Lameromodo102
2021-11-08 17:40:08
https://start.lesechos.fr/travailler-mieux/metiers-reconversion/etudiantes-et-prostituees-quitte-a-etre-exploitees-dans-un-petit-boulot-autant-gagner-plus-1257525
Article en entier :« Au début, j'ai commencé pour avoir une plus grande autonomie financière, pouvoir me concentrer sur mes études et améliorer mes conditions de vie. » Deborah (le prénom a été modifié) a obtenu deux masters et est aujourd'hui en doctorat. Dix ans qu'elle est « travailleuse du sexe ». Une alternative aux jobs étudiants classiques, par lesquels elle est d'abord passée : « Avant, j'étais serveuse dans un restaurant, c'était loin de ma fac, j'étais tout le temps super fatiguée. J'aurais pu continuer mais j'ai entendu parler de l'escorting... », confie la jeune femme.
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Emilie est aussi escort girl. Elle, n'a pas réussi à aller jusqu'au diplôme. Après un premier décrochage au lycée, elle réussit pourtant à remonter dans le wagon de la scolarité et arrive en licence 2 de biologie. Mais une fois de plus, elle craque. Elle aussi avait commencé par un job étudiant standard, vendeuse dans un magasin le samedi. Huit heures de travail qui s'ajoutaient aux cinq journées de cours à la fac qui s'étalaient de 9 heures à 17 heures. Elle gagnait 300 euros mensuels mais perdait peu à peu sa vitalité. « Plein d'étudiants ont peut-être beaucoup d'énergie pour tout faire à la fois, moi j'étais épuisée. » Emilie fait sa première passe à 25 ans. « Je voulais absolument continuer mes études… » Finalement, la marche est trop haute. Des problèmes psychologiques se sont enkystés au fil du temps, et l'université refuse d'aménager ses horaires malgré les difficultés. C'est un deuxième échec.
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8 % des étudiants d'une université disent envisager de le faire
Combien comme Déborah et Emilie vivent de la prostitution pendant leurs études ? « Les fameux 40.000 étudiants prostitués avancés dans la presse française il y a une dizaine d'années n'ont jamais été sourcés par une quelconque étude », précise tout de suite Thierry Schaffauser, coordinateur national du Strass, le syndicat du travail du sexe. Si le phénomène est difficilement quantifiable à l'échelle nationale, des sondages ont bien été menés dans quelques universités. En 2011-2012, à Bordeaux III et à Poitiers, entre 2 et 3 % des étudiants interrogés ont dit avoir été « confrontés à une situation de prostitution étudiante ». Un chiffre qui monte à 4% à l'université Paul-Valéry de Montpellier, selon une étude de la même année.
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En 2013, dans les universités Evry-Val-de-Seine et Paris-Sud-XI (Orsay), les questionnaires anonymes ont révélé que sur les 843 jeunes hommes et femmes ayant répondu, 2,7 % affirmaient avoir déjà eu des rapports contre de l'argent ou des biens et près de 8 % indiquent envisager de le faire. « La prostitution étudiante existe bel et bien. Il est possible que ce soit dans des proportions non négligeables en valeur absolue », avait alors déclaré la députée Danielle Bousquet qui présidait la mission parlementaire sur le sujet.
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« Le travail que j'ai préféré pour l'instant »
Une proportion qui interpelle, voire qui choque. Et c'est sans compter celles et ceux qui choisissent internet plutôt que des rapports physiques. Sarah (le prénom a été modifié) fait partie de ces cam girls dont le nombre a explosé ces dernières années avec l'arrivée de plateformes spécialisées . Elle fait des « lives » plusieurs fois par mois pour contenter ses clients de l'autre côté de l'écran.
