Ce que nous savons de nous-mêmes et gardons dans la mémoire, n’est point si décisif que l’on croit pour le bonheur de notre vie. Le jour vient où ce que d’autres savent de nous (ou prétendent savoir) nous tombent sur le dos, et dès lors nous reconnaissons que c’est là l’élément qui l’emporte. On vient plus facilement à bout de sa mauvaise conscience que de sa mauvaise réputation. D’où les criailleries des politiciens, d’où les soi-disant « crises sociales » de toutes classes, aussi nombreuses que fausses, imaginaires, exagérées et tout cet aveugle empressement à y croire. Ce que réclame cette jeune génération, c’est que ce soit de l’extérieur que lui vienne visiblement –non pas le bonheur- mais le malheur : et déjà sa fantaisie s’affaire d’avance à en former un monstre, afin d’avoir ensuite un monstre à combattre. Si avides de nécessité ils se sentaient la force de se faire intérieurement du bien, la force de se faire violence à eux-mêmes, ils sauraient aussi se créer intérieurement des nécessités propres et personnelles. Leurs inventions seraient alors plus fines, et leurs satisfactions auraient la résonance d’une musique de qualité : tandis qu’à présent le monde retentit de leurs cris, et ils ne le remplissent que trop souvent du sentiment de nécessité ! Ils ne savent que faire de leur propre existence –et ainsi ils évoquent le malheur d’autrui : ils ont toujours besoin des autres ! Et toujours d’autres autres ! –Pardonnez-moi, mes amis, j’ai osé évoquer mon bonheur.