Je connais Edouard depuis maintenant plusieurs années, un type fascinant, remarquable sur le terrain intellectuel, réservé mais profond, il a fini par rencontrer une fille malgré ses failles émotionnelles, Léa. Un soir il est venu nous la présenter et bien qu'enchanté de la perspective, je fut quelque part tourmenté. Je ne l'ai pas comprit tout de suite mais elle semblait dégager une aura particulière, je ne suis pas de ceux qui condamnent les autres aussi facilement, je lui ai laissé toutes ses chances mais je n'ai pu m'empêcher tout de même de conserver la trace d'un ressenti sombre en sa présence. J'étais alors en couple et le demeure toujours. Après plusieurs récits de notre entourage et la confrontation de quelques observations, je su que Léa était une fille torturée, certes désirable, ambitieuse et créative, mais hantée. Lorsqu'on est soi-même dérangé, ces détails n'échappent pas à l'observation.
Jusqu'à il y a quelques semaines, nous ne les avions pas revu depuis quasiment un an. Un après-midi la sonnette rententit, ils se présentèrent tout guillerets et nous fûmes bien ravis de les retrouver en d'aussi curieuses circonstances. Léa parait-il avait beaucoup insisté, elle savait pourtant que je me complaisais à la solitude ces derniers temps, ma copine en avait suffisamment bassiné mon entourage : "Il veut être seul..." J'accueillis cette interruption comme le signe d'un renouveau, et alors de bon train j'accepta de ressortir de mon cocon et de retourner à une vie sociale somme toute classique. On se fréquenta alors plusieurs fois depuis, toujours aussi enthousiaste et serein d'être chacun considéré et entendu. Une belle bande. De fil en aiguille, je fini par me rapprocher de Léa, j'y voyais là la perspective d'une amitié profonde, sincère, je nous sentais lié par les mêmes failles et les mêmes aspirations, et moi qui suis relativement épanoui dans ma vie amoureuse et sexuelle, rien ne me paru dérangeant ou périlleux à engager de telles promesses avec elle. Je veux dire, j'étais certain à ce moment-là de ne désirer qu'une véritable amitié. Une amitié profonde et chaleureuse certes, mais rien qui ne puisse léser qui que ce soit dans l'équation.
Les choses ont basculés hier soir.
À 2h du matin j'ai reçu un appel. Elle habite Rennes, moi Dinard, elle m'apprend qu'elle est éméchée, seule dans les rues, elle peine à le déclarer mais c'est un appel de détresse. Je l'apprends plus tard mais elle s'assure que Lilla ma copine ne sera pas dans les parages. Elle me demande de venir auprès d'elle, elle n'est vraiment pas bien, sa voix chevrote, Edouard est à Paris pour son travail, je ne suis pas rassuré sur son état, elle insiste, forcément j'accours, et après avoir obtenu la pleine bénédiction de ma copine, me voilà en trombe sur l'autoroute paré d'un vieux jogging et assisté d'un mug de thé bien infusé pour me tenir lucide. Me voilà en bas de chez elle. À ce stade, encore naïvement je m'attends à ce qu'elle monte spontannément dans la voiture, que je la reconduise chez nous tel que le plan semblait avoir été conçu, qu'elle soit entourée et réconfortée, qu'elle puisse trouver un lieu serein ou trouver le repos... Mais elle me fait des signes. Interloqué je sors de la voiture, je la rejoins, elle est perchée mais me regarde avec des yeux pétillants, elle m'enjoint à monter chez elle, pensant lui offrir du soutient je l'accompagne avec toute la bonhomie d'un honnête homme. Me croira qui voudra. Une fois la porte de chez elle claquée, elle me dirige vers sa chambre, prétextant vouloir me montrer un objet, là encore à ce stade je ne flaire rien, mais l'idée germe. Je suis assez inconfortable, j'essaye de changer de sujets et d'aborder l'existence d'Édouard de manière innocente. Elle lance la main en l'air avec dédain, elle est complètement faite, elle file vers la cuisine et m'invite à la rejoindre. Après plusieurs essais ridicules à décapsuler une bière, je l'assiste alors et on trinque. Là encore je ne suis pas idiot, le scénario de la maladresse manuelle pour prétexter un rapprochement physique... je n'en suis pas dupe. Mais les preuves ne sont pas suffisamment écrasantes. Elle poursuit son délire, elle se confie et me parle alors de ses traumatismes. Je l'écoute patiemment et je m'oublie. Elle me regarde à nouveau avec une intention que je ne sais encore déceler. Je joue alors l'ignorant. Prête à défaillir alors elle m'oblige à la réconforter dans mes bras, elle me touche délicatement, rien n'est encore si évident, puis je nous interrompt pour lancer un morceau de circonstance.
