choses ont été faites en vue d'eux-mêmes" une place toute relative au sein de la nature. "l'homme n'est pas un empire dans un empire", il fait partie du tout dont il ne fait que suivre les lois. Sans parler des préjugés relatifs au bien et au mal, au mérite et au péché, à la louange et au blâme, à l'ordre et à la confusion, à la beauté et à la laideur et à celle du libre-arbitre qu'il esquisse dans cet appendice et qu'il traite plus abondamment dans le reste du livre.
Aristote et tous ses épigones étaient en quelques paragraphes mis ko.
Et au-delà de ce passage - qui représente en quelques sortes ce que les musiciens appellent la cadence c'est-à-dire le moment de virtuosité absolue au sein d'une œuvre - le livre de Spinoza est admirable à tout point de vue. C'est un livre profond, radical, original, novateur, fécond, génial, audacieux et extrêmement puissant.
Un livre très conceptuel, écrit "more geometrico", "à la manière des géomètres" qui rappelle par une certaine lumière, par une certaine clairvoyance ce que donne à voir dans sa peinture son exact contemporain et compatriote le peintre Vermeer.
- Troisième et dernier exemple : Vertigo de Hitchcock (Sueurs froides en français). Film considéré par plus de 800 critiques, réalisateurs et spécialistes du cinéma consulté par la revue anglaise Sight and Sound en 2012 comme étant le meilleur film de tous les temps (avec un total de vote de 191). C'est également le film qui a suscité le plus de références et de clins d'œil dans l'histoire du cinéma (dans La Jetée et Sans soleil de Chris Marker, dans Le miroir de Tarkovski, dans La captive de Chantal Ackerman, Le syndrome de Stendhal (!!) de Dario Argento, dans Obsession et Pulsions de Brian de Palma, dans Basic Instinct de Paul Verhoeven dans L'Armée des douze singes de Terry Gilliam, dans Mulholland drive de David Lynch, dans La La Land de Damien Chazelle etc.).
Un film déroutant aussi bien sur le plan esthétique (la musique sublime de Bernard Hermann, les mouvements de caméra innovants notamment le fameux travelling contrarié, le style et la "colorimétrie" propre au film qui lui confère toute sa singularité, les décors impressionnants (la scène du cimetière, celle du "Sequoia sempervirens", ou encore celle du premier baiser), l'ambiance angoissante et glaciale, la mise en scène sublime du début à la fin, les traits esthétiques qui caractérisent proprement le film noir (genre que j'affectionne tout particulièrement) tels que la présence de la femme fatale, le casting xxl avec notamment Kim Novak et James Stewart) que sur le plus narratif (le mystère que doit dissiper le personnage principal Scottie , le suspense et la tension palpitante, une histoire énigmatique et captivante, la fin "insolite"). Sans oublier les thèmes que traite le film : l'amour, la trahison, la manipulation, le meurtre, le vertige, l'identité, l’illusion, l’obsession, la fascination, la folie, la mort etc. qui bien sûr sont admirablement traités par Hitchcock.
Après je pense que vouloir "rendre compte" de ce genre d'expérience relève davantage du forçage plus qu'autre chose, tant une telle expérience est de l'ordre de l'ineffable, de l'indicible ou de l'incommunicable. Mais nonobstant faisant quand même l'effort de traduire et de communiquer cette expérience singulière et déroutante.
Du coup, avez-vous éprouvé de tels symptômes au contact d'une œuvre d'art, d'un traité de philosophie, d'un texte littéraire, voire même d'une théorie scientifique ou d'une femmehttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/51/6/1640454843-1496855859.jpghttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/51/6/1640454847-helene-chatelain-lajetee1.jpghttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/51/6/1640454849-vertigo14-1180x664.jpghttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/51/6/1640454851-vertigo-judy-as-madeleine.jpg(le fameux "Ce fut comme une apparition" de Frédéric à propos de madame Arnoux dans L'Education Sentimentale, le grand livre de Flaubert ou encore "Ce n’est pas une femme, c’est une apparition !" d'Antoine Doinel troublé en voyant pour la première fois Madame Fabienne Tabard dans Baisers volés, le film de François Truffaut) ou autre ?