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Cette étudiante en école de cinéma gagne entre 300 et 1.100 euros mensuellement en tant que travailleuse du sexe. Certains mois sont plus compliqués, faute de temps, qu'elle consacre en priorité à ses études. « Les 'lives' durent jusqu'à trois heures, c'est fatigant mentalement. Les clients parlent souvent beaucoup pour au final ne rien acheter. Malgré tout, parmi tous les petits boulots que j'ai faits, c'est celui que j'ai préféré », explique cette cam girl. « Je prends parfois même du plaisir. Honnêtement, je ne pourrais pas tenir si ce n'était pas le cas. »
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Deborah, prostituée dans le monde physique, peut aussi prendre du plaisir mais tient à rappeler que cela reste un travail subi. « Certes, ce job m'a permis de ne plus être aussi fatiguée. Je pouvais enfin payer mon appart dans un quartier tranquille, mais je tiens à rappeler que ce n'est pas travail comme un autre : il y a des risques psychologiques qu'on ne retrouve pas ailleurs », témoigne-t-elle, tout en soulignant que l'exploitation du corps est présente partout, des ouvriers aux femmes de ménage. « Une solution du moins pire », surenchérit Emilie qui dit avoir la chance de pouvoir monter ses tarifs à 200 euros de l'heure. « Quitte à être exploitée, à faire du ménage au 'black', autant gagner plus. Ou autant en faisant moins d'heures. »
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La précarité, facteur numéro un de la prostitution
Avec quatre clients par mois, Déborah touche l'équivalent d'un SMIC. Si la prostitution peut donc rapporter pas mal d'argent, elle n'est qu'une bouée de secours saisie à un moment où tout s'effondre. « C'était juste pour payer mon appart, et voyager de temps en temps entre amis, rien de luxueux, raconte Deborah, la doctorante. Surtout, j'ai pu choisir les études que je souhaitais sans considération financière. » Sarah confie qu'après une régulation EDF plus élevée que les autres, elle s'est retrouvée à sec en début de mois. Sans ces revenus, elle n'aurait pas pu manger. « Grâce aux passes, j'ai pu partir en vacances, m'acheter des trucs à manger qui me font plaisir, boire des verres. » En somme, une vie d'étudiante.
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Pour Thierry Schaffauser du Strass, il ne fait aucun doute que la précarité étudiante est le facteur numéro un de l'exercice du travail sexuel. « Ce n'est pas la 'méconnaissance sur la réalité des conduites prostitutionnelles' qui font tomber des jeunes, comme cela est pensé dans la loi de 2016 qui prévoit des formations, campagnes de sensibilisation et de prévention auprès des étudiants et publics jeunes pour mieux comprendre les risques prostitutionnels auxquels ils s'exposent », explique ce responsable associatif.
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Je n'étais pas prête à engager une procédure contre mes parents, je voulais juste une aide sociale
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Emilie Travailleuse du sexe et ancienne étudiante
Qu'est-ce qui fait que certaines se décident à franchir le pas ? Des APL, des bourses sur critères sociaux existent pour remédier aux besoins de la vie des étudiants. Pourtant, ça ne suffit pas. « Il m'a manqué des parents qui puissent m'aider financièrement », appuie Sarah. Et pour cause. Son père est décédé, sa mère a des revenus très modestes et doit aider aussi sa soeur. « Avec le temps, j'en ai eu marre d'être en situation de précarité, j'avais envie de pouvoir me faire plaisir : vivre et manger. »
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Le RSA pour les moins de 25 ans en débat
Dispute familiale, désaccord sur le choix des études ou simplement incompatibilité d'humeur, des parents aux revenus confortables refusent aussi d'aider leurs enfants. Or, les bourses restent calculées sur leurs revenus, laissant de côté une partie des étudiants. « C'était mon cas. Et si j'avais eu une bourse du Crous à l'échelon maximum, je pense que j'aurais pu finir mes études », explique Emilie dont les parents gagnent 2.500 euros chacun par mois mais sont en rupture avec leur fille. Emilie a bien tenté d'aller trouver le Crous pour demander une hausse de ses bourses, mais il lui a été répondu que c'était impossible, sauf à engager une procédure contre les parents pour non-assistance. « Je n'étais pas prête à faire un recours contre eux. Je voulais juste une aide sociale. »
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Cette travailleuse avoue qu'elle n'aurait jamais essayé l'escorting si elle avait pu faire ses études dans de bonnes conditions. « Néanmoins, ce job m'a sauvé la vie. Je serais en squat ou droguée aujourd'hui… » Elle a désormais dépassé la barre fatidique des 25 ans et perçoit le RSA. Elle continue l'escorting dont les revenus lui servent juste à payer une psychothérapie. « C'est un scandale que le RSA ne soit pas ouvert à tous les jeunes. Souvent, les travailleurs du sexe commencent la prostitution avant 25 ans, car ils n'ont justement pas d'aides publiques. »
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19% d'étudiants sous le seuil de pauvreté, avant la crise
L'abaissement de l'âge du RSA est au coeur des préoccupations de ces dernières semaines qui ont vu une hausse de la précarité étudiante. Rappelons qu'en France, un jeune actif de 18 à 25 ans peut percevoir le revenu de solidarité active (RSA) seulement s'il justifie d'une certaine durée d'activité professionnelle.