Elle se déhanche, elle est voluptueuse, comment ne pas reconnaître qu'elle est si désirable ? Nous discutons beaucoup. Nos réflexions partent loin, je la guide vers un mood absolu, quelque chose qui puisse la libérer, lui donner l'élan à reconquérir son existence. À bien des égards, je semble y parvenir. Lassée elle déclare enfin :
-"Il faut sortir, viens bordel on sort"
Alors nous sortons. Sur la berge elle manque de tomber à l'eau. Je dois la retenir physiquement. Je sais qu'elle le cherche. Elle prend ma main, je ne fuis pas. Je sens alors que les choses m'échappent. Je suis en conflit interne, je ne veux pas de faire de mal à quiconque, je ne sais pas comment réagir, je sais seulement qu'une âme innocente et blessée cherche à survivre, et que ma présence lui en donne le pouvoir. Je dois la convaincre de rentrer chez moi. Lilla saura être un barrage subtile à ses velléités lubriques, je compte là-dessus, sentant que j'en ai concédé beaucoup elle fini par céder, nous prenons la route du retour.
-"Qu'est-ce qui pourrait te faire te sentir mieux là maintenant." -"Me mettre à poil " qu'elle lance.
J'ai déjà beaucoup lu sur la grande nuance entre séxualité et nudité, je sais que c'est une fille axée nature, elle aime se baigner nue, elle est décompléxée, c'est innocent, je ne vois rien de si méchant à sa requête. Ainsi elle se retrouve alors complètement à poil sur le siège cuir camel de mon Cayenne V8. Elle s'étire et se sent vraiment bien. Au fond de moi je me sens satisfait, je n'ai pas l'oeil qui traine, je sais que lorsque je le raconterai à Lilla elle ne se vexera pas. Elle me connait, elle sait que je suis quelqu'un de bien. Je me rassure avec cela. Plusieurs fois sur la route elle tente des approches, elle veut s'arrêter à plusieurs reprises "sur cette aire ! " sur le pont de Saint-Malo, au milieu de ce rond-point même, "on s'en fou". Je dois la raisonner, elle délire, c'est trop de folie pour un soir, elle est sourde à mes conseils et fini enfin par me déclarer : "J'ai envie de toi bordel" On commence enfin à jouer carte sur table. Un long silence demeure. Forcé de m'arrêter avant destination, je lui fait retrouver ses esprits, du moins je l'éconduis de telle sorte que ses tentatives stoppent nettes. Je lui offre de venir prendre un thé chaud chez moi, de reprendre ses esprits et de se reposer calmement.
La soirée se termine enfin, et le lendemain matin je la reconduis à la gare de Saint-Malo. Je voulais en raconter le récit à Édouard, elle me l'interdit. Depuis hier soir je suis tourmenté, elle a suscité quelque chose d'intense en moi, je ne saurai l'expliquer. On s'est parlé entre deux, je vous laisse en juger.
Je sais qu'ici les opinions seront franches et nettes. Et c'est ce dont j'ai besoin.
Je ne crois pas avoir été si vertueux, mais je m'en suis efforcé. Quelque part aussi, je crois que je me sens trop impliqué. Il y a des sentiments en jeu. C'est une situation bien délicate.
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