Ardinharwel10
2021-11-11 02:15:23
Faux
"En fait, ni l'une ni l'autre de ces hypothèses n'a été réalisée. En longue durée, au contraire, les colonies ont accumulé à l'égard de la France des déficits commerciaux dont le montant mesure le volume des crédits que cette dernière a dû consentir pour leur permettre d'équilibrer simplement leurs comptes. De 1900 à 1971, ces crédits s'élèvent à un peu plus de 50 milliards de francs 1914, soit plus de quatre fois le montant des emprunts russes, soit plus de trois fois le montant total des aides américaines à la France de 1945 à 1955 ! Obnubilés par la mystique des investissements et par la comptabilisation des capitaux investis par les entreprises, nous avions fini par oublier que le crédit commercial est la forme privilégiée du financement de l'économie.
A cet égard, l'ampleur des crédits offerts de 1945 à 1962 (32,5 milliards de francs-or) peut aujourd'hui surprendre. Représentant, bon an mal an, près de 10 % des recettes budgétaires de la France, ces crédits mesurent aussi ce qui a fait défaut à la métropole pour reconstruire son économie dévastée par la guerre et mieux loger ses habitants, à une époque où l'abbé Pierre entamait sa campagne en faveur des sans-logis. Mieux encore, en pourcentage du PIB, la France a largement dépassé au cours de la période coloniale le 0,7 % d'aide au développement souhaité par les instances internationales.
Fallait-il avoir confiance dans l'avenir - ou être totalement aveugles - pour engloutir des sommes aussi considérables avec pour seul profit les critiques acerbes de ceux qui dénonçaient et dénoncent toujours le pillage des colonies ! Ainsi, dans les dix années qui précédèrent l'indépendance, l'Algérie avait beau absorber 20 % des exportations françaises et être le premier client de la France, les 3 350 milliards d'anciens francs qu'a représentés le débouché algérien de 1952 à 1962 étaient inférieurs aux 3 528 milliards que le budget métropolitain a dû transférer en Algérie au cours de la même période pour assurer la solvabilité de son premier client. Comme l'écrivait le sénateur Pellenc en 1956, " s'il est exact de dire que l'Algérie est le "premier" client de la métropole, on ne saurait dire que c'est le "meilleur" client, car c'est un client très particulier ; pour un tiers, il ne paie ses achats qu'avec des fonds que le vendeur lui donne ". En 1961, l'année qui précède l'indépendance, l'Algérie achetait par exemple 421 milliards de francs de marchandises à la métropole, qui lui en versait 638 pour rétablir le déséquilibre de son budget et de sa balance des paiements !
Pis : à l'opposé de ce qu'affirme une légende tenace, la France n'a aucunement " pillé " les matières premières de ses colonies. Bien au contraire. C'est le constat surprenant que permet de dresser le calcul des termes de l'échange entre la France et ses colonies. Dans le cas de l'Algérie toujours, après s'être améliorés pendant la crise des années 30, les termes de l'échange de marchandises de l'Algérie passent de l'indice 100 en 1949 à l'indice 124 en 1960. Preuve de la détérioration des termes de l'échange pour la France : de 1948 à 1954, si les tonnages importés en Algérie depuis la France s'accroissent de 135 %, les exportations de l'Algérie à destination de la métropole ne progressent que de 32,5 %. En fait, dans de nombreux cas, la France achetait les matières premières coloniales au-dessus des prix mondiaux. Certes, ces surprix, qui s'élevaient à 25 % pour le vin algérien, avaient pour utilité de permettre aux industries traditionnelles (comme l'industrie cotonnière ou celle des savons ou des bougies de Marseille) d'écouler aisément des produits médiocres sur des marchés protégés. Mais ces facilités contribuaient par là même à rendre ces secteurs moins aptes à la compétition internationale, et à affaiblir la compétitivité globale de l'économie française.
Autant de constats qui amenaient les esprits les mieux avertis et les comptables les plus secs à souhaiter la rupture précoce des liens qui unissaient la France à ses colonies. Dès les années 30, certains hommes d'affaires se posaient déjà la question. Envoyé en mission en Afrique noire par le ministre des Colonies Paul Reynaud, au mois de décembre 1931, un jeune inspecteur des finances, Edmond Giscard d'Estaing, père de l'ancien président de la République, écrivait à son retour qu'il valait mieux, " pour l'avenir même du pays, ne rien faire plutôt que d'engloutir des fonds destinés à se perdre, s'ils [étaient] versés dans une économie qui n'[était] pas faite pour les utiliser au bon endroit et de façon productive ". C'était reprendre l'argumentation des économistes libéraux qui, un demi-siècle plus tôt, s'étaient opposés aux conquêtes. " Il s'agit de savoir ce que valent ces nouveaux débouchés et ce qu'ils nous coûtent, écrivait en 1898 Gustave de Molinari. Que dirait-on d'un industriel ou d'un négociant qui dépenserait chaque année 100 000 francs de frais de commis voyageurs, de circulaires et de réclames pour placer 100 000 francs de marchandises ? On dirait qu'il n'a pas la tête bien saine et on conseillerait à sa famille de le faire interdire, ou tout au moins de l'obliger à renoncer au commerce. "
https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/les-couteuses-colonies-de-la-france_1414563.amp.html