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« Quand on est jeune et qu'on est précaire, on n'a pas cette certaine durée d'activité professionnelle. Quand vous n'avez pas de diplôme, pas de boulot et pas d'aide familiale en France et que vous avez moins de 25 ans, vous n'avez rien », déclarait Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, le week-end dernier sur Europe 1. « De réels moyens doivent être investis pour une réforme plus englobante du système de bourses sur critères sociaux. Celui-ci laisse encore aujourd'hui trop de jeunes sur le côté. L'ouverture du RSA pour les 18-25 ans nous paraît également primordiale », argue pour sa part la Fage, premier syndicat étudiant.
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Rappelons également que 19 % des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté, selon une étude de l'Inspection générale des affaires sociales datée de 2015. Depuis, les associations de lutte contre la précarité notent un afflux des jeunes parmi les nouveaux bénéficiaires. Des stages ou des premiers jobs non trouvés. Des parents davantage en difficulté. Pour tenter d'y répondre, le Premier ministre Jean Castex a annoncé ce samedi 17 octobre qu'une aide exceptionnelle de 150 euros serait accordée aux étudiants boursiers bénéficiant de l'APL. L'Unef, deuxième syndicat étudiant, regrette que cette aide ne s'applique finalement qu'aux étudiants boursiers.
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« J'ai tout de même appris à devenir entrepreneuse grâce à l'escorting »
Si Déborah aurait arrêté sans l'ombre d'un doute d'être escort girl en échange d'un revenu stable, certaines refusent que l'opinion publique s'apitoie sur leur sort. « Je ne suis pas à plaindre du tout. Je suis même assez fière de faire ça », assure même Sarah qui on le rappelle ne voit pas ses clients en dehors de l'écran. « J'avais d'autres solutions comme travailler au bar le soir, faire livreuse Deliveroo mais j'ai choisi de faire ça. En fait, j'aurais juste préféré pouvoir ne pas travailler en parallèle de mes études ». Une cam girl interviewée confie même ne pas être en situation de précarité puisque ses parents l'aident. « C'est un revenu complémentaire », confie-t-elle, tout en soulignant être consciente d'être une ultra-privilégiée de pouvoir le faire dans ces conditions.
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Deborah dit même avoir appris plein de trucs avec ce métier. Pour déclarer ses revenus, elle a dû créer une microentreprise (avec un objet social fallacieux, les plus utilisés sont coach personnel, masseuse, etc.). « Pour me garantir une clientèle, je dois gérer des réseaux sociaux comme OnlyFans, faire de la communication pour savoir me vendre, gérer les prix », décrit Déborah. « Grâce à l'escorting, je suis devenue entrepreneuse », se félicite Emilie.
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Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Bien avisé celui qui pourra répondre tant la situation est contrastée. D'un côté, un revenu qui leur a permis de survivre et de continuer leurs études, de l'autre un métier éprouvant, qui enferme dans la solitude, dans le secret. « Cette activité a pris beaucoup de place dans ma vie », assure Sarah. « J'avais peur que mon petit ami ne l'accepte pas, j'ai peur pour ma carrière dans le cinéma, j'ai peur pour ma réputation dans l'école. » Seule une poignée de gens savent, parmi lesquels une de ses camarades de classe. « Si jamais la situation s'ébruite (car je ne suis pas anonyme dans les shows), je voulais être sûre que j'aurais au moins une copine à mes côtés. » Pour sa part, Emilie pense à l'avenir abandonner cette microentreprise pour en créer une autre, dans un tout autre domaine : l'analyse de données génétiques pour les hôpitaux. « Mais il n'est pas impossible que je revienne à l'escorting si je retombe dans la précarité », songe-t-elle.
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